Mercredi 10 novembre. Grand-messe des agents d'assurances membres de la Fédération nationale des agents et courtiers d'assurance au Maroc (FNACAM), l'une des principales organisations d'intermédiaires, et sans doute la mieux structurée. Ils étaient réunis pour discuter, en l'espace d'une journée, des pistes de sortie de cette crise qui touche le secteur depuis belle lurette, bien avant la pandémie qui a précipité la mortalité des plus faibles d'entre eux. Le président de l'Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (ACAPS) par intérim, Othman Khalil El Alamy, et le président de la Fédération marocaine des sociétés d'assurances et de réassurance (FMSAR), Mohamed Hassan Bensalah, ainsi que les patrons des grandes compagnies ont tous fait le déplacement. Un parterre idéal pour le réquisitoire du président de la FNACAM, Farid Bensaid, qui n'a pas mâché ses mots quand il s'agissait de relever les maux du secteur. Par équité, l'hôte de l'événement s'en est pris tour à tour aux agents et courtiers, dont certains font preuve de laxisme, aux compagnies, qui rémunèrent mal l'effort fourni et aux autorités qui retardent l'arrivée des textes, créant anxiété et doute. 4 points à éclaircir Si le secteur a fait preuve de résilience durant la crise sanitaire, avec un chiffre d'affaires en croissance de 1,9% en 2020, en pleine crise, pas tout le monde en a profité. Beaucoup d'agents ont mis la clé sous la porte et ce, malgré les aides fournies à la fois par le régulateur et les compagnies, avec notamment des prêts à taux préférentiels, etc. Pourtant, et de l'avis même de Mohamed Hassan Bensalah, «le secteur aurait été fragile si nous ne disposions pas d'un réseau de distribution solide et performant». Mais les intermédiaires demandent plus que de la reconnaissance. Les sujets qui les préoccupent le plus, sont au nombre de 4 : la distribution digitale, la TVA, la politique de commission nement et le problème des encaissements. Le premier fait particulièrement peur aux intermédiaires, qui appréhendent un monde où leur rôle sera de moins en moins déterminant. En effet, 80% des agents font principalement de l'assurance automobile. Permettre une vente directe de ce produit par les compagnies à travers les canaux digitaux réduirait sensiblement le chiffre d'affaires des intermédiaires. Farid Bensaid n'y va pas par 4 chemins pour décrire la situation : «La digitalisation fait peur à beaucoup d'agents. Il y aura de la casse sur ce volet», a-t-il assuré. Il préconise une clarification de la situation de la part de l'ACAPS, avec notamment la publication du livre IV du Code des assurances dont la réforme tarde à voir le jour. Les compagnies, elles, tiennent à la vente en ligne de leurs produits. Les nouvelles habitudes de consommation, la démocratisation de la vente en ligne et les exigences des clients en font un passage incontournable. «Pour pouvoir toucher des clients de plus en plus exigeants et connectés, nous n'aurons d'autres choix que d'élargir nos canaux de distribution. Que ce soit via le digital ou d'autres canaux physiques, tels que les opérateurs télécoms, les organismes de paiement ou encore les agences bancaires», a insisté Hassan Bensalah lors de son discours. Autant de canaux qui écartent les intermédiaires classiques. La TVA est également un sujet de préoccupation pour la FNACAM. Une vieille doléance à laquelle les gouvernements n'ont jamais donné suite. Il faut rappeler que les agents payent une TVA sur les commissions, qui elles-mêmes sont prélevées des primes sur lesquelles la TVA a déjà été payée. Ceci réduit considérablement leurs revenus puisqu'ils ne récupèrent pas cette TVA. Là aussi, force est de constater que ces agents devront encore supporter cette charge une année supplémentaire, le Projet de Loi de Finances 2022 n'ayant pas prévu de réforme à ce sujet. La relation avec les compagnies est également une source de préoccupation pour les intermédiaires. Là aussi, ils demandent un commissionnement des affaires pour faire face à une charge opérationnelle de plus en plus élevée, qui rend les modèles économiques de moins en moins viables. Enfin, le sujet des encaissements doit être remis à plat. Ce sujet a fait des drames par le passé lorsque les intermédiaires faisaient de la rétention de primes jusqu'à atteindre un point de rupture où ils ne pouvaient plus rembourser leurs dettes envers les compagnies. Une circulaire de l'ACAPS en 2019 avait apuré la situation et avait coûté quelques provisions aux compagnies. Mais le sujet revient avec insistance, sans doute une conséquence de la crise sanitaire. Pour les compagnies, et comme l'a affirmé Hassan Bensalah (voir encadré), c'est l'enjeu premier après la distribution, sur lequel compagnies et agents doivent travailler. Le recouvrement mérite, selon lui, d'être revisité afin d'obtenir une remontée d'informations sur l'encaissement en temps réel et un reversement dans des délais très courts. Un chantier sur lequel l'ACAPS travaille également, puisque Othman Khalil El Alamy a annoncé que l'Autorité planche sur deux chantiers concernant les créances sur intermédiaires : une solution pour apurer les créances dues par les intermédiaires et une autre pour résoudre dans le futur, et de manière définitive, ce problème qui, selon lui, consomme du temps et des efforts à toutes les parties prenantes.
Les priorités des compagnies Pour clore son intervention à l'occasion de la plénière d'ouverture, Mohamed Hassan Bensalah a énuméré 3 priorités, en plus de la distribution, pour la relation compagnies-agents : + Le premier est lié au recouvrement et au reversement des primes. Le système actuel mérite d'être revisité afin d'obtenir une remontée d'infos sur l'encaissement en temps réel et un reversement dans des délais très courts. Nous gagnerons à mettre en place un dispositif visant à sécuriser l'intermédiaire, fiabiliser l'information et à remonter le cash plus rapidement. Nous menons d'ailleurs une réflexion dans ce sens, afin de faire évoluer ce process et éviter des situations douloureuses, comme celles que nous avons vécues récemment. + Le deuxième enjeu est lié à la pression concurrentielle qui tire les prix vers le bas, ce qui n'est ni dans l'intérêt de la compagnie, ni dans l'intérêt de l'intermédiaire, ni celui du client. Nous espérons que la provision pour risque tarifaire, qui tarde malheureusement à sortir, permettra de moraliser la tarification et la course aux primes. Le choix des assurés doit être basé, avant tout, sur des aspects liés à la qualité de la prestation et au conseil. + Le troisième enjeu, auquel nous devons faire face et qui n'est pas des moindres, concerne la généralisation de l'assurance maladie. Véritable projet de règne, il impose un recentrage de notre rôle au niveau des complémentaires santé. Il s'agit d'un virage majeur pour notre secteur, qu'il faudra gérer avec beaucoup d'intelligence, pour protéger les intérêts des compagnies et ceux des intermédiaires.
Les chantiers de l'ACAPS Sur l'ensemble de ces sujets, El Alamy a assuré qu'ils sont prioritaires et pris en charge par l'Autorité. Concrètement, l'amendement du livre IV du Code des assurances relatif à la présentation des opérations d'assurance se trouve ainsi parmi les grands chantiers auxquels l'Autorité devra s'atteler dans un futur proche, selon lui. Cette révision permettra de mettre en place un cadre réglementaire plus adapté à l'évolution de la distribution des produits d'assurances, à l'avènement des nouvelles technologies, mais également pour corriger un certain nombre d'insuffisances qui sont apparues au fil des ans avec la mise en œuvre effective du Code des assurances. L'Autorité compte également initier avec le secteur, très prochainement, une réflexion sur une réforme profonde dudit Code. Parmi les objectifs de cette réforme, figure la mise en place d'un cadre légal et réglementaire pour les prochaines années, anticipant les évolutions futures sur toute la chaîne de valeur (de la souscription à la gestion des sinistres), encourageant l'innovation et permettant de profiter pleinement de la dynamique induite par la révolution numérique.