Dans un entretien accordé à Finances News Hebdo, le Directeur général de l'Agence nationale de l'assurance maladie (Anam) revient sur le rôle de l'agence dans la nouvelle stratégie de réforme de la couverture médicale de base. Jilali Hazim nous parle du futur schéma de gouvernance de l'Anam, de la gestion des ressources du Ramed, le phénomène de fraude et de fausses déclarations, etc. L'occasion également d'évoquer le nouveau calendrier du basculement obligatoire de l'ensemble des employeurs vers le régime de l'AMO. Finances News Hebdo : Dans quel sens sera revue la composition du Conseil d'administration de l'Anam, comme le recommande le Comité interministériel de pilotage de la réforme ? Jilali Hazim : La feuille de route de l'Anam 2014-2018 a mis le doigt sur certains dysfonctionnements dans sa gouvernance, chose qui est normale huit 8 ans après sa création, au regard de son fonctionnement avec les organes de gouvernance. Pour affiner ce constat, l'Anam a entrepris un audit institutionnel, organisationnel et de gestion qui a fait ressortir un certain nombre de dysfonctionnements et des opportunités d'amélioration en vue d'accélérer l'extension de la couverture médicale de base, ainsi que la période de transition vers la couverture médicale universelle. L'une des conclusions de cet audit est que les organes de gouvernance de l'autorité de régulation doivent fonctionner de manière plus souple avec la célérité requise pour exercer des missions de régulation, de contrôle et éventuellement de sanction. Par ailleurs, la configuration actuelle n'est plus pratique vu que l'on s'oriente vers des populations d'assurés de plus en plus larges et hétérogènes, notamment les indépendants, les étudiants et autres. La représentation de ces franges au sein du conseil d'administration serait pléthorique et hypothèquerait à coup sûr le fonctionnement d'organes délibératoires censés être plus percutants. La proposition de l'Anam consiste à créer un organe délibérant, à l'image des conseils de surveillance de certains établissements publics, avec un renforcement de l'exécutif et de l'audit. F.N.H. : S'agissant de la gestion par l'Anam des ressources affectées au Ramed, le comité de pilotage favorise le schéma d'une individualisation des budgets alloués pour le financement de ce régime. Pouvez-vous nous expliquer le fondement pratique de cette proposition ? J. H. : Le financement du Ramed est assuré par la contribution de l'Etat, les contributions des collectivités et celles des personnes en situation de vulnérabilité (120 dhs/personne avec un plafond de 600 dhs/foyer). Il s'agit aujourd'hui d'adopter un schéma de gestion qui, en plus d'une comptabilité distincte, prévoit l'inscription du financement dans la Loi de Finances et dans les budgets des Collectivités territoriales, conformément à l'article 126 de la loi n° 65-00. Le versement des contributions des vulnérables doit également être effectué au profit de l'organisme gestionnaire et non au compte de la «Pharmacie centrale» géré par le ministère de la Santé. La nouvelle gestion des ressources consiste à définir les modalités de contractualisation avec les prestataires publics des soins, et à une séparation entre tiers payant et prestataire de soins. F.N.H. : Le projet de réforme a confié à l'Anam la mission de gérer à titre provisoire le financement du Ramed pendant deux autres années (2015 et 2016). Concrètement, en quoi la gestion des ressources du Ramed compromet-elle la mission fondamentale de l'Anam ? J. H. : Il est à souligner que la gestion des ressources affectées au Ramed et la régulation de l'AMO sont deux missions différentes, mais complémentaires. L'agence, de par ses attributions qui lui sont confiées par la loi, est appelée à jouer ces deux rôles. D'autant plus que l'Anam dispose de deux conseils d'administration, un pour le Ramed et l'autre pour l'AMO. La composition de ces deux conseils d'administration est différente. La gestion des ressources affectées au Ramed, même si elle est légale, a été envisagée dans la présente réforme de manière à permettre à l'Anam de jouer son rôle, en vue d'introduire les règles de bonne gouvernance à la gestion du Ramed. Par contre, la création d'un organisme gestionnaire dédié au RAMED pourrait être une opportunité pour l'ANAM en vue d'étendre sa compétence pour devenir une autorité de régulation pour toute la Couverture Médicale de Base (AMO et RAMED). F.N.H. : Quid des cas de fraude (double affiliation au Ramed et à l'AMO) décelés jusqu'à ce jour. Pouvez-vous nous parler du poids de ce phénomène et si les mesures coercitives ont été bel et bien déclenchées ? J. H. : La maîtrise de la gestion financière du Ramed passe également par la correction des dysfonctionnements actuels du régime et dont le plus important est la double affiliation et la fiabilisation des déclarations. Une convention a d'ailleurs été signée entre le ministère de l'Intérieur, la CNSS et la CNOPS en vue de lutter contre ce phénomène. Le but étant de mettre en place un dispositif renforcé de contrôle en amont. Une autre convention sera signée entre le ministère de l'Intérieur et l'Anam. F.N.H. : L'article 114 de la loi 65-00 sur l'AMO obligeant les entreprises du secteur privé à basculer vers l'AMO a longtemps fait l'objet d'interprétations totalement opposées. A quand le basculement et quels sont ses préalables ? J. H. : L'article 114 de la loi n°65-00 a accordé aux employeurs un délai transitoire de cinq ans renou-velable à compter de la date de publication des décrets d'application pour basculer vers l'AMO. Ce délai est introduit pour permettre aux employeurs concernés et à leurs assureurs, notamment les compagnies d'assurances, privées et mutuelles, de se préparer convenablement au basculement. Neuf ans après et à ce jour, le basculement inté-gral de la population bénéficiant des dispositions de l'article 114 n'a pu avoir lieu. Le maintien de la couverture médicale de base pour une grande population, dans le cadre de l'article 114, consti-tue une violation des principes fondamentaux de l'AMO, à savoir la solidarité et l'équité. Pour réunir aujourd'hui les conditions de réussite du basculement, il faut respecter deux mesures, l'une d'ordre actuariel, et l'autre d'ordre légal. Cette dernière compromet la mutualisation des risques et par conséquent pourrait mettre en péril la pérennité du régime de l'AMO. Une étude actuarielle, en cours d'élaboration, per-mettra de déterminer avec précision l'impact finan-cier du basculement et proposera les mesures de régulation adéquates afin de résorber tout éventuel impact négatif. L'étude examinera des scénarios portant sur la révision de certains paramètres du régime de l'AMO. En vue d'opérer le basculement total dans le res-pect des dispositions législatives et dans de bonnes conditions de mise en oeuvre, une nouvelle période transitoire devrait être instituée par voie législative, moyennant l'amendement de l'article 114 dont le projet est élaboré et proposé par la commission mixte présidée par l'ANAM. F.N.H. : En tant qu'ex-Directeur de la pla-nification et des ressources financières au ministère de la Santé, vous êtes l'une des chevilles ouvrières du processus de mise en place du Ramed. Quel regard portez-vous sur l'avenir de ce régime dans le sillage des adaptations à opérer dans le cadre de la nouvelle stratégie ? J. H. : Effectivement, la Direction de la planification et des ressources financières du ministère de la Santé a été au coeur de la réforme de finance-ment, et c'est un honneur pour moi de piloter cette réforme au niveau de toutes ses composantes, à savoir l'Assurance maladie obligatoire, le Ramed et les autres problématiques liées au financement. S'agissant du Ramed, sa réussite est essentielle pour gagner le pari de la couverture médicale uni-verselle et reste conditionnée par la pérennité des régimes de l'assurance maladie déjà en place et l'extension de la couverture aux autres franges de la population non encore couvertes, notamment les indépendants. La nouvelle stratégie de réforme adopte cette vision extensive et prudentielle. De même, elle cherche une convergence nécessaire à la réussite du chantier de la couverture médicale de base vu la multiplicité et la diversité des acteurs, notamment pour le Ramed qui nécessite une implication, une coordination et une synergie de tous les acteurs et un accompagnement des pouvoirs publics. Par ailleurs, une gestion du Ramed sur la base des principes de bonne gouvernance est une oppor-tunité pour l'hôpital public afin d'améliorer son financement et son management. Dans ce sens, l'Anam s'est inscrite dans un projet phare, à savoir la mise en place d'un système intégré Snigi-Ramed qui permettra d'améliorer la bonne gouvernance. Le RAMED en chiffres 95% de la population cible immatri-culée; 7,7 millions de Marocains couverts par le RAMED; 3,4 millions de cartes RAMED dis-tribuées.