L'effondrement des immeubles risque de se répéter si les autorités n'assument pas leur responsabilité. Plus de 114.000 habitats menaçant ruine sont recensés à travers tout le Royaume. Des défaillances juridiques et réglementaires sont à combler pour lutter contre le phénomène. L'effondrement de trois immeubles au quartier Bourgogne à Casablanca a suscité une vive émotion suite aux décès de 24 personnes, et une forte indignation nationale qui a interpellé les plus hautes sphères de l'Etat. Ce drame n'est pas isolé et il tire la sonnette d'alarme sur l'anarchie qui frappe de plein fouet le secteur de la construction, impacté de plus en plus par l'informel. La complicité ou l'irresponsabilité des autorités est pointée du doigt. Le phénomène risque de s'amplifier durant les prochaines années si rien n'est fait pour le stopper. «Cette catastrophe aurait pu être évitée s'il y avait eu respect des normes de construction. L'inconscience et l'opportunisme de certaines personnes, aidées en cela par la mauvaise gouvernance locale des autorités sont les véritables responsables de ce drame», résume d'emblée Mostafa Mellouk, militant associatif à Casablanca. Suite à ce tragique événement, plusieurs voix officielles ou de la société civile se sont élevées pour dénoncer les défaillances du secteur de la construction au Maroc. Nabil Benabdellah, ministre de l'Habitat et de la Politique de la ville, a fait porter le chapeau aux élus locaux qui, selon lui, ne cherchent que leurs propres intérêts au détriment de ceux des citoyens. La prochaine assemblée du Conseil de la ville de Casablanca s'annonce d'ores et déjà houleuse. A l'approche des élections locales, plusieurs partis politiques veulent faire de la «récupération» au profit de leur campagne. «Il ne faut pas se rejeter la responsabilité. Nous sommes tous responsables, y compris les citoyens. Il faut dénoncer tous les abus par la manière la plus ferme. Nabil Benabdellah doit, lui en premier, assumer ses responsabilités. Plusieurs lois sont encore en berne et ont pris un sacré coup de retard, comme le Code de la construction ou encore celui sur l'habitat menaçant ruine», explique-t-on auprès du Conseil de la ville de Casablanca. «Il y a eu une prolifération des habitats anarchiques ces dernières années qui a été amplifiée durant l'année 2011. Avec le printemps arabe, les autorités, pour maintenir la paix sociale, n'ont pas intervenu pour stopper les constructions anarchiques, surtout ces bidonvilles aériens. Dans les quartiers populaires, la plupart des maisons R+1 ou R+2 se sont transformées, en un laps de temps réduit, en R+3, R+4, voire 5 étages. Ces surélévations non autorisées ne respectent aucune norme de sécurité ou d'urbanisme», affirme Jawad Adil, conseiller de la ville de Casablanca. Il explique que «certains résidents irresponsables qui obtiennent des permis d'entretien, n'hésitent pas à profiter de ce césame pour ajouter des étages». Il y a des enjeux socioéconomiques qui amplifient ce phénomène. Le difficile accès au logement est un facteur incitatif pour ces habitats anarchiques. Pour contourner la pression démographique, les résidents des quartiers populaires n'ont de choix que l'option de la verticalité pour s'assurer de nouveaux foyers. Pression sur le foncier Avec une population de moins de 20.000 habitants au début du 20ème siècle, les résidents de l'ancienne médina de Casablanca sont estimés actuellement à plus de 320.000 sur la même superficie. Plus de 80% des maisons ont plus de 60 ans d'âge et elles ont été construites avec des matériaux basiques sans fondations, ni poutres. Ce constat est pratiquement le même pour toutes les zones d'habitat où il y a un niveau de vétusté élevé. «L'essor démographique et urbanistique qu'a connu le pays ces dernières années a créé une forte demande sur le foncier. Les villes ont évolué plus vite que l'offre foncière disponible. En l'absence d'un cadre juridique transparent et une visibilité pour les prochaines années, la pression sur le foncier s'accentuera», explique Mohamed El Amrani, professeur universitaire. Dans les zones périphériques et autres quartiers défavorisés, bien que l'habitat clandestin fasse rage, l'Etat semble incapable de mettre un terme à ce désordre. Certes, le ministère de l'Intérieur a démis de leurs fonctions plusieurs présidents de communes et autres conseillers sans compter les agents d'autorité (caïd, cheikh, moqaddam...) à cause du non-respect des normes de l'urbanisme. Mais il faut dire également que la percée du phénomène n'est pas due uniquement au manque de rigueur des autorités, mais également à la défaillance de l'arsenal juridique qui reste largement en deçà des besoins du pays en la matière, notamment l'absence d'un Code de la construction et aussi de plans d'aménagement. A quand la loi sur l'habitat menaçant ruine ? La loi sur l'habitat menaçant ruine tarde à voir le jour. Ce texte prévoit notamment la création d'une agence spécialisée dans la lutte contre ce fléau. La problématique des logements vétustes exige l'intervention de l'Etat et la mobilisation de ressources financières conséquentes. Si les bidonvilles posent un problème de dignité, les logements insalubres ou menaçant ruine posent en plus le problème d'un risque certain pour des vies humaines. C'est pourquoi ils doivent constituer une priorité absolue dans les projets de la politique gouvernementale de l'habitat et de la politique de la ville. Selon les statistiques officielles du ministère de l'Habitat et de la Politique de la ville, il y a environ 114.000 constructions menaçant ruine situées dans 31 médinas et habitées par 740.000 ménages, soit 4,5% de la population urbaine. Ces chiffres sont incomplets du fait qu'ils n'englobent pas les autres quartiers qui ne sont pas recensés. Le département de l'Habitat estime que la solution à cette problématique nécessite un budget de 10 milliards de dirhams, et que l'Etat marocain avait consacré une enveloppe de 1,35 milliard de DH entre 2003 et 2011 pour apporter des solutions à ce phénomène à travers des mesures qui ont bénéficié à 87.000 ménages.