Avec 1.300 Mds de DH d'actifs gérés en 2012, la Malaisie est à la pointe de la finance islamique. Ziyaad Mohamed, conseiller et formateur en finance et régulation islamique en Malaisie, nous éclaire sur les raisons du succès de la FI dans son pays. Finances News Hebdo : A combien estimez-vous le total des actifs de la finance islamique en Malaisie? Ziyaad Mohamed : La taille du marché bancaire islamique est d'environ 470 Mds RM (1.287,68 Mds de DH, 1 Ringgit Malaisien : 2,74 DH), soit un peu plus de 24% des actifs bancaires totaux de la Malaisie avec une croissance de 20% en 2012 par rapport à l'année précédente. La finance islamique est en constante augmentation, capturant ainsi annuellement plus de fonds que le marché bancaire conventionnel. F. N. H. : Quelles sont les principales conditions pour qu'un produit bancaire soit « Sharia compliant »? Z. M. : La condition principale est que le produit et/ou la banque ne doit pas intervenir dans les éléments interdits par la charia, à savoir: a. Riba: vaguement défini comme un intérêt. Il est tout bénéfice ou avantage obtenu par le prêteur comme une condition d'un prêt sur une période de différé. Il y a des interdictions à la fois sur les prêts d'argent pour plus d'argent et le prêt de certains types de produits comme les dattes, les céréales, l'or et l'argent pour une quantité supérieure à celle initialement prêtée, par exemple 2 kg de dattes de faible qualité pour 1kg de dattes de haute qualité. C'est aussi l'usure. b. Gharar: se référant à l'incertitude sans tenir compte des opérations imprudentes. Cette interdiction s'applique également à l'interdiction de la vente d'un bien non existant. Les transactions ambiguës et aussi celles qui contiennent des défauts cachés. c. Maisir: tous les produits qui comportent un élément de jeu sont également interdits. Ces opérations comprennent les instruments dérivés conventionnels de couverture, les contrats de change et les contrats d'assurance classiques. Ceux-ci sont considérés comme inadmissibles en raison de l'ensemble des trois interdictions ci-dessus, mais le Takaful est considéré comme une alternative acceptable. d. Les articles interdits : il est prohibé d'acheter ou de vendre des produits qui ont été interdits à la consommation et l'utilisation dans l'Islam, par exemple, la vente d'alcool, le porc, l'idolâtrie, etc F. N. H. : A quel point la coexistence de plusieurs écoles de pensée conduit-elle à des interprétations divergentes ? Jusqu'à quel degré cela peut-il être une contrainte pour l'harmonisation des services financiers conformes à la charia ? Z. M. : Dans le cadre de la charia, les écoles de pensée fournissent un caractère de force à toutes les questions traitées en cernant tous les détails. En particulier dans le secteur bancaire islamique qui fait partie du «fiqh mua'amalt» ou la loi de l'interaction sociale. Ces détails sont nécessaires pour une délibération plus rigoureuse. Cela signifie que le droit bancaire islamique peut se référer à des écoles de pensée et fournir une opinion globale sur les enjeux contemporains. Mais actuellement, la finance islamique ne trouve pas toujours ses solutions directement auprès des écoles de pensée. Les besoins actuels et les produits qui en résultent sont basés sur l'ijtihad (déduction juridique). Par conséquent, les différentes interprétations sont généralement avantageuses à l'harmonisation des décisions concernant la charia des produits contemporains. A cette fin, nous avons des organismes internationaux comme l'AAOIFI (Accounting and auditing organization for islamic financial institutions) basée au Bahreïn. Elle abrite les 25 autorités les plus respectées dans la jurisprudence islamique. Elle étudie toutes les interprétations et donne des orientations sur la manière la plus appropriée, sur la base de notre situation actuelle. F. N. H. : Les Sharia Board Malaisiens sont réputés être beaucoup plus souples que ceux des pays du Golfe. Cela a-t-il une influence sur la nature des produits financiers conformes à la charia ? Z. M. : Oui, le Conseil de la charia de la Banque nationale de la Malaisie (Bank Negara) a été plus souple dans sa prise de position sur certains produits. Ceci a conduit à un certain nombre de produits qui ne sont pas considérés comme conformes à la charia par les pays du Golfe. Le plus célèbre est Bai al dayn (Vente de créances) et Bai al'Inah (vente et rachat). Ces deux produits seuls ont soulevé une controverse importante sur le système bancaire islamique malaisien car ils ont un certain nombre d'instruments de trésorerie, les sukuk (obligations islamiques), et les produits de détail qui sont basés sur l'acceptation de ces instruments. Toutefois, le Conseil de la charia de la Bank Negara est devenu récemment plus strict que ceux de la région du Golfe, en imposant des restrictions sur l'utilisation de Bai al'Inah. Je pourrais même dire que l'objectif initial était de permettre à ces produits douteux (vis-à-vis de la charia, ndlr) de stimuler l'inclusion financière pour un grand nombre de personnes non bancarisées (en raison de Riba) et de réduire par la suite la commercialisation de ces produits une fois que le marché de la finance islamique est devenu plus mature. Cela pourrait sans doute être la raison pour laquelle la finance islamique en Malaisie est considérée comme la plus sophistiquée et la mieux établie dans le monde entier. F. N. H. : Outre la création d'un Sharia Board central, quelles sont les autres innovations de la Malaisie qui peuvent inspirer le régulateur marocain dans la mise en place d'une réglementation en matière de finance islamique ? Z. M. : D'après l'expertise malaisienne, Il y a un certain nombre de stratégies que le régulateur marocain se doit d'inclure dans la réglementation: I. La description détaillée des produits bancaires islamiques qui peuvent être offerts conjointement avec les exigences réglementaires. II. Les lignes directrices d'une présentation spécifique des états financiers des filières islamiques. III. Les lignes directrices sur la capitalisation et la gestion des ressources humaines, ainsi que le transfert croisé des compétences. IV. Les lignes directrices sur la robustesse du système informatique et de la ségrégation spécifiquement des filiales bancaires islamiques. V. Un cadre robuste de risk management pour les banques islamiques (à la fois pour les filiales islamiques et pour les maisons-mères); VI. Des procédures de bonne gouvernance des banques islamiques comprenant les exigences bancaires actuelles. Voici donc quelques conditions pour réussir la mise en place d'une réglementation. F. N. H. : Comment peut-on instaurer un système bancaire dualiste ? C'est à dire comment la finance conventionnelle et la finance islamique peuvent-elles coexister au sein d'une seule et même institution bancaire ? Z. M. : Avant toute chose, le Maroc doit avoir une stratégie de cinq ans et des modèles qui doivent être back-testés avant la mise en place du système bancaire islamique. Il s'agira avant tout de la dénomination d'un Conseil de charia (sharia board) et l'instauration d'un packaging complet de la législation bancaire islamique.