Les Assises fiscales étaient un creuset de débats contradictoires qui ont brillé par leur perspicacité. Les participants, émanant d'horizons divers, ont permis de brasser très large et de faire le tour des questions particulièrement complexes qui taraudent aussi bien l'expert que le simple profane. Les Assises nationales sur la fiscalité, qui se sont tenues les 29 et 30 avril 2013 à Skhirat, avaient regroupé autour de la table les plus hautes autorités du pays. En l'occurence le Chef de gouvernement M. Benkirane, le ministre des Finances, M. Baraka et les acteurs majeurs du secteur privé (la présidente de la CGEM et plusieurs autres représentants des différents corporatismes). Cette rencontre, qui avait une forte connotation nationale, recelait aussi un relent international très prononcé eu égard à la présence de la ministre chargée de l'Economie et des Finances de la Côte d'Ivoire, venue s'inspirer du modèle fiscal marocain comme expérience concluante. Ce rendez-vous, dorénavant incontournable, a constitué un grand événement, dans la mesure où il s'est érigé en une plateforme majeure de partage et de réflexions fructueux sur le système fiscal national, dans un contexte particulièrement rude pour les finances de l'Etat. Les thématiques phares de ces Assises portaient sur le rapport entre la fiscalité, l'équité, la compétitivité et, enfin, les attentes des usagers de ce que doit être l'administration fiscale de demain pour relever les multiples défis. Défis d'un système fiscal en pleine modernisation Depuis les années 80, le système fiscal national n'a cessé de se réformer dans l'optique de se moderniser. L'accent était dès lors mis sur le rétablissement du climat de confiance entre l'administration fiscale et les contribuables. Il était aussi question de consolider le rôle de l'impôt comme un instrument au service du développement économique et social. Si des efforts significatifs ont été effectués par l'administration fiscale dans le domaine de la rentabilité des impôts (doublement de recettes fiscales par rapport à 1997) et du recouvrement, ces Assises ont été l'occasion pour les différents acteurs de souligner les maillons faibles du système fiscal national. A ce propos, certains intervenants ont fait remarquer qu'il ne fallait pas que la fiscalité freine la compétitivité des entreprises, surtout les PME. La thématique de la justice fiscale était aussi un leitmotiv lors des échanges. Le patronat a, sans ménagement, fustigé le secteur informel qui est exclu de l'assiette fiscale. Sa présidente, Meriem Bensalah a martelé que «tous les pans de l'économie nationale doivent contribuer à l'effort fiscal». Selon elle, telle action devrait permettre de résorber la concurrence déloyale, et surtout de tordre le cou au cannibalisme fiscal entre les entreprises. Pour souligner le caractère pernicieux de l'informel, le Chef de gouvernement, a clamé,: «Le noir, vous le faites ou vous ne le faites pas, vous le supportez quand même». Un autre défi était au cœur des débats, à savoir, la question de la rentabilité fiscale. En d'autres termes, comment accroître les recettes fiscales tout en gardant des taux d'imposition raisonnable à même de garantir une certaine justice fiscale. D'après certains participants, l'option la plus opportune actuellement est de multiplier les efforts en vue d'élargir l'assiette fiscale qui, à leurs yeux est très rétrécie. Dans ce sillage, la lutte contre la fraude fiscale semble être le cheval de bataille de la DGI, grâce aux techniques de retenue à la source et de la traçabilité des opérations commerciales. Les différentes conventions fiscales signées par le Royaume et les efforts déployés dans la modernisation de l'administration fiscale (simplification des procédures) vont dans le sens d'une recherche pour augmenter la rentabilité de l'impôt. D'autres intervenants ont aussi mis l'index sur certains dysfonctionnements criants à leurs yeux, en ce qui concerne l'iniquité fiscale. A ce titre, ils ont rappelé que 73% des recettes de l'IR proviennent de la retenue à la source, ce qui prouve que les salariés représentent une part prééminente des gros contributeurs à cet impôt et ce, au profit des professions libérales qui sont soumises au régime déclaratif. A cela s'ajoute un constat édifiant selon lequel la moitié des sociétés se déclare en déficit et se soustrait allégrement à l'impôt (IS). Et, enfin, le plus alarmant pour certains experts, est que seules 2% des sociétés contribuent à plus de 80% au titre des recettes de l'IS. D'où la nécessité de redoubler les efforts dans le sens d'assurer la rentabilité économique de l'impôt et de la justice fiscale. Des correctifs pour rectifier le tir Les Assises de la fiscalité devraient être un catalyseur pour aller dans le sillage des réformes profondes. Et le contexte actuel devrait permettre de jeter les nouvelles bases d'une fiscalité ayant pour seul objectif, une conciliation équilibrée entre la rentabilité et la justice fiscale afin d'ancrer dans les mentalités le civisme fiscal. Un système fiscal efficace semble de plus en plus constituer un impératif si nous savons que les recettes fiscales aujourd'hui occupent plus de 85% des recettes ordinaires du budget national. Quelle que soit la pertinence des vertus (filet social par exemple) qu'on prête au secteur informel, force est de reconnaître que la situation nécessite que tout le monde contribue à l'effort national. Dans cette optique, les dépenses fiscales doivent être réformées car trois secteurs s'arrogent plus de la moitié de ces dépenses qui constituent un manque à gagner de près de 36 milliards de DH. Les entreprises, fer de lance de toute économie moderne, ont besoin de plus de visibilité et d'équité fiscale, gages de compétitivité. L'autre moment fort de la rencontre était l'intervention par vidéoconférence de la Directrice générale du FMI, Christine Lagarde, qui a rappelé les trois rôles majeurs que doit s'assigner la fiscalité marocaine, à savoir: le rôle de contribution aux finances publiques, celui de développement des revenus de l'Etat, et enfin, le rôle de redistribution. Elle a aussi noté que le FMI était très attentif à une fiscalité viable et efficace au Maroc. Pour clore son intervention, Lagarde a pointé du doigt le système de subvention existant dans le pays qui, selon elle, fait abstraction de la classe sociale (riche ou pauvre) ce qui entrave considérablement son efficacité. «Un système fiscal performant peut être un levier prépondérant pour concrétiser le dessein inébranlable du Royaume de devenir le dragon africain», a déclaré Mme bensalah présidente de la CGEM pour clôturer son discours.