Une dévaluation du taux de change permet de générer un excédent commercial, mais un tel changement n'est pas aussi systématique. Face à une montée des pratiques déloyales émanant d'autres pays, le concept de libéralisation des échanges doit être pris avec beaucoup de précautions. Brahim Temsamani, directeur du Cycle supérieur et formation des cadres Groupe eHECT, éclaire sur les enjeux de la politique de change dans un contexte marqué par la signature d'une multitude d'accords de libre-échange. Finances News Hebdo : Certains analystes considèrent que la politique de change adoptée par le Maroc est à l'origine des faibles performances à l'export. Quelle en est votre propre appréciation ? Brahim Temsamani : Il y a effectivement une part de vérité dans cette interrogation dans la mesure où, théoriquement, lorsque le Maroc déprécie sa monnaie par rapport à l'Euro (devise de notre principal partenaire économique), les produits nationaux deviennent moins chers pour l'étranger et les exportations augmentent en volume. De même, les produits étrangers seront plus chers et les importations diminueront aussi en volume. Autrement dit, une dévaluation du taux de change permet de générer un excédent commercial puisqu'en principe les exportations augmenteront sensiblement par rapport aux importations. Mais ce changement n'est pas automatique et systématique et ce, au moins pour deux raisons fondamentales : D'une part, il y a «l'effet-volume», c'est-à-dire qu'il faut du temps pour que les producteurs marocains améliorent leurs capacités de production et répondent parfaitement à la demande étrangère. Dans le même ordre d'idées, les acheteurs étrangers auront besoin du temps afin de trouver les meilleurs fournisseurs marocains ; Et d'autre part, l'«effet-prix» se manifeste du moment où il y a une hausse des prix des produits importés. Dans ce cas, les Marocains vont consommer moins de produits importés et vont privilégier les produits nationaux substituts. Toutefois, là aussi il faut du temps pour que les producteurs marocains offrent des produits de substitution de qualité. Par ailleurs, la faible performance de nos exportations (le taux de recouvrement des importations par les exportations se situe en moyenne dans le contexte marocain aux alentours de 4 mois) a trait aussi à la nature de ces dernières. Nous continuons à exporter vers le reste du monde des produits et des marchandises à très faible valeur ajoutée : phosphates, tomates, agrumes, poissons, agroalimentaire... ; alors que nos importations sont constituées essentiellement soit de produits à très forte valeur ajoutée : ordinateurs, machines, technologie de pointe, ..., soit des produits de consommation intermédiaire et de l'énergie. F. N. H. : Durant les moments de crise internationale, la valeur du Dirham est restée à l'abri des fluctuations qui secouent la plupart des marchés. Quel est le gain escompté du maintien d'une forte réglementation de change dans un contexte marqué par la libéralisation des échanges ? B. T. : Effectivement, le Dirham était à l'abri de l'impact des variations Euro-Dollar, néanmoins la parité entre l'Euro et le Dollar a fluctué en moyenne entre 1,28 et 1,32. Si nous avons assisté depuis le début de l'année à une forte appréciation du Dollar face à la monnaie européenne, à partir du mois de mai, nous observons, au contraire, un mouvement inverse parce que la zone euro a commencé à sortir progressivement de sa récession et de son marasme économiques en réalisant un taux de croissance entre +0,2 et +0,3% à la fin de l'année 2013. Aujourd'hui, la BCE et le FMI tablent sur un niveau de croissance de PIB qui peut aller jusqu'à 1%. En réalité, le Dirham est indexé à un panier de devises constitué exclusivement de l'Euro (80%) et du Dollar (20%). Mais, pour garder une position relativement stable, la monnaie nationale s'est dépréciée de 0,5% vis-à-vis de la monnaie unique et s'est appréciée de 2,1% à l'égard du billet vert. Le terme libéralisation des échanges doit être pris avec beaucoup de précautions. F. N. H. : Pourquoi à votre avis ? B. T. : Tout d'abord, le cas récent de la Turquie et de l'Union Européenne qui pratiquaient une politique déloyale à l'encontre de l'acier marocain a fini par pousser les autorités marocaines, après de longues discussions et tergiversations, à mettre en place une politique anti-dumping permettant d'appliquer des droits supplémentaires de 29,12% à l'importation des tôles d'acier en provenance des pays de l'Union Européenne afin de protéger la production nationale et plus particulièrement la société Maghreb Steel. Ensuite, l'importation des produits falsifiés et de contrefaçon, notamment en provenance de la Chine, a remis en cause le principe de libéralisation des échanges et les accords de libre-échange entre pays. Et comme réaction à ce nouveau fléau, les autorités marocaines ont proposé dans l'actuelle Loi de Finances 2014 des mesures draconiennes pour lutter contre ces pratiques déloyales et frauduleuses. Finalement, même l'actuel directeur général de l'OMC, Roberto Azevedo, a affirmé, lors de la dernière conférence de Bali, que le secteur agricole ne sera pas totalement libéralisé car plusieurs pays, notamment l'Inde, continuent à subventionner (à concurrence de 10%) leurs programmes et politiques agricoles. F. N. H. : Ne pensez-vous pas que le rôle du taux de change, en tant qu'instrument d'impulsion pour un meilleur positionnement compétitif, reste relégué au second rang ? B. T. : Oui, le taux de change peut être un instrument très efficace pour améliorer la compétitivité du Maroc sur la scène internationale. Malheureusement, le Royaume occupe actuellement une position peu honorable d'autant plus qu'il est passé du rang 70 à la position 77. Le fait de recourir au taux de change en tant que levier de la croissance économique et de l'amélioration du commerce extérieur doit être utilisé de façon prudente et exceptionnelle. Il faut, à notre sens, agir aussi et surtout sur les autres variables en choisissant la «combinatoire» (au sens de Guy Leboterf) la plus adéquate et la mieux adaptée au contexte de sortie de la crise actuelle. Il s'agit entre autres de : Réformer la fiscalité pour une meilleure promotion des exportations ; Accorder des aides techniques et en matière de formation pour les entreprises marocaines exportatrices ; Encourager les PME/PMI ; Changer la structure des importations marocaines ; Créer des partenariats régionaux et des zones de libre-échange (pays de l'UMA et de l'Afrique) ; Exporter des produits à forte valeur ajoutée ; Produire localement des produits substituts ; Mettre en place une «politique marketing» agressive pour la promotion des produits nationaux destinés à l'exportation ; Participer de façon massive aux foires internationales. Pages réalisées par S. Es-siari & I. Bouhrara