On compte près de 17.000 dialysés et environ 400 greffés du rein, essentiellement à partir de donneurs vivants apparentés. Bien que l'Islam l'autorise, avec un cadre réglementaire établi et une technique thérapeutique bien rodée, le sujet demeure un grand tabou au Maroc. Pour le Professeur Amal Bourquia, présidente de l'association REINS, un débat national sur le don et la greffe d'organes s'impose en urgence pour établir une stratégie nationale visant à promouvoir le don d'organes au Maroc. Finances News Hebdo : La Journée mondiale du don et de la greffe d'organes, célébrée le 17 octobre de chaque année, est un moment privilégié de faire le bilan au Maroc. En tant qu'association, vous avez longuement oeuvré sur le terrain. Quelle évolution en faites-vous ? Amal Bourquia : En l'absence de statistiques très précises, on peut avancer des chiffres approximatifs. Jusqu'à l'instant, on compte près de 17.000 dialysés et environ 400 greffés du rein, essentiellement à partir de donneurs vivants apparentés. Ces chiffres parlent d'eux-mêmes. La greffe à partir de donneurs décédés n'a été effectuée qu'en 2010 et ne compte qu'une dizaine de cas. Je pense que, et je l'ai toujours souligné, la greffe se développe par la volonté de tous, y compris les responsables de santé et la société civile. Par ailleurs, au Maroc, il y aurait 3 millions de Marocains atteints de maladie rénale chronique. Non détectées, les maladies rénales entraînent une perte progressive de la fonction des reins et vont mener au traitement par dialyse ou greffe. C'est ainsi que notre association s'est, depuis sa création, fixée comme principal objectif de développer la greffe rénale, et donc de tout mettre en oeuvre pour ce combat nationnal. Aussi, et comme vous le savez, la greffe d'organes s'entoure d'un ensemble de représentations culturelles autour de la perception du corps, du don et de la mort. Les citoyens montrent une attitude globalement favorable vis-à-vis du don et de la greffe d'organes, et ce malgré la méconnaissance du sujet. L'Association REINS a aussi travaillé sur différents aspects de sensibilisation : livres, films, chansons, dépliants, affiches, rencontres, séminaires, réseaux sociaux... mais nous constatons que l'engouement des Marocains pour le don reste très timide. Des publications ont été faites dans ce sens, dont le livre : plaidoyer pour la transplantation rénale, l'ouvrage Ethique et greffe, des dépliants, des affiches, un film «La greffe ...un bonheur retrouvé», une chanson... le site de l' association en parle aussi. Dans ce cadre REINS a aussi organisé de nombreuses rencontres et conférences sur le don et la greffe d'organes. On peut dire que les efforts commencent à donner leurs fruits, avec une mobilisation accrue des citoyens. Nous avons aussi lancé une pétition pour un débat national, et démarré une campagne nationale pour le don. Et nous espérons continuer notre lutte. La mobilisation des médias aide énormément pour cette sensibilisation. Nous souhaitons que les responsables se mobilisent pour donner à ce traitement la place qui lui sied dans notre pays. F.N.H. : Quelles sont les actions-phares menées cette année par votre association dans ce sens ? A. B. : Forte de son expérience et de ses actions inlassables tendant à promouvoir le don d'organes dans notre pays, l'Association REINS a lancé, il y a une année, plusieurs campagnes de sensibilisation couplées de signatures de groupes sur les registres de dons d'organes ouverts dans tous les tribunaux de première instance du Royaume. Elle a également lancé un «réseau national de don d'organes», qui se propose de développer les actions de promotion du don d'organes dans notre pays. Et ce n'est pas tout. A l'occasion de la célébration de la Journée mondiale (17 octobre), l'association a organisé une conférence à Casablanca, en présence des associations, des donneurs et des receveurs. Lors de cette rencontre, l'association REINS a passé en revue le bilan de ses activités pour l'année 2014-2015 et présenté les actions programmées pour l'année prochaine. Au cours de cette journée mondiale, la championne marocaine du monde de sport automobile, Hind Abatorab, a dévoilé sa voiture de course qui porte le logo REINS et le slogan du don. C'est une occasion de véhiculer des messages prônant les valeurs de partage, de solidarité et de générosité vis-à-vis des patients dans le besoin d'organes pour sauver leur vie. Certes, REINS, qui poursuit sa mission d'information et de sensibilisation au don et à la greffe d'organes, se fixe comme objectif l'encouragement et la motivation des citoyens pour le don afin d'aider à l'essor de cette thérapeutique. La sensibilisation des jeunes reste l'objectif prioritaire de cette année. Dans ce sillage, une campagne de sensibilisation au don d'organes et de tissus sera lancée dans les établissements scolaires de la préfecture Casa-Anfa, le but étant d'ancrer la culture du don d'organes chez les jeunes. F.N.H. : Cela s'est-il répercuté sur le nombre d'enregistrement dans les registres de dons ? A. B. : Certainement, il y a eu une prise de conscience de la part des citoyens, mais le nombre de personnes qui se sont inscrites sur les registres de dons ouverts dans les tribunaux demeure insuffisant par rapport aux efforts menés dans ce sens. Peu de Marocains franchissent le pas pour aller signer le registre de dons. J'estime qu'il est grand temps d'engager un débat national avec la participation de toutes les parties concernées, professionnels, médecins, décideurs, religieux, experts... en vue de tracer les contours d'une stratégie nationale visant à promouvoir le don d'organes au Maroc. F.N.H. : Qu'en est-il de l'a priori religieux, bien que le don d'organes soit encouragé par l'Islam ? A. B. : Avec le temps, je pense que c'est la peur de l'inconnu qui fait qu'on avance la religion comme argument. Les musulmans savent très bien que tout ce qui sauve la vie est permis en islam; par ailleurs, les fatwas existent et sont connues de tous, et nos imams le savent. Donc si quelqu'un veut donner, il peut s'infor mer sur cette question pour le faire. F.N.H. : Aujourd'hui, le cadre réglementaire, notamment la loi n° 16-98, est-il propice pour pro-mouvoir cette pratique thérapeu-tique ? A. B. : Absolument, nous n'avons pas de problème particulier au niveau de la loi. Il y a de petites modifications qu'il serait intéressant à proposer pour facili-ter l'opération de don d'organes. F.N.H. : En chiffres, que pèse le don et la greffe d'organes par rapport à d'autres pratiques thé-rapeutiques ? A. B. : Comme vous le savez, le don d'organes est le prélèvement d'organes et de tissus d'un corps humain pour traiter des patients dont les organes essentiels sont gravement atteints. Le prélèvement chirurgical peut s'effectuer sur des personnes mortes ou en état de mort cérébrale (don d'organes post mortem) ou sur des personnes vivantes. Dans ce contexte, la greffe rénale s'im-pose comme une alternative thérapeu-tique efficace dont la pratique s'est beaucoup améliorée grâce aux progrès des techniques chirurgicaux, à l'appari-tion de nouveaux immunosuppresseurs plus efficaces et provoquant moins de complications, et surtout grâce à la meil-leure organisation des équipes médico-chirurgicales. Les résultats des greffes rénales, notamment, se sont améliorés avec le temps, offrant au malade un meilleur confort de vie. Par ailleurs, l'introduction de la Celio chirurgie et des robots a permis de réduire le temps de séjour à l'hôpital pour le donneur et le receveur, et de réduire énormément la douleur pour le donneur, et aussi le coût de la greffe. Recevoir une greffe de rein permet d'améliorer significativement la qualité de vie des malades. Elle permet d'échapper à la dialyse très contrai-gnante. Greffés, les patients retrouvent une vie normale et une liberté de mouve-ment. Ils peuvent reprendre une activité professionnelle. Les personnes greffées peuvent refaire du sport, ce qui est même encouragé. Il permet, d'une part, de réadapter le corps à l'effort, et d'autre part, de récon-cilier la personne greffée avec son corps. Il y a donc un double bénéfice, thérapeu-tique et psychologique. F.N.H. : Comment comptez-vous, dans le cadre de votre asso-ciation, lutter pour sensibiliser encore à l'importance du don d'organes ? A. B. : Certainement, les avancées médicales et l'encadrement juridique des transplantations sont deux vecteurs insuffisants pour l'essor de la médecine des transplantations. Ainsi, l'accepta-tion sociale de la greffe d'organes est une condition impérative de son déve-loppement. Cela suppose un travail de communication, de sensibilisation et d'explications auprès de la population. Le développement de la transplantation dépend étroitement de la manière dont la société conçoit cette activité médi-cale particulière, et intègre la recon-naissance légale de la mort cérébrale comme critère de la mort. Ainsi, la médecine de transplantation ne soulève pas seulement des ques-tions relatives aux droits et aux devoirs moraux des personnes, mais elle est aussi une source de défis éthiques pour la société tout entière. Dans ce cadre, nous continuons notre combat à travers l'organisation de davantage de campagnes de sensibi-lisation, et le lancement d'initiatives et d'actions pour informer les citoyens des bienfaits du don d'organes. Pour cette année, les campagnes de sensibilisation ciblent en priorité les jeunes. Il est prévu le lancement d'une campagne de sensibilisation au don d'organes et de tissus dans les éta-blissements scolaires et universitaires, le but étant d'ancrer la culture du don d'organes chez les jeunes. Le don d'organes est un acte de géné-rosité permettant de sauver des vies, que l'Islam encourage et que la loi encadre de façon très précise. Ce faisant, il est grand temps de déve-lopper régulièrement des actions de communication et d'information sur les maladies rénales pour être plus proche du citoyen et l'aider à faire son choix, en ayant toutes les informations néces-saires.