Mohammed VI s'inscrit dans la lignée des rois réformateurs qui ont marqué l'histoire du pays. vous l'avez bien lu : Mohammed VI est le premier roi marocain démocrate. Une vocation qu'aucun sultan ni aucun roi n'a égalée, ni peut disputer. Depuis l'avènement de la dynastie alaouite, - fondée en 1666 par Moulay Ali Chérif -, jamais aucun roi alaouite n'a autant été acquis aux valeurs de progrès et de démocratie. Les témoignages, recueillis ici et ailleurs, sont unanimes sur cette vocation pionnière de Mohammed VI. Les acquis accumulés depuis l'accession de M6 sur le trône alaouite, en juillet 1999, nous édifient à bien des égards sur cet aspect précurseur. Mais voilà, fallait-il attendre l'arrivée de Mohammed VI, - quatre siècles après l'avènement de la dynastie alaouite -, pour que le royaume s'arrime, enfin, à la démocratie ? Cela veut-il dire que les prédécesseurs de Mohammed VI étaient moins enclins à la réforme ? Que peut-on, finalement, retenir de leur succession à la tête du Trône alaouite ? Un Moulay Abdelaziz à qui une certaine «légende» attribue le «forfait» d'avoir failli «troquer» l'empire chérifien contre un vélo français ? De s'être «amusé» à prendre des clichés de son harem ? Ne fallait-il pas y déceler, plutôt, les prémisses du modernisme au Maroc, comme l'avait si bien démontré, dans son excellent ouvrage «Dans l'intimité du Sultan», le conseiller artistique de Moulay Abdelaziz, Gabriel Veyre. Mais passons, car il y a des exemples, certes peu nombreux mais on ne peut plus édifiants, sur cette vocation moderniste des sultans et rois alaouites. Les sultans réformateurs (1822-1894) A partir de 1822, trois sultans alaouites auront à cœur de moderniser le pays. Il s'agit du père Moulay Abderrahmane, du fils Sidi Mohammed et son héritier Moulay Hassan. D'après certains historiens, le sultan Sidi Mohammed (1859-1873) serait «le plus réformateur des sultans marocains». «Ce sultan, qualifié par l'historien Jean Lemiège de sultan du progrès, avait chargé l'ingénieur anglais Sairlie de construire une usine de confection du coton à Marrakech», certifie Zaki Moubarak, historien. Les origines de l'industrie du textile au Maroc remonteraient ainsi à l'époque de ce sultan éclairé. Mais voilà, cet acte, si novateur soit-il, peut-il amener à concéder à ce sultan le titre glorieux de «sultan réformateur»? A l'évidence, loin s'en faut. Seulement voilà : en 1862, le même sultan «confie certains travaux publics à l'ingénieur anglais Clakson Guy pour la construction d'un pont sur l'oued Oum Er-rbie», fait valoir l'historien Zaki Moubarak. Selon le même historien, le Maroc doit au même sultan la construction, à Tanger, du premier moulin à vapeur. Cette tâche est alors confiée à l'ingénieur Philipe Graygon. Dans le même élan, le sultan introduira, au Maroc, la première imprimerie. Et c'est la ville de Fès, haut lieu du savoir, qui a le privilège d'accueillir cette première imprimerie, dont les bienfaits auront été expliqués au sultan par l'ex-ambassadeur de Sidi Mohammed, Idriss El Amraoui. Ce sont là trois exploits majeurs à mettre à l'actif du sultan Sidi Mohammed et qui ont forcé, sinon l'admiration, du moins le respect de l'intelligentsia européenne. Mais cette vocation, Sidi Mohammed la doit aussi à son père Moulay Abderrahmane. Ainsi ce n'est pas un hasard si, en 1832, le célèbre artiste peintre français consacre un portrait laudateur à Moulay Abderrahmane, sous l'intitulé «Le Sultan du Maroc». Ce n'est pas un hasard non plus si l'émir Abdelkader, chevalier de la foi, exprime au même sultan, dans une lettre inédite, son allégeance et salue son appui au Jihad du voisin algérien contre l'occupant français. Pour rappel, cet appui a valu au sultan la cinglante défaite d'Isly. Un choc militaire et psychologique qui n'était pas aisé à assumer par le père Moulay Abderrahmane, encore moins par le fils héritier Sidi Mohammed. C'est ce dernier qui, en 1844, est dépêché par son père pour combattre les Français à Isly. Il a fini par lâcher l'allié algérien, pour s'intéresser à une Europe alors en plein essor économique. Encore lui fallait-il compter avec le voisin ibérique, l'Espagne. En 1860, tout juste sultan, Sidi Mohammed doit faire face à la prise de Tétouan. Et il ne doit la libération de cette ville marocaine qu'à une intervention anglaise. Sur le plan interne, la tâche du jeune sultan n'a pas été de tout repos. Mais sa perspicacité lui évitera de s'épuiser en guerres intestines, préférant plutôt tirer un meilleur profit des progrès économiques européens. Les prémices de la modernité Quant au sultan Moulay Al Hassan, en dépit de ses tournées de longue durée pour imposer l'autorité du Makhzen dans les différentes régions du Maroc, il n'a pas manqué de poursuivre l'œuvre réformatrice de son père Sidi Mohammed et son grand-père Moulay Abderrahmane. Ainsi s'est-il penché sur les entreprises à caractère commercial et financier, érigeant à Tanger notamment un quai en bois pour faciliter le débarquement des passagers. Comme il a donné une forte impulsion à certaines industries qui avaient été lancées par son père Sidi Mohammed, notamment le moulin à vapeur de Tanger, l'usine de confection du coton et la manufacture de sucre à Marrakech. Le Maroc lui est redevable également de la construction, dans la ville du Détroit, d'une fabrique de verre, d'un hôtel de monnaie à Fès … Voyez-vous, on pourrait allonger la liste des preuves sur la «fibre réformatrice» des sultans et rois du Maroc, mais abrégeons : Cet élan a dû être freiné en 1894, au moment où le colon français rôdait déjà autour des frontières du Royaume. En 1912, Moulay Hafid est dans l'obligation d'accepter le traité du Protectorat. Tout bien considéré, il ne s'agissait toutefois là que de «prémices» de modernité étouffées tantôt par les guerres internes tantôt par les puissances étrangères. Ce n'est qu'avec l'avènement de Mohammed VI que le mot «réforme» a réellement acquis ses lettres de noblesse, dans la mesure où l'actuel roi a donné à la réforme inachevée, pour ne pas dire «loupée», de ses prédécesseurs une structure et un plein contenu. Avec la nouvelle Constitution, résultat d'une consultation plurielle et nationale, l'actuel souverain a réussi à inscrire, de facto, son pays dans la droite ligne des monarchies les plus avancées au monde. Cet exploit est d'autant plus remarquable qu'il a été réalisé en un temps record : il a fallu à l'actuel roi seulement une décennie pour accomplir ce que l'on peut qualifier, à juste titre, de véritable «révolution démocratique». M'Hamed Hamrouch