Un immeuble de quatre étages, en construction, faisant partie d'un projet dénommé «Les perles de Californie» à Casablanca, s'est effondré comme un château de cartes. Bilan : deux morts et trois blessés. L'interpellation de l'architecte du projet, Mouna Bennani, a suscité un vaste mouvement de solidarité au sein de la corporation. Aux dernières nouvelles, sa garde à vue a été levée en début de semaine. Mohamed Karim Sbai, président du Conseil régional des architectes du Centre, et expert judiciaire, nous parle des causes de l'effondrement dudit immeuble, tout en délimitant les responsabilités de chacun des intervenants face à un incident de ce genre. Finances News Hebdo : Les architectes de l'ensemble des régions se sont montrés solidaires à l'égard de l'architecte de l'immeuble qui s'est effondré à Casablanca. Croyez-vous en son innocence ? Mohamed Karim Sbai : Notre consoeur, inscrite à l'Ordre de Tanger, a demandé notre soutien. Les architectes du Maroc sont solidaires et se sont mobilisés pour elle. Au niveau du Conseil régional du Centre, nous avons tenu une réunion extraordinaire au cours de laquelle nous avons débattu d'éventuelles pistes pour solutionner le problème. Elle a finalement été acquittée, Dieu merci. F.N.H. : Une architecte écrouée suite à un effondrement d'immeuble. Cela peut-il être justifié ? M. K. S. : Contrairement à ce qui a été révélé par certains médias, notre consoeur a juste été mise en garde à vue dans le cadre de l'enquête. Elle a subi un interrogatoire long parce qu'il fallait interroger et mettre en confrontation les différents intervenants. Nous déplorons cette garde à vue, car ce n'est pas facile pour un architecte d'être convoqué au commissariat et y passer 24 heures. Nous allons militer et faire le nécessaire pour que cela ne se reproduise plus. F.N.H. : Pourquoi l'immeuble s'est-il effondré ? M. K. S. : J'ai été sur place à l'heure qui a suivi l'incident. Il s'agit d'un effondrement partiel et non pas total de l'immeuble, dû à un décoffrage prématuré de la partie inférieure (rez-de-chaussée). Le délai requis pour que la dalle sèche, soit un minimum de 21 jours, n'a pas été respecté. Le chef de chantier a reconnu qu'un de ses ouvriers a décoffré une partie au rez-de-chaussée parce qu'il y avait peu de poutres en bois dans les étages supérieurs. Il y a eu donc une erreur humaine, due à un problème technique lié à l'entreprise et à l'inconscience professionnelle. F.N.H. : Où s'arrête la responsabilité de l'architecte face à ce genre d'incidents ? M. K. S. : Dans l'acte de bâtir, il y a plusieurs intervenants. L'architecte élabore des plans. Le bureau d'études produit les plans de structure et de béton armé. D'autres intervenants sont chargés de l'électricité, la climatisation, etc. Derrière chaque partie technique se trouve un intervenant responsable. L'architecte ne peut en aucun cas assumer la responsabilité des autres intervenants. Certes, il est maître de l'oeuvre, mais sa seule responsabilité consiste à veiller à ce que les différents professionnels soient sur place dans le chantier et que chacun fasse son travail correctement. En tant qu'architectes, nous ne sommes pas habilités à vérifier si un plan de structure a été correctement établi et que la mise en oeuvre a été exécutée dans les règles de l'art. C'est à l'ingénieur de veiller à la bonne exécution de la structure et vérifier le dosage de béton, la qualité et les délais du coffrage. Nous ne sommes responsables que de nos plans d'architecture et de la conformité de nos plans. F.N.H. : Ce genre d'incident se reproduit souvent. Quel regard portez-vous sur le traitement judiciaire qui leur est réservé au Maroc ? M. K. S. : Enormément de problèmes, notamment d'ordre technique, caractérisent l'immobilier bâti en autoconstruction. Il y a beaucoup de non-professionnels dans le secteur immobilier, qui ont certes du matériel, mais manquent de qualifications. Or, ce n'est pas en ayant uniquement de l'argent que l'on devient promoteur immobilier. Il faut avoir les compétences nécessaires pour s'autoproclamer entrepreneur et promoteur immobilier. En tant qu'architecte, il nous est très difficile de savoir, à première vue, si l'entreprise est qualifiée ou non. Nous n'avons pas les moyens de le savoir. Tout ce que nous demandons, c'est l'assurance, les statuts de la société et, parfois, des références qui peuvent être biaisées. Beaucoup de charlatans circulent sur le marché. A force de vouloir bâtir et vendre dans la précipitation, on passe forcément à côté de l'essentiel et...bonjour les dégâts. Sur le plan juridique, on confond souvent entre l'ingénieur spécialisé et l'architecte. Malheureusement, dès qu'un immeuble s'effondre, tout le monde est mis en garde à vue. Il va falloir entreprendre les efforts nécessaires auprès des juges et magistrats pour les sensibiliser et leur montrer une fois pour toutes les limites de notre responsabilité et de notre champ d'intervention, pour justement éviter les amalgames.