◆ Les dispositions de la Loi de Finances sur l'immobilier auraient permis une reprise «presque normale» de l'activité. ◆ Les notaires concrétisent plusieurs projets liés à la dématérialisation avec les Administrations et des banques de la place. ◆ Le point avec Abdellatif Yagou, président du Conseil national de l'Ordre des notaires du Maroc.
Propos recueillis par B. Chaou
Finances News Hebdo : Que pensezvous des mesures prises dans la Loi de Finances 2021 concernant le secteur immobilier ? Abdellatif Yagou : Il faut savoir qu'aux côtés de plusieurs autres partenaires, dont les géomètres topographes, les promoteurs immobiliers ou encore les architectes, nous avions constitué une cellule de réflexion pour définir les mesures qui pouvaient permettre la reprise et la relance de l'activité immobilière. Nous avons ensuite fait un certain nombre de propositions au Comité de veille économique ainsi qu'aux ministères des Finances et de l'Habitat, qui ont été prises en compte dans la loi rectificative de 2020, puis reconduites jusqu'au 30 juin 2021. Les décisions adoptées visent à encourager les consommateurs et les promoteurs immobiliers par le biais de mesures fiscales assouplies, pour l'enregistrement par exemple, ou pour la taxe sur les terrains non bâtis. Il y a aussi d'autres mesures qui touchent le logement économique et social, ainsi que les OPCI. Nous avons également demandé le sursoit du référentiel et nous remercions encore une fois le gouvernement qui a été à notre écoute, parce que le référentiel allait à l'encontre de l'encouragement du secteur de l'immobilier. Et ce, dans le sens où il ne collait pas à la réalité, car il n'avait connu aucune modification depuis très longtemps et pesait sur les décisions des vendeurs, dont la majorité était démotivée par les dispositions qui étaient appliquées. Ces mesures sont donc importantes afin de soutenir le secteur immobilier.
F.N.H. : Ces mesures ont-elles donné des résultats probants ? A. Y. : Du côté de la profession, nous avons bien remarqué qu'il y a une reprise de l'activité immobilière. Nous sommes passés d'une activité de -60% en avril jusqu'à atteindre une tendance presque normale en décembre dernier. C'est pour cela que nous avions demandé la reconduction des mesures adoptées dans la Loi de Finances rectificative afin de permettre la continuité de la relance. Une requête à laquelle le gouvernement avait répondu favorablement.
F.N.H. : Pensez-vous que ces mesures seront reconduites au-delà du mois de juin ? A. Y. : Il est trop tôt pour discuter d'une reconduction desdites mesures. Nous ne pourrons entamer la réflexion à leur prorogation que vers le mois d'avril. Par contre, il est nécessaire que l'Etat réfléchisse à une autre manière de booster le marché, à travers le renforcement de la commande publique par exemple.
F.N.H. : Cette reprise s'est-elle ressentie sur l'activité des notaires ? A. Y. : L'activité des notaires a bel et bien suivi la reprise du marché de l'immobilier. Je souligne toutefois que notre activité n'a pas connu d'arrêt, même durant la période du confinement, vu la nature de notre mission qui relève d'utilité publique. Les citoyens devaient bénéficier des services du notaire même en période de confinement pour la vente d'un bien donné ou la demande de crédits bancaires.
F.N.H. : La profession a entamé un large programme de dématérialisation des actes notariés. Où en êtes-vous actuellement ? A. Y. : La crise actuelle a accéléré la dématérialisation des procédures notariales. Elle a aussi poussé l'Etat à réfléchir au bienfait de la numérisation. De notre côté, en tant que profession, nous avions entamé la réflexion à ce sujet depuis 2014; nous sommes donc l'un des précurseurs de télé-déclarations avec les administrations. Cela s'est traduit par la signature d'un bon nombre de conventions, entre autres avec le ministère de la Justice, celui des Finances, la DGI, ou encore la CDG. Ces avancées nous ont poussés à informatiser davantage la profession et numériser les opérations de nos clients avec les différentes administrations. L'autre exemple que je peux citer, c'est la dématérialisation de notre relation avec la perception par rapport à la délivrance de l'attestation des paiements qui est nécessaire pour les établissements des actes portant sur les biens immeubles. Idem pour la TGR, avec qui la procédure de l'accomplissement de toutes les formalités et l'obtention de l'attestation de paiement se fait de manière dématérialisée. Nous avons énormément avancé avec la DGI aussi, et nous sommes parvenus en 2018 à dématérialiser totalement notre relation en matière d'enregistrement des actes. Un acte est maintenant enregistré en un simple clic. Nous espérons étendre cette pratique à d'autres documents tels que l'obtention de la patente, l'inscription à la taxe professionnelle, mais aussi l'obtention des identifiants fiscaux.
F.N.H. : S'agissant de dématérialisation toujours, quels sont vos futurs projets ? A. Y. : Nous sommes sur plusieurs projets, dont la signature d'une autre convention avec l'Agence nationale de la conservation foncière pour le renforcement de la télédéclaration. Notons qu'actuellement il est possible d'inscrire en ligne plusieurs actes, de payer et recevoir les certificats de propriété en ligne. Il y a aussi des projets en cours avec le ministère de la Justice sur la dématérialisation liée aux registres de commerce. Nous allons aussi bientôt signer une convention avec l'Ompic pour faciliter la création d'entreprise, et qui se basera essentiellement sur notre système «Tawtik». Nous sommes également en train de mettre en place un projet faramineux : il s'agit de l'archivage électronique des actes notariés. Il sera opéré via une plateforme que nous allons lancer prochainement et qui servira à l'archivage scanné et numérisé des actes. Chaque notaire aura un compte dédié dans lequel il pourra introduire l'ensemble des fichiers qu'il détient. Nous disposerons aussi d'un minutier qui permettra la mise en place de l'acte électronique notarié et l'acte électronique à distance. Je souligne que la gestion et la protection de nos bases de données sont rendues possibles via un data center qui est installé à Sidi Maârouf depuis 2017. C'est un siège qui abrite aussi le centre de formation, de documentation et d'archivage dédié aux notaires. Nous travaillons également sur la mise en place de plateformes ayant pour mission la dématérialisation de la relation «notaire - banque» afin de réduire le délai des réponses pour l'obtention des prêts. Nous sommes déjà en avance sur ce projet avec quelques banques de la place, et nous attendons la signature de la convention avec le GPBM pour généraliser la pratique avec tous les organismes bancaires.
F.N.H. : Comment la signature électronique permettra-t-elle l'amélioration de l'activité notariale ? A. Y. : Les textes encadrant cette pratique représentent une valeur probante qui va assurer la confiance aussi bien chez les particuliers que les professionnels. Ceux qui nous ont devancés à ce sujet nous ont bien montré sa valeur ajoutée. Je cite la France, l'Espagne ou encore l'Allemagne. D'ailleurs, en France, le gouvernement vient tout juste d'adopter un décret sur la signature des procurations à distance. Un notaire peut maintenant recevoir en France une procuration d'un citoyen français installé dans un autre pays. Voici un exemple concret de ce qu'est la révolution numérique de l'acte notarié et qui porte beaucoup de bienfaits à l'économie. Ce que nous souhaitons de notre ministère de tutelle aujourd'hui, c'est qu'il réponde aux besoins de la profession, car nous avons soumis plusieurs demandes pour réussir ce pari de la digitalisation. Il faut opérer des changements de certaines dispositions juridiques, afin qu'il y ait une homogénéité et une harmonie entre toutes les lois en vigueur.