Et de deux pour «Le printemps des feuilles qui tombent», de Abdelhak Najib. Homme aux multiples casquettes : journaliste, essayiste, critique d'art et écrivain. Réédition. Le roman s'enrobe joliment de touchantes naïvetés, de fulgurants enthousiasmes et de pardonnables maladresses. Une langue nerveuse, concise, drôle. Un style foisonnant et une sûreté de touche qui suffirait elle seule à imposer la lecture de ce roman d'une insolente beauté. «Le printemps des feuilles qui tombent» s'enracine significativement à Casablanca, à l'ancienne médina plus précisément, aux allures de ghetto, coupé du monde. Najib signe, ici, un texte sans compromis sur les désillusions du printemps arabe. Là, après le froid d'un hiver rigoureux, dans le temps suspendu, deux jeunes amis vivent les derniers instants d'un monde avant le passage à une autre saison, encore inconnue. C'est ce monde aujourd'hui presque incertain que Najib nous raconte dans ce roman d'une austère et troublante beauté. De quoi parle le roman ? De lui. Non pas qu'il raconte sa vie. L'auteur s'efforce du pouvoir de transformer son expérience. C'est dire que Najib met son expérience au service de ses personnages. Il ne suffit pas de décrire la viande pour donner de la chair. On cherche dans ce livre un visage ou une silhouette. Peine perdue. Les personnages, tout comme l'auteur, sont translucides. Parfois, fugitivement, on croit voir la lumière à travers. Mais ce n'est pas la leur. Pourtant, Najib se dépense sans compter. C'est l'histoire de deux jeunes amis, inséparables qui voient leur destin s'échapper, mais qui refusent tout de même d'abdiquer. Le plus jeune, Khalid, rêve de changer le monde. Son aîné Simohamed, ne croit plus en rien et passe la journée à nager derrière la grande mosquée Hassan II. Simohamed veut défier les autorités espagnoles qui ont décrété que tout Marocain qui arrive à traverser le Détroit de Gibraltar à la nage, obtiendra son permis de séjour en Europe. Mais les choses s'emballent vite dans un roman qui file à grande vitesse, faisant de chaque chapitre une plongée de plus dans l'horreur finale. Abdelhak Najib signe là un texte sur le courage, sur le dépassement de soi, sur les rêves -avortés- et les espoirs -ajournés-, sur les trahisons, les faillites et les entêtements de la mémoire, sur les ambiguïtés intrinsèques à l'héroïsme et sur les menaces cycliques de l'histoire qui finissent par broyer les rêves de tout un chacun. Sous l'apparence d'un thriller, et avec un implacable sens du suspense, nourri de tout un bagage cinématographique, Abdelhak Najib fait monter l'angoisse jusqu'à un degré insupportable en déclinant les formes les plus perverses et les plus dangereuses de la folie meurtrière des hommes dans le monde sans repères et sans limites qui est le leur. Un roman qui déploie une véritable galerie d'hommes et de femmes inoubliables tout en offrant un visage terrible de Casablanca, dépeinte ici comme une hydre qui engloutit ses propres enfants, dans un acte de barbarie sauvage et violent. La mort plane. Le plus dur, bien entendu, reste la chute. Inévitable. Douloureuse. Comme dans les tragédies anciennes. La chute, cela peut aussi être la mort de l'autre, de l'ami, de l'aimé, celui dont la présence était si essentielle, qu'il était impossible de penser son absence. «Le printemps des feuilles qui tombent» (Editions Orion), de Abdelhak Najib