Généralisation de la couverture médicale, situation financière des deux régimes (AMO et Ramed) ainsi que celle des deux caisses (CNOPS et CNSS), basculement des établissements publics et entreprises privées vers l'AMO, politique du générique..., tels sont les points abordés avec Jilali Hazim, Directeur général de l'Agence nationale de l'assurance maladie, dans cet entretien. Finances News Hebdo : Parmi les réformes majeures lancées par le Maroc durant cette dernière décennie, il y a celle de la généralisation de la couverture médicale. Où en êtes-vous aujourd'hui dans la mise en œuvre de ce chantier stratégique ? Jilali Hazim : Par rapport aux objectifs fixés dans le cadre de la réforme sur le financement de la santé qui a abouti à l'adoption de la loi 65-00, cette dernière a mis en place deux régimes. Le premier concerne l'assurance maladie obligatoire pour les actifs et les titulaires de pension (salariés et non salariés), à savoir l'AMO, et le second destiné aux personnes qui ne peuvent pas être affiliées à l'AMO et n'ayant pas suffisamment de revenus pour se faire soigner, le Ramed. Pour des considérations d'acquis historiques et politiques, nous avons commencé par les salariés et retraités des secteurs public et privé, dont la gestion incombe respectivement à la CNOPS et à la CNSS. Ce qui représente 25% de la population. Nous sommes passés ensuite, en 2012, à la généralisation du Ramed après une expérience pilote, pour finir par les étudiants en 2015 et les indépendants au cours de cette année. Aujourd'hui, avec l'AMO, y compris les bénéficiaires de l'article 114, et le Ramed, nous sommes à 54% de la population couverte au Maroc. Il reste, bien évidemment, les indépendants qui représentent la plus grande partie, soit 36% de la population (11 millions de bénéficiaires) et pour lesquels un produit est en cours de formalisation par un projet de loi relatif à l'intégration de cette catégorie de la société dans l'assurance maladie obligatoire qui sera gérée par la CNSS. Ce projet de loi n'a malheureusement pas pu être approuvé par les deux Chambres avant la fin de l'ancienne législature. Il sera donc relancé dès la constitution du nouveau gouvernement pour pouvoir démarrer sa mise en œuvre à partir de cette année. En outre, un échéancier a été mis en place pour qu'à l'horizon 2025, l'ensemble de la population, toutes catégories confondues, soit couverte. Je tiens à rappeler que notre pays a fait le choix d'atteindre l'universalité de la couverture du risque maladie aussi bien aux catégories actives par l'AMO de base, que pour celles non actives par le Ramed. Nous avons certes mis beaucoup de temps pour atteindre toute la population, ce qui est tout à fait normal, puisque la mise en place de ce système n'a pas été de tout repos, encore moins sa gestion. Cela dit, nous sommes en phase de construire notre système sur la base de principes qui ont requis l'accord de tous les partenaires et qui ont été concrétisés dans une Charte signée devant SM le Roi en 2005, soit la veille de la mise en œuvre de l'AMO. F.N.H. : Une mise en œuvre qui a quand même pris 3 ans... J. H. : Cela est normal, parce que parmi les principes sur lesquels nous nous sommes mis d'accord, entre partenaires socioéconomiques, il y avait la nécessité d'opérer lentement mais sûrement. Mais aussi de sauvegarder l'équilibre financier et de renfoncer les outils de régulation qui ont été confiés à l'Agence nationale de l'assurance maladie (ANAM), dont la mission est de réguler l'assurance maladie obligatoire. Il faut noter que notre système se distingue par le fait que nous avons créé cet organisme pour veiller sur les équilibres, proposer toutes les mesures de régulation nécessaires à la sauvegarde de cet équilibre, jouer le rôle d'arbitre entre les acteurs en cas de litige, s'occuper du contrôle de la double affiliation et intervenir rapidement en cas de problème de déséquilibre. Cela dit, il n'est pas facile dans notre pays d'aller vite en besogne vers la couverture universelle du fait que nous avons, au niveau des indépendants, plusieurs catégories socioprofessionnelles ainsi qu'une économie informelle qui pèse lourd sur l'économie nationale. Aujourd'hui, nous sommes en phase de mettre en place un système qui est en train de faire ses preuves. Faut-il rappeler que le système de couverture médicale, dans la plupart des pays, est déficitaire, ce qui n'est pas le cas du Maroc. F.N.H. : Pour rebondir sur la couverture médicale des indépendants, vous avez déjà déclaré que tous les décrets d'application étaient prêts pour une mise en application immédiate après adoption du projet par le Parlement. Pensez-vous que cette étape sera moins longue que ne l'a été celle de l'AMO ou du Ramed ? J. H. : Cela va certainement demander du temps. Car, outre le principe de la progressivité, il y a un autre plus important, à savoir celui du dialogue et de la concertation avec les concernés. Nous ne pouvons pas imposer à des indépendants, qui devront payer la totalité de leur cotisation, un système sans concertation. Raison pour laquelle, il faut arriver à fédérer autour d'une même table les nombreuses catégories, les ministères de tutelle, le régulateur ainsi que le gestionnaire pour clarifier les paramètres de cette assurance. Bien sûr, la loi a déjà mis en place les bases qui vont servir à un dialogue fructueux pour aboutir à des résultats probants. Nous allons certainement commencer par les professions libérales parce qu'elles sont mieux organisées. Toutefois, cette catégorie ne représente que 10% des indépendants. C'est l'autre tranche qui va demander du temps, notamment pour trouver un accord sur le revenu forfaitaire annuel de l'assiette de cotisation. F.N.H. : Selon une étude que vous avez commanditée, il y a une fragilité financière des deux régimes, particulièrement de la CNOPS dont le premier déficit interviendrait vers 2019. L'AMO est-elle en danger ? J. H. : Pas du tout, l'AMO n'est pas en danger. Aujourd'hui, nous avons un tableau de bord qui nous permet d'avoir de la visibilité sur les dix prochaines années. Nous maîtrisons les paramètres et nous sommes en phase de mettre en place les mesures de régulation nécessaires pour la maîtrise médicalisée des dépenses. Nous avons fait des propositions pour soutenir le déficit que nous avons soumises, en septembre dernier, au gouvernement. F.N.H. : Quelles sont les mesures phares susceptibles d'éviter un tel scénario ? J. H. : Parmi ces mesures, actualiser tout d'abord les conventions nationales, notamment en ce qui concerne les mesures qu'elles comportent en matière de maîtrise médicalisée des dépenses et aller rapidement vers le déplafonnement du taux de cotisation dans le secteur public, comme c'est le cas dans le privé... Ces mesures permettront certainement de repousser le déficit de 5, voire 6 ans. Mais ce n'est pas suffisant. C'est pour cela qu'il faudrait agir aussi sur le taux de cotisation du secteur public qui n'a pas été augmenté depuis 2005 (5% dont 2,5% à la charge de l'employeur et 2,5% par l'employé) pour l'aligner sur la réalité de la consommation. F.N.H. : L'objectif d'une couverture médicale généralisée ne risque-t-il pas d'aggraver la situation financière des deux caisses ? J. H. : Au contraire, chaque fois que la base a été élargie, le jeu de la solidarité a été meilleur. C'est même un facteur d'absorption et d'atténuation du déficit. Partout dans le monde, quand le taux de solidarité est élevé, les systèmes de couverture du risque maladie sont fiables. Au Maroc, cette solidarité existe dans les secteurs public et privé et également entre les deux pôles. Toutefois, il y a une proposition d'élargir le degré de cette solidarité comme étant aussi l'un des facteurs du maintien de l'équilibre. F.N.H. : Pourquoi alors le dossier relatif au basculement des établissements publics et entreprises privées (article 114) vers l'AMO traîne-t-il, sachant que le manque à gagner pour le régime est important ? Ce blocage n'est-il pas dû, en réalité, au lobbying des compagnies d'assurances ? J. H. : Le dossier ne traîne pas, c'est plutôt la loi qui n'est pas applicable. L'ambiguïté existe dans le texte de loi qui stipule 5 années renouvelables après avoir sorti tous les décrets d'application de l'AMO. Or, deux textes ne sont pas encore sortis. Donc, déjà, une condition n'est pas encore réunie pour pouvoir mettre le compteur sur les 5 ans. Mais cela ne nous empêche pas d'enregistrer entre 8 et 10% de basculement par an. Pas en tant qu'entreprises certes, mais notre objectif est que cette population, qui ne représente que 1,2 million de bénéficiaires dans le privé et 350.000 dans le public entre les compagnies d'assurances privées, les régimes internes et les mutuelles, bénéficie du même panier de base que celui de l'AMO. Que cette population ne soit pas lésée par rapport aux bénéficiaires de l'AMO de la CNSS et de la CNOPS, chose que nous n'arrivons toujours pas à vérifier parce que ce n'est pas stipulé dans le texte. Pour faire aboutir ce dossier, nous nous sommes réunis en commission afin de proposer un amendement au gouvernement qui devra trancher. F.N.H. : Quels sont ces décrets qui retardent l'application de la loi ? J. H. : Nous n'avons pas encore sorti les décrets relatifs à la cotisation des ascendants, aux soins à l'étranger et autres... Mais une fois de plus, je tiens à préciser que ce basculement n'est pas la priorité, car ne posant pas de problèmes pour le système pour le moment, pourvu que les bénéficiaires puissent être au moins au même niveau que ceux de l'AMO. Notre priorité aujourd'hui est de couvrir les 46% de la population restante et de leur permettre d'être couverts par le minimum prévu par la loi F.N.H. : Outre l'AMO, le Ramed souffre également de problèmes aussi bien financiers qu'organisationnels. Quels sont les impacts sur la pérennité et l'efficacité du régime ? J. H. : Le Ramed a été créé pour une catégorie de la population qui ne réunit pas les conditions pour bénéficier de l'AMO. Comme vous le savez, la gestion du régime a été confiée dans un premier temps à l'ANAM qui n'a pas réellement reçu cette mission dès le début. En d'autres termes, le Ramed n'a pas fonctionné dans le cadre du tiers-payant avec la collecte des fonds des trois sources (Etat, collectivités territoriales et bénéficiaires relatifs) et au recours à des conventions avec les hôpitaux publics pour que l'argent du «ramediste» le suivi dans les hôpitaux. Aujourd'hui, en l'absence d'une évaluation approfondie (en cours de réalisation par l'ANAM), il nous est très difficile de parler de contraintes et de dysfonctionnements. Mais ce qui est sûr, c'est que le Ramed n'a pas fonctionné en tant que schéma tel que stipulé par la loi. Les hôpitaux, dont les représentants sont membres du conseil d'administration pour la gestion du Ramed, déplorent les difficultés à recouvrer les financements de ce régime qui sont restés dans la masse globale du ministère de la Santé. En d'autres termes, le Ramed fonctionne avec le budget de ce ministère qui doit faire face à d'autres besoins, dont les activités de santé publique qui sont gratuites à toute la population, quel que soit son statut. F.N.H. : Qu'en est-il alors des 3 milliards de DH prévus pour le fonctionnement du régime ? J. H. : En effet, l'enveloppe prévue pour le régime était de 3 milliards de DH, dont 1 Md de DH existait déjà dans le budget du ministère de tutelle, puisque le système existait dans le cadre du certificat d'indulgence. Aujourd'hui, les 3 Mds de DH passent par le budget du ministère. Du coup, il est impossible de définir ce qui a été dépensé dans le cadre du régime par rapport à cette enveloppe. Cela dit, aujourd'hui, tout le monde est unanime quant à la nécessité de résoudre cette problématique et de corriger cette lacune. Comment ? En créant un organisme gestionnaire indépendant du ministère de la Santé et de l'ANAM, qui doit devenir une autorité de régulation des deux régimes (AMO et Ramed). Cette proposition a été retenue par le gouvernement. Un groupe de travail a été constitué et se penche d'ores et déjà sur la révision de la loi 65-00, dont la création de l'organisme de gestion du Ramed qui va être un établissement public indépendant et qui deviendra en quelque sorte l'assureur de cette population. F.N.H. : Pensez-vous que cet établissement verra le jour courant 2017 ? J. H. : La décision a été prise. Du coup, nous allons commencer à travailler sur ces projets de loi au cours de cette année, qui sont une priorité de la stratégie du gouvernement. F.N.H. : L'un des faits marquants de 2016 est la signature de la convention du tiers-payant sous l'égide de l'ANAM entre la CNSS, la CNOPS et les pharmaciens. Quelle évaluation faites-vous de cette initiative ? J. H. : Il est difficile de faire l'évaluation de quelques mois de mise en œuvre. Ce que je peux dire, c'est que cette convention a permis au secteur public une décentralisation de la procédure d'octroi des médicaments. Aujourd'hui, les malades ne se déplacent plus à la pharmacie de la CNOPS à Rabat pour se procurer leurs médicaments, puisqu'ils sont disponibles au niveau des 12.000 pharmacies signataires (seuls 200 se sont abstenues). A ce jour, nous n'avons pas eu de réclamations de la part des malades. Cela veut dire que l'objectif de l'accès à un soin facile, accessible et équitable est atteint. F.N.H. : Toutefois, les pharmaciens déplorent un retard de remboursement... J. H. : Seuls certains pharmaciens ne sont pas satisfaits. Après une première réunion, dans le cadre de la commission de négociation et de suivi prévue par la convention dans l'objectif, entre d'autres, d'apporter des corrections et revoir la procédure, nous avons pris la décision d'uniformiser et d'harmoniser les procédures. Il s'est avéré que la procédure de la CNOPS n'était pas pratique, contrairement à celle de la CNSS. Les pharmaciens ont également soulevé le problème du dirigisme entre médecins et pharmaciens. A ce sujet, nous avons demandé aux organismes de gestion, à l'Ordre et aux syndicats des pharmaciens de nous fournir les données pour pouvoir agir et sanctionner en cas de dirigisme, allant jusqu'à l'exclusion de la convention. Nous prendrons toutes les mesures pour maintenir cet acquis, le développer et le rendre plus transparent. F.N.H. : Qu'en est-il des autres conventions nationales ? J. H. : Cela fait plus de deux ans que nous sommes en phase de négociation avec les prestataires de soins. Mais ce n'est pas facile, puisque entre les revendications des prestataires de soins, les exigences des équilibres financiers et la demande des assurés et du système de manière générale, il reste un différend que nous sommes en train d'aplanir. Cela dit, après plusieurs réunions, tenues dernièrement, les points de vue sont en cours de rapprochement. Ce qui est sûr, c'est que nous allons faire de 2017 l'année de signature de toutes les conventions nationales. Nous avons déjà préparé toutes les conventions que nous allons incessamment envoyer aux caisses pour avis afin de les signer, on l'espère avant la tenue des conseils d'administration de juin prochain. Sachant qu'il n'est pas écarté de faire prévaloir la loi en cas de blocage. Loi qui autorise l'ANAM à proposer au ministre de la Santé d'édicter les tarifs par décret, lesquels doivent refléter la réalité afin de protéger le citoyen, et à mettre de l'ordre en quelque sorte dans le système. F.N.H. : Comment le Maroc compte-til réussir sa politique du médicament générique, alors que les laboratoires pharmaceutiques ne fabriquent que les génériques de 5 molécules seulement ? J. H. : Je vous remercie de soulever cette problématique que nous n'arrivons pas non plus à comprendre. Je ne cesse de poser la question : pourquoi le générique représente 80% aux Etats-unis, 75% en Allemagne, plus de 70% en France et 70% en Espagne, alors qu'au Maroc, il n'est que de 30% ? Entre les laboratoires pharmaceutiques et le ministère de tutelle, chacun se jette la balle. A notre niveau, nous avons pris des dispositions au niveau de l'AMO pour que le générique soit un critère de remboursement lorsqu'il existe. Le remboursement est fixé par rapport au prix du générique le plus proche du princeps pour ne pas taxer l'assuré. Aujourd'hui, la liste des médicaments remboursables compte 65% de générique. En tant qu'acteur de l'assurance maladie, nous essayons de faire du lobbying pour que le gouvernement et les fabricants puissent lever les contraintes qui existent et que nous ignorons. L'objectif est d'avoir une pénétration du générique à hauteur de 60%.