Pour certains, la dévaluation du dirham est une nécessité pour renforcer la compétitivité de l'économie alors que d'autres estiment que c'est une mesure inutile. Le gouvernement devrait mieux procéder à une refonte générale. Karim Tazi, président de l'AMITH : Sommes-nous devenus une nation de consommateurs ? La dévaluation du dirham n'est pas une fin en soi. L'idéal est d'avoir une économie compétitive, et ce surtout à l'export, puisqu'il est acquis que la demande intérieure marocaine ne suffira jamais à soutenir un niveau de croissance suffisant pour résorber tous les déficits sociaux. Tourisme mis à part, notre machine à exporter est grippée, notre déficit commercial se creuse et tout cela est très inquiétant pour l'avenir. Les partisans du dirham fort défendent un point de vue des consommateurs, mais sommes-nous devenus une nation de consommateurs ? Ma position est que nous devons d'abord relancer la croissance et l'export par des mesures structurelles mais en attendant qu'une dévaluation aurait le mérite de rétablir une compétitivité de l'entreprise marocaine sérieusement mise à mal, de freiner un tant soi peu les importations et de nous mettre face à une dure réalité c'est que nous sommes moins riches que certains semblent le penser. My Abdallah Alaoui, président de la Féd : l'EnergieNous subissons déjà une dévaluation de fait Le problème n'est pas d'être pour ou contre la dévaluation. À mon avis, il faut tout d'abord évaluer, peser le pour et le contre, tout en établissant l'inventaire de nos forces et faiblesses. En fonction de ce diagnostic, le Maroc devra prendre une décision. Par contre, selon les économistes, la dévaluation équivaut à la sanction de la gestion économique d'un pays. Ceci est loin d'être le cas du Maroc. Il y a assurément des secteurs qui se portent mieux que d'autres. Autre paramètre à tenir en compte, le Maroc n'est pas un pays exportateur. À par les phosphates, textile et les agrumes, notre capacité exportatrice reste faible. En plus, le poids de la dette est bien pesant. Une gestion prudente de ce stock de dette plaide plutôt en faveur de la non-dévaluation. Franchement, je pense qu'il y a déjà une dévaluation d'office. L'effet de change ne doit surtout pas être plus aggravé. Puis, le Maroc est un pays importateur de pétrole. Compte tenu de la flambée des prix, l'effet dollar nous est plutôt bénéfique. Il faut aussi rappeler que notre devise a subi une érosion progressive et graduelle. Le dirham est déjà déprécié. Les chiffres ne plaident pas en faveur d'une dévaluation actuellement. Mohamed Karia, président de l'IMTC : La dévaluation ne profite pas aux opérateurs maritimes Dévaluer le dirham peut profiter évidemment à certains exportateurs. Mais en tant qu'opérateur maritime, je dirais qu'une monnaie nationale faible ne nous profite pas. Cela alourdirait nos coûts de fonctionnement, avec des achats libellés en euro (pour les pièces de rechange par exemple). Cela sans parler des affrètements et des coûts divers. Bref, tout ce que nous allons acheter à l'étranger reviendra plus cher si on dévalue la monnaie marocaine. Abderrahim Lahjouji, homme politique : Dévaluer tuerait l'investissement Parler à mon sens de dévaluation dans la conjoncture actuelle n'est pas adéquat. Ce que le gouvernement actuel devrait faire par contre est de penser à une façon différente de renforcer la compétitivité des produits marocains autre que dévaluer la monnaie nationale. Il ne faut pas oublier que notre pays importe une bonne partie des biens d'équipement dont il a besoin. Procéder à une mesure pareille ne pourrait qu'influer négativement sur cette activité. En outre, les investisseurs seraient dans la ligne de mire et les premiers à payer le prix fort. Au gouvernement donc de penser à une mesure plus adéquate qui prendrait en compte les besoins de chaque secteur d'activité économique. Pour y arriver, il faudrait traiter au cas par cas. Des propositions ont d'ailleurs été faites au gouvernement dans ce sens et nous attendons toujours une réaction officielle. Khalid Nasr, directeur de BMCE Capital Markets : Dévaluation = renchérissement des importations Je ne crois pas que la dévaluation apportera des solutions réelles aux difficultés économiques que traverse le Maroc. La structure de notre balance commerciale montre, de façon on ne peut plus claire, que le Maroc importe, en volume, près de 2 fois ce qu'il exporte. La dévaluation du dirham entraînera à coup sûr un renchérissement de ses importations sans pour autant augmenter les exportations. Car ces dernières ne dépendent pas seulement du prix mais bien d'autres facteurs tels que la qualité des produits, le respect des délais, etc. En clair, aujourd'hui, le Maroc fait face à la réalité de la globalisation économique où la compétition ne se gagne pas sur le seul terrain du taux de change mais avec d'autres atouts. Pour continuer d'exister économiquement, il n' y a pas de panacée mais tout un arsenal de mesures qu'il faut avoir le courage et le temps de prendre. Par ailleurs, il faut rappeler que le Maroc, étant donné la volatilité des investissements étrangers, ne doit pas donner au marché international le sentiment qu'il peut dévaluer sa monnaie à la moindre crise économique. Il y va de sa crédibilité et donc de sa notation sur les marchés des capitaux internationaux. Toutefois, il faut reconnaître que le régime de change actuel ne favorise pas les opérateurs économiques marocains, et qu'un passage vers un système de change flexible- ou flottant- permettrait au Maroc de lisser la valeur de sa monnaie en fonction de la structure et des mouvements de sa balance commerciale. Hassan Bernoussi, directeur de la DIE : Aider les secteurs qui le méritent J'aimerais bien que le dirham soit dévalué, ce qui pourrait renforcer la compétitivité des exportations marocaines. Mais il ne faudrait pas que cela se passe au détriment des secteurs productifs à qui cette mesure ne manquerait pas de nuire. Pourquoi prendre en effet une mesure de dévaluation pour un secteur qui ne le mériterait pas ? Ces derniers, et quelque que soit la mesure prise, ne pourraient pas en bénéficier et demeureraient toujours souffrant des mêmes problèmes ? Il est bien sûr nécessaire d'aider les groupes industriels sérieux à fructifier leur investissement. J'estime que nous sommes dans l'obligation de faire notre auto-critique. Les secteurs qui se plaignent doivent penser leur mise à niveau. Ils se trouvent dans l'obligation de se montrer imaginatifs et innovants pour pouvoir affronter la rude concurrence internationale. Khadija Doukkali, opératrice dans la pêche : Dévaluer est une nécessité Vu la conjoncture de l'économie nationale actuellement, la dévaluation de la monnaie nationale est une nécessité. Je pense qu'il s'agit-là d'une mesure importante dont le but est de renforcer la compétitivité de l'économie nationale. Après les accords de libre-échange que le Maroc a signés avec de nombreux pays, il est devenu clair que le dirham est surévalué. En tant que secteur dont l'essentiel de la production est destiné à l'exportation, nous ne pourrons qu'applaudir la prise de cette décision. Adnane Dabbagh, entrepreneur : Un cautère sur une jambe de bois On ne pourrait dire qu'il faut ou non dévaluer la monnaie nationale par un simple oui ou non. C'est une question qui interpelle directement le gouvernement parce qu'elle aura des incidences sur la politique économique et industrielle nationale à court, moyen et long termes. Il faudrait à mon avis revenir aux précédentes expériences de dévaluations qui ont clairement montré que cette mesure n'est pas une solution miracle. La compétitivité des produits marocains est un problème structurel qu'il faudrait régler à travers une refonte générale de l'économie marocaine. Dévaluer générer à coup sûr une hausse importante de la facture énergique, de la dette extérieure, ainsi que l'inflation concernant les importations. Vu le choix irrévocable du Maroc de l'ouverture, la dévaluation serait un cautère sur une jambe de bois.