Il fallait le vrai livre sur Lyautey, sur le mythe du premier résident de France au Maroc ! Le voilà, écrit par Guillaume Jobin, président de l'Ecole supérieure de journalisme de Paris : «Lyautey, le Résident»* ! La passion de démontrer le contraire de la légende qui enferre le maréchal de France, la volonté aussi de faciliter la lecture d'une époque charnière de l'histoire du Maroc, et la familiarité avec son sujet donnent au livre de Guillaume Jobin une dimension singulière. Les mythes ont la dent dure, et celui de Lyautey n'en échappe pas, tant il est vrai qu'il reste l'objet d'un discours manichéen : tantôt laudateur, tantôt hostile. Or, les deux attitudes non seulement pèchent par excès, mais renforcent l'erreur sur un homme qui a simplement vécu une passion : le Maroc. Ce n'est pas un hasard si, en sous-titre de son livre, Guillaume Jobin a choisi cette épitaphe : «Le Maroc n'est qu'une province de mon rêve» ! Elle traduit bel et bien l'esprit dans lequel s'était inscrite, en 1912, la démarche du maréchal, venu d'Algérie et franchissant, entre gloire et insatiable curiosité, la frontière à Oujda. Ce n'était pas «A l'ouest, rien de nouveau», mais à l'ouest tout est à découvrir et conquérir ! lyautey n'avait pas regagné le Maroc, démuni ou en touriste découvreur, mais quasiment imprégné de sa culture et de sa civilisation. La note de présentation du livre précise : «Contrairement à la légende, Lyautey n'était ni aristocrate ni monarchiste mais un bon républicain. Plus Haut fonctionnaire que militaire, anticolonialiste et captivé par l'économie» ! Et de préciser les contours d'un tempérament aigu : «il a parfaitement rempli sa mission pour la France au Maroc. Artiste, athée, versatile, homosexuel, dilettante, indépendant, narcissique, sub-dépressif et impatient, Hubert Lyautey disait de lui-même qu'il était «tout cela à la fois et bien plus». Enfin, il est surtout le père de «l'exception franco-marocaine», la bonne entente privilégiée entre les deux nations». On ne s'étonnera pas que dans le sillage des nombreux textes produits sur ce personnage haut en couleurs, chamarré de médailles et d'emblèmes d'empire, Guillaume Jobin ait privilégié une certaine «part d'ombre» de la légende. Son livre participe d'une décantation anthropologique et ne relève pas simplement de la biographie pourtant si fascinante ! La légende du siècle est replacée dans un contexte historique que l'auteur décortique avec talent, dans un style qui ne sacrifie ni à la flamboyance, ni non plus à la vulgate. Quant à la rigueur intellectuelle, elle est au cœur de l'ouvrage qui est truffé de révélations surprenantes, notamment sur la procédure de conquête du Maroc par Hubert Lyautey. Celui-ci, connaisseur avant terme des valeurs culturelles du Maroc, a opté pour une approche discursive de l'Islam incarné à cette époque par des docteurs en religion ouverts sur l'Europe que par un autre paradigme ou même via le Sultan. «Lyautey, indique Guillaume Jobin, est le premier pratiquant, raisonné et affiché de l'application du concept de la religion «véritable opium du peuple» puisque c'est bien plus grâce à l'islam qu'au Sultan qu'il s'empare du Maroc (...) Ce fait indéniable est largement passé sous silence parce qu'il renvoie à un islam intellectuel et cultivé dont on peine aujourd'hui à retrouver des traces». Aussi inédite que cela puisse paraître, cette hypothèse est confrontée à la réalité de l'époque selon laquelle la religion est forte mais pas dominatrice. Et le mérite du livre de Guillaume Jobin, qui nous transporte dans les arcanes et les effluves d'une fascinante époque de l'histoire du monde, est de résister aux mythes... Un livre qui tombe à point nommé, une démarche d'historien où se croisent le souci de l'éclairage et la pédagogie. *(Casa Express Editions)