L'écrivain, poète et philosophe, Abdelhak Najib, vient de publier son dernier recueil de poésie, le dixième aux Editions Orion. Un autre voyage qui avance en résonance avec «Memento Mori», «Spiritus Mundi», «Finis Gloriae Mundi», «Vitriol» et «Le pays où les pierres parlent». Il y a du Paracelse dans ce recueil de poésie à la fois chamanique et alchimique. Paracelse, le médecin qui a fait de sa vie un long périple ne voulant jamais s'installer nulle part, nourrissant constamment ce désir d'errance pour mieux se retrouver aux détours de mille sentiers donnant chacun sur une variation de soi, sur une variante de qui nous pourrions un jour devenir pour peu que nous cheminons sans boussole, au gré des vents, par monts et par vaux, de cime en cime, de vallée en vallée, d'abîme en abîme plongeant dans tous les cratères pour fondre à soi et renaître lumière. C'est finalement cela la vision poétique de Abdelhak Najib, poète doublé d'un philosophe au plus près des tripes, au creux du ventre, avec profondeur et d'une grande exigence envers soi et le monde où il avance. Un regard empreint de grande philosophie, avec dans ses sillages les sciences occultes, le Grant Art qu'est l'alchimie, le savoir oublié des Anciens, les mystères de l'Antiquité, le legs perdu des anciennes civilisations, l'enchantement des aèdes, l'émerveillement des chamans qui puisent à même le secret la panacée du monde, le désir érotique des naïades qui plongent dans les abysses pour y apprendre la connaissance de l'amour, le bâton du nomade qui refuse de prendre gîte, le souffle du pèlerin qui sillonne le monde, avec pour unique viatique la voix du cœur qui chante l'hymne à la joie de l'existence. Oui, cette poésie chamanique, faite de cantiques et de chants auroraux, d'épîtres et de psaumes, de versets et de chapitres est aussi une invitation à entrer dans le temple, une invitation à demander à la Pythie de ne jamais révéler ce que la mémoire oublie, ce que le cœur refuse de dire, ce que la poésie tait comme le secret du monde qu'aucun charme ne doit rompre.
Spiritus Mundi
Tout comme dans «L'Atalante fugitive» de Michael Maier, le poète raconte en images une quête qui va au-delà des contingences d'un monde fait d'apparences et de facettes futiles. Le poète crée un univers composé de rêves, de songes, d'introspections, de projections, de creusements, de déconstructions, d'abîmes et de cimes pour inventer de toutes pièces un territoire de lumière. Là où seul le cœur luit comme une lanterne qui éclaire à la fois le passé et le futur. Une bougie qui condense le présent en strates et en instants pour donner de la profondeur à ce périple intérieur, celui de l'alchimiste qui détricote toutes les matières, qui les dissout, qui les oxyde pour en révéler le volcan le cœur battant, l'esprit volatile, qui voltige et ouvre sur le non-dit, sur le caché, sur ce qui ne peut se dire, mais se révèle, se vit, se sent, se creuse dans l'âme et le corps comme des sillons de feu. Cela requiert du poète une vision claire de ce qui l'attend durant ce voyage vers lui-même. Car, il lui faut parcourir des contrées lointaines et hostiles pour trouver ce sentier caché qui peut le mener à ce qu'il peut devenir, c'est-à-dire un homme capable de sentir l'esprit du monde, un homme dont le cœur vibre avec la musique des sphères.
Finis Gloriae Mundi
Dans ce recueil né sous le signe du soleil, Abdelhak Najib renvoie dans de nombreux instants poétiques à Fulcanelli, aux «Demeures philosophales» et au «Mystère des cathédrales». Il avance par signes dissimulés, par filigrane, par bas-reliefs comme parcourant un édifice dont les contours se précisent au fur et à mesure que la musique envoûte l'esprit de celui qui la vit à même l'âme dans un élan vers l'ouvert, vers ces espaces que visite le poète passant d'un territoire à un autre, comme un pèlerin qui poursuit un songe. Un visiteur qui abhorre tout ce qui ferme les espaces, tout ce qui crée des limites, tout ce qui participe des lisières, mais qui chante la bravoure du marcheur qui ne va nulle part, qui chemine créant des ouvertures là où d'autres pensent voir des murailles infranchissables. Le poète est un troubadour qui tente de déchiffrer tous ses signes au fronton de tous les lieux sacrés, sur les dolmens, sur les cromlechs, sur les pierres levées, à l'orée des sanctuaires, à l'approche de tous les temples. Sa sacralité célèbre ces livres muets où les druides lisent le temps, celui qui se dérobe, celui qu'on ne peut quantifier, celui qui échappe aux heures, qui se condense en poudre de projection pour creuser des sillons dans l'instant unique, celui qui puise sa teneur dans l'éternité, qui, elle, n'est pas l'infini du temps, mais son absence définitive. C'est de ce voyage qu'il est ici question pour un poète qui sait que la fin de la gloire du monde peut aussi devenir sa renaissance créant une aube nouvelle, sur une terre à réinventer.
Memento Mori
Le poète se souvient qu'il doit mourir encore et encore pour renaître encore et encore à un monde qu'il crée au fil de ses errances sur le cadran des jours. Il oscille entre ombres et lumière, d'une aurore à l'autre, se gorgeant de toutes les nuits, pour pouvoir voir enfin le jour poindre. Il sait que le chemin qui mène à soi ne laisse aucune marge aux apparences. Il exige un souffle olympien et une discipline de bâtisseur. C'est dans ce sens que celui qui marche porte en lui son viatique premier : sa mort aux apparences pour voir l'essence du monde. Oui, cette quintessence, qui est la somme des quatre éléments couplés à la vision, qui elle, émane du cœur pour irradier dans l'esprit du monde. Dans ce recueil prophétique, le poète accepte de se décomposer encore et encore pour traverser ses innombrables variations, d'une œuvre à l'autre, passant par le noir, par le blanc pour finir en rouge, avec la vision de la pierre philosophale, ce graal qui n'est pas de la pierre, mais une émanation, une fulgurance, une projection en dehors de toutes les temporalités et de tous les espaces, pour en créer de nouveaux, constamment en changement, toujours en devenir. Car pour le poète alchimiste, rien n'est, tout devient. Rien n'est fini, tout recommence, comme dans un annulus aeternitatis, avec la puissance de l'Amor fati, pour le retour éternel de soi, comme une incarnation sans début et sans fin.
«Le soleil au cœur des hommes» de Abdelhak Najib. Editions Orion. 120 pages. Novembre 2021.