Quels sont les paramètres importants à surveiller lors des prochaines publications semestrielles ? Quels sont les défis de chaque secteur ? Comment reconnaître si l'activité d'une entreprise sort de l'impasse ? Le point avec Farid Mezouar, co-fondateur de la société de services financiers FL Markets. Il a été responsable recherche à Sogébourse, directeur recherche à CFG Group, directeur des investissements de CFG Gestion et Directeur général de CFG Gestion. Finances News Hebdo : Vu le comportement boursier des sociétés immobilières, on dirait que le marché a des craintes sur ce secteur. Confirmez-vous ce constat ? Farid Mezouar : En période baissière, le marché déprime et sanctionne plusieurs fois certains titres pour les mêmes mauvaises nouvelles. C'est le cas du secteur immobilier dont les sociétés affichent en 2013 un cours en baisse comprise entre 20% et 30%, alors que le MASI n'est en recul que de près de 10%. Les immobilières paient un résultat net 2012 en faible hausse (en baisse pour la CGI) et des perspectives stables pour 2013. Ainsi, dans les dernières notes d'information relatives à l'augmentation de capital, Alliances et Addoha présentent des réalisations quasi-stables, confirmant les échos d'un ralentissement dans le logement social qui suit l'atonie du haut standing. Pour les résultats semestriels, les observateurs vont scruter le déstockage potentiel, la soutenabilité de la dette et vont surtout tenter de prévoir le résultat normatif. En effet, ces valeurs ont été souvent vendues sur la base de leur croissance. Or, certaines semblent avoir déjà atteint la maturité, d'où une analyse financière plus orthodoxe de leurs marges et de leurs ratios boursiers. F. N. H. : Concernant le groupe Addoha en particulier, le marché avait sanctionné ses résultats annuels de 2012 après publication. Certains analystes avaient expliqué cela par le poids de la charge financière qui devient inquiétant. Etes-vous du même avis ? F. M. : Pour le résultat net 2012 d'Addoha, le marché a probablement plus sanctionné l'écart entre la croissance annuelle de 3% et la hausse de 23% en 2012 S1. Surtout, le résultat annoncé était en décalage négatif de 31% par rapport au dernier business plan publié en Août 2011. Pour 2012, le résultat net part de groupe avait été surtout pénalisé par des charges non courantes, la hausse du taux effectif d'imposition et la contribution au fonds de solidarité. Ceci s'est bien entendu ajouté à la faible hausse du chiffre d'affaires. La dette a pu bien sûr alerter certains investisseurs car un niveau de 10 Mds DH peut effrayer, surtout que le taux d'endettement avait atteint 85%. Néanmoins, intrinsèquement, la dette ne peut expliquer à elle seule la baisse du cours et/ou des résultats car les charges financières n'absorbent que près de 9% du résultat d'exploitation. De même, cette dette est adossée à une réserve foncière plutôt significative. F. N. H. : Croyez-vous que l'entreprise a la volonté de corriger cela ou ce n'est pas une priorité stratégique du groupe ? F. M. : Oui, je pense qu'Addoha est consciente du souci de maîtrise du taux d'endettement, d'où l'augmentation de capital en 2007 et 2010 et la conversion proposée des dividendes en 2013, ainsi que la politique moins offensive d'acquisition de foncier (du moins médiatiquement). D'ailleurs, le marché obligataire et le pool bancaire sont là pour taper du poing si la société se laisse aller en termes d'endettement. F. N. H. : Quelle lecture faites-vous des trois principales actions du secteur minier ? F. M. : Les sociétés du secteur minier ont la particularité d'être les seules sociétés quasi-entièrement tournées vers l'export. Ce sont donc des valeurs dollar, offrant une bonne opportunité de diversification du portefeuille. Concernant les réalisations semestrielles, il est vrai que sur le premier semestre les cours des métaux de base se sont corrigés de 12% en moyenne, quand l'or a perdu près de 20%, ce qui laisse supposer un recul des bénéfices. Toutefois, l'expérience montre qu'il faut être prudent car le cours mondial n'est pas l'unique paramètre d'influence. En effet, l'évolution de la teneur des gisements conditionne les marges, voire les volumes de production. De même, le réajustement ou non des contrats de couverture conditionne le prix réel de vente. Malheureusement, ces éléments ne sont pas systématiquement communiqués par les sociétés dans le détail (du moins, quand elles n'y sont pas obligées). C'est ainsi qu'une analyse plus générale sur une période plus longue parait plus adaptée. Sur ce plan, Managem parait plus outillée grâce à sa diversification entre les métaux de base et les métaux précieux ainsi qu'entre le Maroc et l'Afrique. De même, son portefeuille compte plusieurs mines. F. N. H. : Le secteur bancaire est-il vraiment solide comme les opérateurs aiment à le faire comprendre ? A votre avis, d'où peuvent provenir les risques pour ces banques ? F. M. : Le secteur bancaire marocain est l'un des plus sophistiqués de la région, avec une bonne assise locale en termes de banque de détail ainsi que de bonnes opportunités de diversification à l'international ou dans les activités para bancaires (transfert de monnaie, finance islamique ...). De plus, nous avons probablement l'une des banques centrales les plus diligentes de la région. Elle encadre donc les risques des banques quand celles-ci sont un peu plus euphoriques. Pour le risque classique, je pense que les banques sont plutôt prémunies d'un risque systémique car elles ont pris le devant et anticipé les difficultés de certains secteurs dès 2009-2010. C'est ainsi que le niveau de risque des grandes banques ne dépasse pas les 6%. Bien entendu, quelques cas individuels pourraient bien survenir, mais ils ne remettraient pas en cause le profil de risque global. D'ailleurs, la publication de la note d'information de l'emprunt obligataire d'Attijariwafa bank a été l'occasion de parcourir le profil de son portefeuille d'engagements et avoir une cartographie des risques de crédit. Ainsi, il en ressort que le portefeuille d'Attijariwafa bank est concentré sur les grandes entreprises et les institutions. De même, la banque est plutôt assez exposée au secteur du BTP, matériaux de construction et promotion immobilière (14% du total des engagements). Enfin, sans surprise, le Grand Casablanca s'accapare quasiment la moitié des engagements. Pour l'exposition, la morosité de l'immobilier pourrait laisser penser que le CIH est davantage concerné. Néanmoins, une interview récente accordée par le PDG du CIH à la presse nationale laisse penser que la banque a bien géré ce virage et qu'elle n'a pas spécialement de soucis à ce niveau. F. N. H. : Enfin, parlons de l'industrie qui semble être l'un des secteurs les plus malmenés actuellement. D'abord Sonasid. Pourquoi cette détérioration de sa profitabilité ? F. M. : Il est clair que Sonasid affronte une conjoncture BTP difficile, créant un contexte sectoriel globalement morose. Toutefois, les difficultés de Sonasid sont particulières car la société souffre de plus en plus de la concurrence des importations des pays de l'Europe du sud. Aussi, l'investissement quasiment contre cyclique dans l'aciérie semble-t-il peser négativement sur la productivité de la société. Néanmoins, comme la société avait déjà affiché des pertes l'an dernier, un simple retour à l'équilibre doperait la croissance des bénéfices de la société. Je rappellerai enfin que le titre a déjà perdu 81% de sa valeur depuis 2008. Certains investisseurs pourraient donc déjà commencer à scruter les indicateurs opérationnels de la société. F. N. H. : Les cimenteries ne sont pas en reste. Croyez-vous qu'elles aperçoivent le bout du tunnel actuellement ? F. M. : Pour le ciment, j'avoue ma perplexité pour la baisse enregistrée pour la deuxième année de suite (-12,6% au premier semestre 2013 après un recul de 1,6% en 2012). En effet, d'habitude, le secteur trouvait son refuge dans l'auto-construction lors du marasme des grands chantiers. Peut être que l'absence d'échéances électorales et une plus grande fermeté des autorités ont pesé sur l'auto construction. Cette baisse des volumes de ciment devrait naturellement peser de manière négative sur les ventes en valeurs et les bénéfices. Rappelons néanmoins que CIMAR a déjà annoncé un bénéfice semestriel en hausse de 1,1% grâce à des éléments financiers. F. N. H. : Quelles sont les attentes des investisseurs pour faire ou refaire confiance à ces entreprises ? F. M. : Pour les attentes, je pense qu'elles sont plus qualitatives (explication de la baisse des volumes, évocation sans langue de bois de l'impact du nouvel entrant "Ciments de l'Atlas"...) que quantitatives car des marges opérationnelles de 30% enmoyenne feraient déjà rêver plusieurs industriels.