Les réseaux sociaux ont révolutionné la prise de parole de millions voire de milliards d'individus de par le monde, tant dans la sphère personnelle qu'en milieu professionnel. Désormais, les entreprises tiennent compte de leur existence dans la conduite des affaires. De plus en plus de salariés utilisent les réseaux sociaux pour parler de manière implicite ou explicite de leur entreprise. Des nouveaux produits et services lancés ou en cours de développement, des conditions de travail, de la hiérarchie, la relation entretenue avec les clients/fournisseurs et même leur niveau de fatigue... Certains salariés formulent parfois des critiques à l'égard de leur employeur ou des décisions prises lors des réunions en interne. Ces propos peuvent être vite repris par les contacts, amis ou followers. L'information confidentielle, sensible ou dégradante de l'image de l'entreprise fait alors tache d'huile. La liberté d'expression des salariés sur le web et en particulier sur les réseaux sociaux pose ainsi de nouvelles questions de droit dans l'entreprise. Existe-t-il des règles légales particulières en matière d'utilisation des réseaux sociaux ? La publication de contenus concernant l'entreprise par un salarié est-elle soumise à des règles juridiques ? Ces questions ont fait l'objet d'une rencontre organisée, mardi 8 mars, par la commission juridique, fiscale et sociale de la Chambre française de commerce et d'industrie du Maroc (CFCIM). Peu à peu, les entreprises prennent conscience de deux choses. La première est que les nouveaux modes d'expression quasi-instantanée marquent l'atténuation de la frontière entre vie professionnelle et vie privée et que le collaborateur décide inconsciemment aujourd'hui de faire passer sa liberté d'expression avant son statut de salarié. La seconde est qu'à travers ces outils, tout l'environnement interne et externe a de plus en plus d'informations sur l'entreprise et ses pratiques. Et indépendamment de l'intention derrière la publication de ces informations, cela crée un décalage avec le discours de l'entreprise. D'où l'intérêt de soigner l'e-réputation de l'entreprise. Concernant les salariés, les propos partagés sur les réseaux sociaux relèvent en principe de leur vie privée et, par conséquent, cela ne peut faire l'objet d'une sanction. Mais cela reste de la théorie puisqu'au Maroc, il n'existe pas de lois précises qui encadrent l'usage du web et, par conséquent, en cas de litiges, c'est le droit commun qui s'applique. Certes, les lois respectent la vie privée mais d'autres droits doivent être respectés : le devoir de réserve à l'égard de l'employeur, l'obligation de loyauté envers l'employeur y compris en dehors des heures de travail, les clauses de confidentialité...
Raja Bensaoud, Consultante en communication stratégique et de crise, Directrice générale du cabinet Capstrat Finances News Hebdo : Comment l'entreprise peut-elle cadrer la prise de parole de ses salariés sur le web ? Raja Bensaoud : Les informations et les propos tenus par les salariés sur les réseaux sociaux peuvent exposer d'une manière directe ou indirecte l'activité de l'entreprise. Cela peut également porter atteinte à son e-réputation. Ces atteintes peuvent provenir soit de commentaires négatifs, soit suite à un comportement malveillant. Pour éviter ce genre de préjudices, il faut instaurer des bonnes pratiques en ce qui concerne les informations sensibles ou confidentielles. L'entreprise doit mettre en place une stratégie de préservation des données en interne et former les salariés sur les règles de confidentialité. La deuxième pratique concerne la prise de parole des salariés sur les réseaux sociaux. Ce qui est recommandé, c'est de mettre en place une charte d'utilisation, à vocation pédagogique, des médias sociaux qui va servir à prévenir l'usage abusif ou inapproprié. Cela permet aussi de sensibiliser les salariés et les responsabiliser sur les conséquences de leurs prises de parole au niveau des espaces numériques. C'est également un moyen pour l'entreprise de réduire les risques d'usage préjudiciable à son image. Avant de parler de l'entreprise, les collaborateurs doivent vérifier s'ils en sont autorisés ou non et quelle est la procédure à suivre. Cela leur évite d'être exposés à des sanctions civiles voire pénales. F.N.H. : Quel rôle joue le community manager (CM) dans cette problématique ? R. B. : Aujourd'hui, le CM est une fonction qui s'impose dans toutes les entreprises parce que même si elle n'est pas présente sur le web volontairement, elle l'est déjà d'une manière involontaire. Donc, l'entreprise doit cadrer et travailler sa présence sur le web. Le chef d'orchestre en la matière est le CM. Il doit organiser la prise de parole des salariés autorisés à parler au nom de l'entreprise et être l'initiateur de la charte de conduite. Quand il y a dérapage, les salariés mettent le feu volontairement ou involontairement sur le web et c'est à ce CM de l'éteindre; Donc, il a intérêt à s'approcher des salariés pour les sensibiliser et encourager la direction à adopter la charte de bonne conduite.
Sylvain Alassaire, conseiller juridique en droit des affaires, gérant-associé du cabinet Alassaire juriconseil. Finances News Hebdo : Pour l'entreprise, quels sont les risques liés à l'usage des réseaux sociaux par les salariés ? Sylvain Alassaire : Le salarié peut divulguer d'une manière intentionnelle ou involontaire notamment des informations confidentielles sur l'entreprise, transmettre aussi des données à caractère personnel en infraction à la loi 09-08 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel. Il peut également porter atteinte à l'image de l'entreprise. Par ailleurs, tout type d'information peut être utilisé par des hackers afin de commettre des escroqueries par le biais d'un chantage informatique ou du spear phishing. F.N.H. : Que risque le salarié dans ce cas ? S. A. : Au Maroc, il n'existe pas de lois spécifiques sanctionnant l'utilisation malintentionnée des réseaux sociaux. C'est donc le droit commun qui est appliqué : le code pénal en cas de diffamation, d'injure ou d'escroquerie, l'article 77 du DOC en cas de faute délictuelle et les lois concernant les problématiques liées aux atteintes aux droits de la propriété intellectuelle. F.N.H. : Un employeur peut-il chercher des informations publiées sur les réseaux sociaux par son salarié pour le sanctionner ? S. A. : Oui, à condition de ne pas porter atteinte au principe de protection de la vie privée et des communications privées, principe garanti par l'article 24 de la Constitution. La question ne se pose pas si les informations publiées le sont sur des réseaux ouverts disponibles à tous. En application du principe précité, l'employeur ne pourrait rechercher des informations postées sur les réseaux qu'à partir d'un poste informatique ou d'un outil connecté mis à la disposition d'un salarié. L'employeur devra apporter la preuve du contenu reproché au salarié et de son imputabilité à ce dernier avant toute sanction. Au préalable, il serait opportun que les entreprises définissent dans les contrats de travail, ou leur règlement intérieur, ou dans une charte les modalités d'utilisation des réseaux sociaux par les salariés et des règles de bonne conduite.