* 39 enquêtes menées depuis 1999, mais aucune n'a abouti à des poursuites judiciaires. * C'est le Conseil d'administration du CDVM qui décide d'ester en justice. * Le gendarme du marché semble avoir les mains liées. Le délit d'initié, voilà un thème qui, en marge de l'ébullition que connaît la place casablancaise, redevient populaire. Il alimente en tout cas les discussions chez beaucoup d'opérateurs financiers, d'épargnants et d'investisseurs de la place. Dès qu'un important volume est échangé sur une valeur, on commence à en parler et à imaginer différents scénarios. Les soupçons relatifs à des cas de délits d'initié à la Bourse de Casablanca ne datent pas d'hier. On se rappelle en effet les affaires Financière Diwan, en 1997, et Agma Lahlou Tazi en 1999, pour ne citer que celles-là, qui avaient, à l'époque sucsité les doutes des investisseurs. Mais depuis 2005 et surtout durant l'année 2006, le nombre de transactions inhabituelles ou suspectes a augmenté significativement et des informations importantes concernant quelques valeurs de la cote ont été diffusées à un rythme plus élevé que d'habitude, d'où la certitude pour certains acteurs du marché qu'il y a bel et bien eu des délits d'initié. Ces présomptions ont-elles donné lieu à des enquêtes de la part du Conseil déontologique des valeurs mobilières ? En fait, plusieurs investigations sont menées chaque année par l'autorité de marché pour déterminer si un délit d'initié, a eu lieu. Mais aucune d'entre elles n'a jusqu'ici abouti à des poursuites en justice. Pour l'année 2006, le CDVM affirme avoir mené douze enquêtes dont huit sont liées à des manipulations de cours, le reste étant lié à l'utilisation d'informations privilégiées (délit d'initié). Parmi les sociétés qui ont dernièrement fait l'objet de suspicion de délit d'initié figurent les valeurs Managem et Addoha. «La filiale du groupe ONA a enregistré, durant des séances des mois de janvier et de février 2006, des volumes de transactions jamais atteints par le titre (70 millions de dirhams au 19 janvier)», fait remarquer un analyste financier de la place. Or, «quelques jours plus tard, le management de la société annonçait des résultats au titre de l'exercice 2005 en nette amélioration, faisant apparaître un résultat net part du groupe en hausse de 34%, un endettement divisé par trois et un portefeuille de couverture assaini», ajoute-t-il. Les transactions du 19 janvier étaient-elles alors le fait de personnes initiées ou était-ce une simple coïncidence ? Concernant Addoha, les soupçons de délit d'initié ont été encore plus forts. En effet, le volume des échanges sur la valeur a totalisé 1,05 milliard de dirhams le 10 novembre 2006, soit le plus important volume à cette date, et ce à la veille même de la signature par le PDG de la société des mémorandums d'entente avec l'Etat portant sur trois programmes d'aménagement et de construction pour une enveloppe de 11 milliards de dirhams. «Beaucoup de personnes ont cédé leurs actions ce jour-là à 2.014 DH car elles n'étaient au courant de rien. Après l'annonce des nouveaux projets, le cours de la valeur s'est envolé pour dépasser les 3.000 dirhams en moins d'un mois», explique cet analyste. Pour l'Adam (Association de défense des actionnaires minoritaires), il s'agit et sans aucun doute d'un cas de délit d'initié. «Nous surveillons quotidiennement le marché et nous relevons les transactions inhabituelles et les comportements susceptibles de constituer un délit boursier pour en aviser le CDVM afin qu'il mène ses enquêtes», affirme Abdelilah Yahyaoui, Secrétaire général de l'Association. Et un autre analyste d'ajouter que «durant ces deux dernières années, le nombre d'opérations suspectes a beaucoup augmenté. Pour le cas de l'action Addoha, c'est flagrant, mais l'enquête du CDVM n'a abouti à rien». Que fait donc le gendarme du marché ? Pourtant, l'autorité de marché adopte une procédure de surveillance et de contrôle digne des gendarmes des marchés développés. En effet, le CDVM examine quotidiennement toutes les transactions boursières, à la fois en temps réel et en différé, en les faisant passer par le filtre d'un logiciel spécialisé. L'examen est effectué par un service de surveillance en collaboration avec les surveillants de la Bourse de Casablanca, ce qui permet en principe de détecter toutes les transactions anormales par leur taille, leur sens, leur ampleur ou leur timing. Ces transactions sont ensuite analysées au regard des informations disponibles sur les valeurs concernées et, lorsque le service de surveillance soupçonne un délit d'initié, il peut décider d'examiner la situation de plus près. Dans les cas où les suspicions ne sont pas levées rapidement, le CDVM ouvre formellement une enquête et le dossier est traité par une nouvelle équipe, celle des enquêteurs. Ces derniers procèdent à la collecte de tous les éléments d'information nécessaires auprès, notamment, des sociétés de Bourse (collecte des enregistrements téléphoniques, des copies des ordres de Bourse...). Après analyse de ces documents, les enquêteurs peuvent procéder à l'inspection et à l'audition de toute personne concernée. À l'issue de l'enquête, la cellule établit un rapport et le transmet au Conseil d'administration du CDVM (présidé par le ministre des Finances). Ce dernier examine le dossier et décide soit de le transmettre à la Justice, soit de le renvoyer pour des investigations plus approfondies, soit de le classer. Malgré tout ce dispositif de surveillance, de contrôle et de traitement des dossiers, le système paraît faillible car il semble pour le moins anormal que tous les soupçons se soient révélés non fondés. Le CDVM explique qu'il peut mener des instructions pour examiner les suspicions, mais ne peut prouver qu'il y a eu délit d'initié, chose qui relève de la Justice. Comment se fait-il justement qu'aucun dossier n'ait, à ce jour, été soumis à la Justice ? La plupart des enquêtes que l'autorité de marché a menées n'ont abouti à rien, ou simplement à des mises en garde adressées par le Conseil d'administration aux personnes concernées, ou à des courriers rappelant les entités concernées à l'ordre et leur demandant de prendre les mesures nécessaires pour cesser les pratiques qui leur étaient reprochées. S'agit-il de décisions politiques que personne n'ose prendre ? Doit-on, finalement, si on se considère lésé par un délit d'initié, saisir directement la Justice au lieu de déposer une plainte auprès du CDVM ? Car, en fin de compte, il est plutôt étonnant que sur 39 enquêtes menées (cumul des enquêtes menées depuis 1999), aucune n'ait donné lieu à suffisamment de preuves préliminaires pour constituer un dossier juridiquement convaincant!