◆ Pour financer la relance de l'activité économique, le gouvernement n'a d'autre choix que de s'endetter massivement, rompant avec l'orthodoxie budgétaire qui a prévalu durant la dernière décennie. ◆ Risquée, cette politique de relance par la dette ne sera efficace que si elle permet de générer de la croissance vigoureuse dans les prochaines années.
Par A. El Kadiri
Alors qu'elle constituait encore, durant la dernière décennie, l'alpha et l'oméga de toute politique budgétaire du gouvernement, la préservation des équilibres macroéconomiques n'est aujourd'hui visiblement plus une priorité. La crise sanitaire et les crises économique et sociale qui en découlent, ont amené les autorités financières et monétaires du pays à revoir leur logiciel économique : fini la consolidation budgétaire à l'œuvre depuis 2012 et qui aura tout de même permis au Maroc de faire passer son déficit budgétaire de 7,5% du PIB en 2012 à 3,5% du PIB en 2018 (avant une remontée à 4% en 2019 suite notamment à l'accord sur la hausse des salaires dans la fonction publique). Place désormais à une politique budgétaire plus expansionniste afin de soutenir un tissu économique national très durement touché par les effets de la crise.
Vers une explosion du déficit budgétaire Les premiers effets de cette politique volontariste de l'Etat se font déjà ressentir sur les finances publiques. En effet, la situation des charges et ressources du Trésor (SCRT), telle que calculée par le Ministère de l'Economie et des Finances et de la Réforme de l'Administration, fait ressortir un déficit budgétaire de 4,9 Mds de dirhams en avril, après un excé- dent de 5,7 Mds en mars, soit une aggravation de 10,6 Mds de dirhams en un mois. Cette détérioration s'explique par l'effort financier important de l'Etat en faveur du Fonds spécial de gestion de la pandémie Covid- 19, couplé à une baisse importantes des recettes fiscales. Ainsi, les dépenses ordinaires ont augmenté de 7,9 Mds de DH (+10,5%) par rapport à la même période de l'année 2019, tandis que les recettes ont enregistré une baisse de 4,1 Mds de DH par rapport à la même période de l'exercice 2019. Certaines recettes issues des impôts et taxes sont en forte baisse, comme celle relative à l'IR, les droits d'enregistrement, la TVA à l'importation, etc. A ce rythme, le déficit budgétaire pourrait exploser dans les prochains mois, et atteindre plus de 6% du PIB, voire plus, réduisant à néant tous les efforts de consolidations budgétaires de ces dernières années. Mais pouvait-il en être autrement ? Le fait est que l'intensité de la crise est telle que toute obstination à vouloir maintenir coûte que coûte les fameux équilibres macroéconomiques aurait été suicidaire. Même les pays les plus farouchement attachés à l'orthodoxie budgétaire mettent en place des politiques de relance économique de grande ampleur à coup de dizaines de milliards de dollars. C'est le cas aux Etats- Unis et en Europe.
Endettement massif Notons au passage que c'est pré- cisément la consolidation budgétaire de ces dernières années (comme par exemple la levée des subventions sur le carburant) qui permet aujourd'hui à l'Etat marocain d'avoir un peu de marge de manœuvres et de s'autoriser quelques largesses avec la sacrosainte orthodoxie budgétaire. L'amélioration des équilibres macroéconomiques durant la dernière décennie doit également permettre au Maroc de s'endetter dans des conditions relativement acceptables. Fort de son Investment grade confirmé par les trois agences de notation, le Maroc s'apprête à s'endetter massivement à l'international afin de financer son Plan de relance post-confinement. Si les montants qui seront levés auprès des marchés et des bailleurs de fonds internationaux sont encore inconnus, il n'en demeure pas moins qu'ils devraient se chiffrer à plusieurs dizaines de milliards de DH, eu égard aux immenses dégâts causés par la crise sur le tissu économique et industriel. La question qu'il faut dès lors se poser est : comment utiliser au mieux ces fonds ? Comment faire en sorte que cet endettement massif ne soit pas stérile ? «Une politique de relance a des prérequis. Parmi ces derniers, figure un degré minimum de protectionnisme afin d'éviter que les dépenses publiques n'aillent financer les PIB d'autres pays par le canal des importations», soutient l'économiste et chercheur Khalid Achachi. En outre, afin de limiter l'inflation, ces dépenses doivent être «canalisées exclusivement vers des investissements productifs, s'inscrivant dans le cadre d'une grande stratégie de développement multisectorielle et coordonnée», estime-t-il. En définitive, cette politique de relance par le budget et la dette n'aura de sens que si elle permet de générer de la croissance vigoureuse dans les prochaines années (après une phase de récession inéluctable). Il ne faudra donc pas se tromper sur les choix qui seront fait en matière d'allocation des ressources et de stratégie de relance. Dans le cas contraire, notre économie court au devant de grandes difficultés. ◆
Déficit budgétaire: Ce que prévoit CFG Marchés Les analystes de CFG Marchés anticipent un déficit budgétaire de 81 Mds de dirhams cette année soit -7,5% du PIB. La situation devrait être encore plus grave si le gouvernement venait à ne pas réaliser son programme de privatisations budgétisé cette année, à ne pas lever de fonds à travers les nouveaux mécanismes de financement, et venait à décider de poursuivre son programme d'investissement initialement prévu pour sécuriser la croissance économie future. Dans le but de financer le déficit budgétaire estimé sur la base des hypothèses de CFG, le gouvernement devrait lever 38,5 Mds de DH supplémentaires (par rapport au niveau prévu dans la LF 2020), soit un total de 148 Mds, un niveau situé dans le haut de la fourchette des levées historiques sur les 5 dernières années. Ceci en supposant que seulement 11 Mrds de DH seront levés à l'international en 2020.