Des négociations sont en cours pour une entrée de Qatar Airways dans le capital de Royal Air Maroc. Depuis cette annonce faite par les Qataris en juin et réitérée lundi dernier, c'est motus et bouche cousue tant du côté de l'Etat marocain que du côté du management de la compagnie nationale. Beaucoup de questions restent posées par rapport à ce rapprochement capitalistique. Mais tout partenaire éventuel devra composer avec une constante : la RAM est certes soumise à des exigences de rentabilité, mais elle a aussi surtout une mission de service public. Analyse des détails et enjeux de cette alliance éventuelle. La géographie du capital de Royal Air Maroc changera-t-elle ? C'est la question que tout le monde se pose depuis que Qatar Airways a annoncé être en négociations avec la compagnie nationale pour une prise de participation. La «campagne de communication» autour de cette opération stratégique a commencé en juin dernier, quand Akbar Al Baker, PDG de Qatar Airways, a annoncé que son groupe envisage d'acquérir une participation allant de 25 à 49% dans Royal Air Maroc en vue de se développer en Afrique. «L'acquisition nécessitera un grand réaménagement au niveau de notre base à Casablanca, car l'Afrique a actuellement besoin d'un hub aéroportuaire majeur», avait-il déclaré au journal émirati The National, non sans préciser que l'entrée de Qatar Airways dans le tour de table de la RAM devrait avoir lieu après la finalisation du rachat par la compagnie qatarie d'une participation de 49% dans le transporteur italien Meridiana. Lundi dernier, le patron du Groupe, qui a reçu à Casablanca la presse nationale et internationale, est revenu à la charge, restant constant par rapport à ses propos tenus en juin. «Nous sommes toujours en négociations avec la RAM pour une prise de participation. Notre objectif est d'améliorer la flotte de Royal Air Maroc et densifier son réseau», a-t-il dit. Ce rapprochement, qui a visiblement reçu l'aval des gouvernements des deux pays, suscite néanmoins moult interrogations. Quand est-ce que cette opération sera bouclée ? Quel pourcentage du capital va être cédé à Qatar Airways ? Quels sont les enjeux pour Royal Air Maroc ? A en croire Al Baker, qui est resté bien évasif sur certaines questions, si Qatar Airways est dans les dispositions requises pour boucler cette opération, il ne peut s'avancer sur la portion du capital que la RAM est susceptible de lui céder. Tout en laissant sous-entendre que la conclusion de cette transaction reste maintenant du ressort du transporteur national. Communication subtile Ce sont deux annonces officielles qui ont eu lieu au sujet de ce partenariat capitalistique entre Qatar Airways et Royal Air Maroc depuis juin dernier. Et toutes deux émanent des dirigeants de la compagnie qatarie, comme pour ancrer dans la conscience collective que le principe d'une prise de participation dans la RAM reste inéluctable. En effet, de mémoire d'homme, au niveau de la RAM, aucune déclaration n'est venue confirmer ou infirmer cette opération depuis qu'elle a été portée sur la place publique par les Qataris. Et nos maintes tentatives en ce sens sont restées vaines. En cela, il semble utile de se poser une question : Royal Air Maroc a-t-elle réellement les cartes en main dans le cadre de ce rapprochement ? Difficile de répondre par l'affirmative, quand on sait que l'ouverture de son capital pose des problèmes de souveraineté, avec en toile de fond des enjeux politiques et socioéconomiques ô combien importants. Par le passé déjà, plusieurs tentatives de privatisation partielle ont été annoncées sans succès : la cession d'une partie du capital de Royal Air Maroc en Bourse était presque actée, mais l'option préconisée au départ, puis abandonnée, était de la privatiser, d'autant que des tractations avaient été entreprises avec des groupes étrangers. D'ailleurs, il fut un temps où c'était Etihad Airways qui était donnée favorite. Mais il faut croire que Royal Air Maroc est entre le marteau et l'enclume. «Aujourd'hui, pour des raisons de souveraineté, le Maroc veut garder le contrôle de la RAM afin qu'elle puisse servir les intérêts stratégiques du pays, mais elle souhaite aussi parallèlement qu'elle soit rentable et qu'elle se développe en accompagnant l'ambition de faire de Casablanca un hub régional. La compagnie nationale est donc tiraillée entre sa mission de service public et les exigences de rentabilité inhérentes à une entreprise commerciale, d'où la difficulté de trouver un partenaire», nous explique un patron d'une société de Bourse. «Il n'est pas rare de voir la RAM desservir certaines villes, alors que ces lignes sont déficitaires, mais sa mission de service public lui impose de les maintenir. Son futur partenaire doit donc pouvoir tenir compte de cette réalité», précise notre interlocuteur. Qatar Airways, un bon partenaire ? Si rien n'a filtré du côté de la RAM, du côté de l'Etat marocain aussi, qui semble ne pas avoir une stratégie clairement circonscrite en ce qui concerne la gestion de ses participations publiques, aucun démenti n'a été fait par rapport aux informations véhiculées par le management de Qatar Airways. Cela augure-t-il d'un rapprochement certain entre RAM et Qatar Airways ? Peut-être. D'autant que les deux compagnies sont déjà liées, depuis un an, par un accord de partenariat commercial stratégique qui permet une extension des réseaux des deux opérateurs vers l'Afrique et l'Asie (voir encadré). Un accord, puis une prise de participation: cela semble être la marque de fabrique du groupe qatari. Il a eu le même mode opératoire en Italie avec Meridiana, une opération qui devait être bouclée en octobre dernier. Et si l'on s'en réfère, in fine Qatar Airways devrait monter dans le capital de la RAM à un niveau qui lui permettrait d'avoir plus que la minorité de blocage. Ce qui donnerait à ce partenariat industriel une dimension hautement stratégique. «Dans l'absolu, c'est une bonne nouvelle parce que Casablanca ne peut revendiquer un statut de hub régional sans l'expansion solide du transport aérien. Pour un pays comme le Maroc qui accueille de plus en plus des manifestations internationales d'envergure, on ne peut plus se permettre de faire passer les gens par Paris pour pouvoir rejoindre la métropole», confie notre patron de société de Bourse, qui voit d'un très bon œil l'arrivée des Qataris. «Si la RAM veut développer de manière substantielle sa flotte, elle ne peut compter sur le soutien financier de l'Etat marocain qui a déjà d'autres priorités. Par contre, elle peut s'appuyer sur un partenaire comme Qatar Airways qui, elle, a les moyens», poursuit-il. A l'évidence, Royal Air Maroc a donc tout à gagner à travers une alliance avec Qatar Airways qui devrait, en aval, lui permettre d'être mieux valorisée pour une éventuelle introduction en Bourse. «L'introduction en Bourse reste en soi un sujet accessoire, surtout si l'on sait que Royal Air Maroc vient juste de sortir du rouge. Elle peut être objet d'une discussion à moyen terme, encore faut-il savoir que le plus important n'est pas de lever des fonds, mais plutôt le partenariat industriel», conclut notre source. Convergence d'intérêts : Sous l'aile de l'alliance Oneworld Oneworld, troisième plus grande alliance de compagnies aériennes après Star Alliance et Skyteam, regroupe actuellement 15 membres, notamment Qatar Airways, Air Berlin, American Airlines, British Airways, Cathay Pacific, Finnair, Iberia, Japan Airlines, Latam Airlines, Malaysia Airlines, Oantas, Royal Jordanian, S7 Airlines, SriLankan Airlines et Tam Linhas Aereas. Les compagnies affiliées à Oneworld proposent des services supplémentaires en relation avec les compagnies membres pour permettre de voyager vers davantage de destinations régionales autour du monde. On prête à Royal Air Maroc l'intention d'intégrer cette alliance qui ne compte pour l'heure aucune compagnie africaine. Cela est d'autant plus probable que la RAM a signé un protocole d'accord pour intégrer Avios, le programme de fidélité d'AIG qui permet de cumuler des miles (et réciproquement) sur les filiales du groupe britannique (British Airways, Iberia, Vueling et Aer Lingus). Les intérêts de la RAM et de Qatar Airways se rejoignent donc, d'autant que cette dernière est actionnaire d'AIG à hauteur 15% et de Latam Airlines à hauteur de 10%. Le partenariat prend de l'altitude L'intérêt de Qatar Airways pour Royal Air Maroc ne faiblit pas. Cela est d'autant plus légitime que la compagnie nationale, qui a bouclé avec succès son plan de restructuration, a renoué avec les bénéfices et dépassé les objectifs fixés dans le cadre du contrat-programme signé avec l'Etat. En présentant désormais un bien meilleur profil, elle intéresse forcément les investisseurs étrangers, dans un secteur particulièrement très concurrentiel. D'ailleurs, aujourd'hui, le management de Qatar Airways se dit particulièrement satisfait du partenariat signé avec Royal Air Maroc et qui vient de boucler son premier anniversaire. «Au cours de sa première année, l'accord de partenariat entre Qatar Airways et Royal Air Maroc a permis d'offrir aux passagers une expérience de voyage inédite vers l'Afrique de l'Ouest, le Moyen Orient et l'Asie. L'accord comporte également un partage de codes qui offre un accès à plus de 50 destinations à travers les réseaux des deux compagnies», souligne le management qatari. Cet accord a d'ailleurs été élargi, en juillet 2016, à Marrakech, ce qui permettra aux passagers de plus d'options. Qatar Airways a en effet annoncé des vols supplémentaires entre Doha, Casablanca et la ville ocre (qui bénéficiera d'un quatrième vol hebdomadaire), tandis que, de son côté, Royal Air Maroc augmentera, dès décembre prochain, la fréquence de ses dessertes entre Doha et Casablanca à raison de 4 vols hebdomadaires. Et à partir du 4 avril 2017, Royal Air Maroc proposera un vol supplémentaire sur la ligne Casablanca-Doha, ce qui portera à 5 le nombre des vols hebdomadaires reliant les deux villes. C'est donc un partenariat au beau fixe et visiblement gagnant-gagnant qui réjouit d'autant le PDG de Qatar Airways Akbar Al Baker. «Je suis très satisfait de la performance de notre partenariat avec Royal Air Maroc», déclare-t-il. «Nous avons constaté une forte demande pour des services au départ et à destination du Maroc et nous avons choisi d'y répondre en ajoutant la ville de Marrakech à notre réseau en juillet dernier. La fréquence accrue des vols entre Doha, Casablanca et Marrakech assurera à nos passagers davantage d'options de voyages, ce qui signifie plus de commodité pour les passagers internationaux. Grâce à cette collaboration fructueuse, les clients de Qatar Airways peuvent profiter du réseau global de Royal Air Maroc en Afrique de l'Ouest, tandis que les passagers de la compagnie marocaine bénéficieront de notre réseau qui s'étend au Moyen-Orient, en Asie et en Australie», ajoute-t-il.