◆ Des propositions d'amendement sont actuellement portées à l'Assemblée nationale française, dans le but d'accélérer la bi-bancarisation, car seules Attijariwafa bank et la Banque Centrale Populaire bénéficient de l'autorisation de commercialisation en France (loi de 2014). ◆ Interview avec Alain Gauvin, avocat associé à Asafo & Co.
Propos recueillis par B. Chaou
Finances News Hebdo : Qu'est-ce que la bibancarisation ? Alain Gauvin : La bi-bancarisation peut s'entendre comme un processus favorisant l'accès des diasporas, en particulier africaines, aux services bancaires non seulement dans leur pays d'accueil, mais aussi dans leur pays d'origine. Par exemple, il s'agit pour un immigré en Europe de pouvoir y ouvrir un compte bancaire, y souscrire un prêt ou y obtenir des moyens de paiement, ce qui est juridiquement facile, mais aussi de pouvoir, depuis l'Europe, bénéficier de services bancaires dans son pays d'origine, ce qui est plus compliqué qu'on ne le pense.
F.N.H. : Pourquoi parle-t-on de bi-bancarisation en ce moment ? Est-ce lié à la crise sanitaire ? A. G. : C'est en partie lié à la crise sanitaire : d'abord, parce que les transferts d'argent ont fortement chuté pendant le confinement. Ensuite, parce que cette crise a soulevé deux questions : une première qui revient comme un leitmotiv, l'aide à l'Afrique, une seconde question qui est plus récente, est portée par le Président de la République française, Emmanuel Macron. Il s'agit de voir dans l'Afrique, non plus l'enfant malade au chevet duquel le monde accourt, mais un partenaire. Or, la bi-bancarisation peut favoriser la naissance d'une relation renouvelée entre l'Afrique et la France, en particulier, et plus largement l'Europe… F.N.H. : De quelle façon ? A. G. : La bi-bancarisation est un facteur d'accroissement des transferts d'argent, notamment vers l'Afrique. Ces transferts sont une source de financement considérable du développement des pays destinataires. Par exemple, en 2019, le montant des transferts au profit de pays africains très différents les uns des autres, s'est élevé à 7 milliards de dollars pour le Maroc, à environ 2,5 milliards de dollars pour le Sénégal, 2,8 milliards pour le Kenya, 0,6 milliard pour le Soudan, 2 milliards pour la Tunisie, 1,8 milliard pour l'Algérie. Le montant total des transferts au profit des pays à revenu faible ou moyen s'élève à plus de 550 milliards de dollars, représentant jusqu'à plus de 30% du PNB dans certains pays ! Et, il est démontré que les transferts d'argent sont une source de financement des pays en développement plus pérenne et plus stable que l'aide publique au développement (APD), qui pèse sur le budget des Etats contributeurs, et que les investissements directs étrangers (IDE) sensibles aux crises de diverses natures (politique, économique, etc.).
F.N.H. : Instrument de développement, facteur d'inclusion financière, érigeant l'Afrique en partenaire de l'Europe. Si la bi-bancarisation est si vertueuse, pourquoi alors n'est-elle pas mise en œuvre de manière générale ? A. G. : La France et certains pays en Europe ont commencé le travail. En revanche, l'UE, elle, n'a depuis plus de 10 ans maintenant, absolument rien fait pour anéantir les obstacles à la bi-bancarisation. Une banque africaine, comme toute banque étrangère à l'UE, qui souhaite offrir ses services bancaires en Europe s'expose à d'importants risques de nature pénale : violation du monopole bancaire, violation de la loi sur le démarchage, sur l'intermédiation des opérations de banque, des lois sur la publicité et la protection du consommateur, de la loi sur la collecte et le traitement des données personnelles.
F.N.H. : Des députés français ont proposé il y a quelques jours de nouvelles mesures en faveur de la bi-bancarisation. De quoi s'agit-il concrètement ? A. G. : La France a adopté, en 2014, une loi dont les dispositions sont codifiées aux articles L. 318-1 à L. 318-5 du Code monétaire et financier (CMF) et un arrêté du 4 décembre 2014 qui ouvrent le droit aux banques étrangères, sous réserve d'obtenir l'autorisation de l'ACPR, qui n'est pas sans condition, d'offrir leurs services bancaires en France. Cette loi a fait l'objet de propositions d'amendements actuellement, portées à l'Assemblée nationale française par Sira Sylla, députée de la Seine maritime et membre de la Commission des affaires étrangères, dans le but d'accélérer la bi-bancarisation. Aujourd'hui, seules deux banques étrangères, en l'occurrence, deux banques marocaines, Attijariwafa bank et la Banque Centrale Populaire, sont autorisées à commercialiser leurs services en France. On peut expliquer ces deux exceptions, sans doute par une certaine ignorance de nombreuses banques étrangères de ce dispositif, mais surtout par une ouverture limitée de ce dispositif et par l'application sévère qui en est faite à ce jour. Il convient donc d'ouvrir l'exercice de la commercialisation à une large palette d'acteurs du secteur financier : établissements de paiement et de monnaie électronique, intermédiaires en opérations de banque, courtiers et agents généraux d'assurances, réseaux de démarcheurs. Ici encore, tout le monde y trouve son compte : les banques africaines accroissent leurs chances de trouver un intermédiaire pour offrir les produits, et les professionnels français de la distribution bancaire et financière y trouvent une nouvelle opportunité commerciale.
F.N.H. : Et l'Europe, comment peut-elle s'y prendre ? A. G. : Aujourd'hui, l'UE, en matière de commercialisation de services bancaires étrangers, c'est l'auberge espagnole ! La France, l'Espagne, l'Italie et l'Allemagne l'autorisent, mais selon des schémas très différents, tandis que d'autres pays, tels les Pays-Bas ou la Belgique ne semblent pas voir d'un bon œil le projet que l'on puisse commercialiser sur leur sol des services bancaires étrangers, en dépit de l'intérêt que cela présente pour ces pays. Dans l'idéal, l'UE, qui devrait être convaincue de l'intérêt que la bi-bancarisation présente pour elle, devrait adopter une directive d'harmonisation des législations nationales ou, mieux, un règlement d'application immédiate et impérative dans tous ses termes. F.N.H. : Il y aurait donc une synergie d'intérêts entre l'Afrique et l'Europe ? A. G. : Absolument et plus encore. Je partage l'avis d'un auteur selon lequel «l'UA et l'UE se ‘font exister'». Car s'il est communément admis que l'UA trouve avantage à s'appuyer sur l'UE, pour, notamment, tenir un rôle dans le cadre des relations internationales, l'histoire démontre que la réciproque est vraie. Par exemple, l'ex-CEE (Communauté économique européenne) a pu faire émerger sa représentation extérieure au moyen de délégations créées au sein de pays africains. La bi-bancarisation peut être un des instruments de l'existence symbiotique de l'UE et de l'UA.