Le système fiscal actuel est la résultante de la réforme des années 80. Plus de trente ans après, celle-ci a montré ses limites en termes d'équité et de rentabilité. Le Cercle des économistes marocains prône une réforme en profondeur. Le Maroc a entamé ces dernières années trois chantiers de réformes d'une vaste ampleur. Il s'agit de la Caisse de compensation, celle des retraites et, enfin, l'épineux dossier de la réforme fiscale. Pour marquer son septième anniversaire à Rabat, le 14 juin 2013, l'Association marocaine des sciences économiques (AMSE), a mené une réflexion sur une problématique brûlante : celle de la réforme fiscale. Certains s'interrogent sur la pertinence d'un tel sujet après les dernières Assises nationales sur la fiscalité à Skhirat, au mois d'avril 2013. L'intérêt d'une telle rencontre pour les membres de l'Association réside dans le fait qu'il est utile de poursuivre les échanges, après la grand-messe fiscale de Skhirat, afin d'avoir un débat le plus large possible. Les enjeux fiscaux qui se caractérisent par leur proéminence, poussent certains économistes à parler de «réformer la réforme». Mais quel est l'intérêt de cette vision fiscale ? Justifications Les mauvaises langues diront certainement que «réformer la réforme» est un simple jeu de mots dépourvu de toute pertinence. Or, le système fiscal au Maroc n'est que le produit de la réforme des années 80. Pour le professeur Najib Akesbi : «Il y avait des lacunes dans les gènes de la réforme des années 80». D'où la nécessité de procéder aux réformes. L'inefficacité du système fiscal ainsi que son iniquité, sont des facteurs assez probants pour précipiter les changements qui s'imposent. Ainsi, la structure du budget de 2012 met en évidence un déséquilibre notoire entre impôts directs et indirects. Les premiers représentent seulement 38% des recettes fiscales contre 62% pour les seconds. Dans les pays scandinaves, à l'instar du Danemark, les impôts directs représentent plus de 51% des recettes de l'Etat. Au Maroc, le « Top five fiscal», classement par ordre décroissant des impôts les plus rentables, montre que l'IS, l'IR et la TVA représentent plus de 76% des recettes fiscales. Les autres impôts brillent par leur manque de rentabilité. Face à cela, une réforme suppose d'aller vers plus d'équité et, surtout, plus d'efficacité. Les inégalités sont porteuses de fragilités et l'existence de «niches fiscales» annihile le rendement de l'impôt. Chiffres à l'appui, en 2012, les recettes fiscales ne couvraient que 60% des dépenses du budget. Ce ratio était de 85% vers les années 80. Certains économistes font un constat édifiant selon lequel l'élasticité des recettes fiscales est de plus en plus réduite. A ce manque de rentabilité, s'ajoute une inégalité du système fiscal. Et pour cause, les recettes des principaux impôts sont concentrées sur une minorité de contribuables. Les revenus salariaux contribuent à plus de 74% des recettes de l'IR. Cela veut explicitement dire que seuls 15% de la population active contribuent aux 3/4 des recettes de l'IR. Les recettes des profits immobiliers, celles des capitaux mobiliers et des professions libérales, ne représentent que 26%. De plus, la progressivité de l'IR est régressive avec des augmentations brutales de 10 points sur les revenus faibles, voire intermédiaires. Et sur les tranches supérieures, on remarque que cette augmentation est linéaire et faible. Concernant l'impôt sur les sociétés (IS), 2/3 des sociétés se déclarent déficitaires au Maroc et 2% (dont 100 d'entre elles) assurent plus de 80% des recettes de cet impôt. Le problème de la rentabilité de l'IS est lié à son assiette, vu l'évasion fiscale et, parfois, l'existence de lacunes législatives que les sociétés exploitent pour faire de l'optimisation fiscale. L'autre faiblesse de cet impôt est qu'il est fortement dépendant de la santé financière d'une poignée d'entreprises qui sont les grandes contributrices. Elargir l'assiette de l'IS est une nécessité pour aller vers plus de rentabilité. Toutefois, on observe en même temps que le nombre de contrôleurs et de vérificateurs des impôts ne cesse de baisser. Les recettes de la TVA en augmentation témoignent, selon d'aucuns, d'une certaine iniquité du système fiscal. A ce titre, certains fiscalistes estiment que la TVA est un impôt aveugle qui enfonce la classe la plus vulnérable dans la pauvreté. Les dépenses fiscales constituant un manque à gagner, estimé entre 36 et 50 milliards de DH, doivent constituer des axes d'amélioration pour l'efficacité fiscale. Cela est d'autant plus justifié si l'on sait qu'aucune étude d'impact n'est faite pour évaluer leur efficacité sur certains secteurs (immobilier, agroalimentaire, exportation) qui s'arrogent la majorité des dépenses fiscales. Toutes les recettes fiscales du pays reposent sur le triangle suivant : consommateurs (62%), salaires (11%), entreprises (10%). D'où l'urgence d'établir une meilleure répartition de la charge fiscale. Méthodologie de la réforme Depuis trente ans, la politique fiscale suivie avait pour objectif d'élargir l'assiette des différents impôts par le biais de la baisse des taux. Les résultats de cette politique n'ont pas eu les effets escomptés. A ce stade, certains économistes proposent d'aller plus en profondeur dans le sens de l'élargissement d'assiette. Ils suggèrent un élargissement vertical et horizontal des matières imposables. Cela consiste très concrètement à mettre à contribution tous les secteurs (particulièrement le secteur agricole) et les différentes catégories de revenus (financiers, fonciers, capitaux) pour l'effort fiscal. D'autres nouveaux impôts doivent aussi voir le jour au Maroc. Il s'agit de l‘impôt sur la fortune et sur les successions. D'autres experts préconisent la création de taxes de solidarité interrégionale dans le contexte de régionalisation avancée que connaît le pays.