Bank Al-Maghrib prépare le projet de création d'un Charia Board, garant de la conformité des produits de la finance islamique. Les experts marocains flattent l'expérience malaisienne, mais sous certaines réserves. C'est bien parti cette fois-ci. Bank Al-Maghrib a ouvert des pourparlers avec un ensemble de savants islamiques pour la création d'un Charia Board afin de superviser l'industrie de la finance islamique au Maroc, a rapporté Reuters. Ce Conseil sera constitué d'universitaires et d'experts financiers. Ceux-ci auront pour mission de se prononcer sur la conformité des instruments et des services aux principes de la charia. Il faut dire que le régulateur est obligé de prendre les devants ,puisque l'instauration d'un Charia Board est indispensable pour exercer la finance islamique dont la loi devrait être adoptée lors de la session parlementaire d'avril. Mais, apparemment, ce qui peut être considéré comme une grande avancée par un grand nombre d'observateurs n'est pas satisfaisant pour tous. «C'est vrai que c'est un début. Et mieux vaut tard que jamais! Mais, pour résumer, c'est la montagne qui accouche d'une souris ! Nous sommes en face d'une loi passive qui ne fait que donner le droit d'exister à la FI, et encore !», déclare Mohamed Talal Lahlou, chercheur et consultant associé à MFI Consulting. «La loi n'évoque pas les détails, ce qui peut éventuellement conduire à un blocage», ajoute-t-il. Mis à part la constitution d'un Charia Board, à quoi celui-ci sert-il concrètement ? En effet, lorsque les services bancaires sont conformes aux différents principes de la charia, ils sont dits « Sharia compliant ». Le Sharia Board est le comité de conformité chargé de l'attester et de rejeter les transactions contraires à la Charia. Il est constitué d'Oulémas (savants de l'Islam) qui disposent de solides connaissances bancaires et financières. Si l'ensemble des Oulémas admet les principes fondamentaux de la finance islamique, la coexistence de plusieurs écoles de pensée conduit néanmoins à des interprétations divergentes des textes sacrés et empêche donc une harmonisation des services financiers. Alors que certains Sharia Board se conforment strictement aux principes religieux, d'autres sont plus ouverts et prennent en compte les exigences du marché. Par exemple, les Sharia Board malaisiens sont réputés beaucoup plus souples que ceux des pays du Golfe. «Le seul bémol que je peux évoquer dans le cas de la Malaisie concerne certains aspects jurisprudentiels, où des produits controversés et parfois même jugés illicites sont commercialisés, par exemple : bai al'inah (buy-back) ou autres «dérivés» islamiques», nous explique Talal Lahlou. Pour pallier ce problème d'hétérogénéité, la Banque centrale de Malaisie a créé un Sharia Board central. Les institutions peuvent avoir leur propre comité, mais tous doivent se conformer aux règles dictées par le Sharia Board central. La Malaisie : pionnier et acteur majeur de la FI La création d'un Sharia Board central est loin d'être la seule innovation de la Malaisie en matière de finance islamique. Le pays est un véritable précurseur en la matière et devance la plupart des pays arabes. En ce sens, l'expérience malaisienne intéresse particulièrement les experts marocains car elle représente un potentiel de développement du secteur au Maroc. Les chiffres que Ziyaad Mohamed, conseiller en FI à Kuala Lumpur, nous a donnés illustrent cette croissance remarquable : les actifs du secteur, qui s'élevaient à 1,4% du marché en 1990, représentent aujourd'hui près de 24% et valent 470 milliards de ringgits (1.288 Mds de DH). En effet, la Malaisie est l'un des premiers pays à avoir développé la finance islamique dans les années 1970. Soulignons qu'elle est également l'un des pionniers du système dualiste dans lequel la finance conventionnelle et la finance islamique coexistent même au sein d'une seule et même institution bancaire. La Malaisie, qui s'est dotée de nombreux centres de recherche et institutions, dont Islamic Financial Services Board (l'IFSB,), a également organisé en 1994 un marché interbancaire entièrement conforme aux principes islamiques (Islamic Interbank Market). Toutes ces innovations font que Kuala Lumpur s'est imposée ces dernières années comme un centre mondial de la finance islamique. Etant également le leader du halal, la Malaisie a lancé en 2011 le premier indice boursier uniquement dédié à l'industrie agroalimentaire halal baptisé indice SAMI Halal Food Index (Socially Acceptably Market Investments ou Placements sur les marchés socialement acceptables), dont les sociétés cotées sont en majorité malaisiennes. Au vu de l'expansion de la classe moyenne malaisienne qui crée une demande forte pour un large éventail de services financiers sophistiqués, la croissance du secteur de la finance islamique ne semble pas prête de ralentir dans ce pays. Au final, quel que soit le modèle choisi au Maroc, c'est la force des opérateurs présents sur le marché qui l'emporte. Selon les spécialistes, la finance islamique a toujours connu une introduction douce et progressive. C'est la politique du pays qui l'adopte qui détermine son développement rapide, à l'image de la Malaisie, ou à l'inverse lent. «En Malaisie, il y a eu ce qui manquait dans la majorité des pays, à savoir des incitations fiscales. Dans le cas du Maroc, nous demandons au moins la neutralité fiscale», souligne, pour conclure, Talal Lahlou.