■ Le problème de la finance islamique réside dans le manque de liquidité des produits. ■ Un potentiel de croissance développé est attendu dans les prochaines années. ■ Anouar Hassoune, consultant à l'Islamic Financial Services Board et General Manager de Hassoune Conseil, nous fournit davantage d'éclaircissements en la matière. ✔ Finances News Hebdo : A quels problèmes êtes-vous confrontés lors de l'accomplissement de vos missions ? ✔ Anouar Hassoune : Je fais quatre grands métiers : le consulting ou conseil en restructuration des produits islamiques, le management de projets ou la constitution de projets islamiques un peu partout dans le monde, la levée de fonds et le training ou la formation professionnelle. Le plus compliqué de ces métiers est la levée de fonds. Nous partons du principe que la finance islamique est dirigée vers l'économie réelle. On sort alors du cadre de la banque classique qui collecte des dépôts et distribue des crédits. Nous mettons à la disposition des clients des fonds sur des classes d'actifs qui sont considérés comme risqués. Nous travaillons sur l'investissement direct en capital des entreprises et les infrastructures, notamment l'immobilier, l'eau et l'énergie. Le problème principal que nous rencontrons réside principalement dans la difficulté de convaincre notre base d'investisseurs de quitter les classes d'actifs liquides et assez courantes du type obligataire, monétaire ou actions, pour se diriger vers des produits moins liquides mais plus rémunérateurs. Pour résumer, le problème c'est la liquidité. La finance islamique a été, certes, résiliente à la crise, mais elle connaît aussi des problèmes de liquidité comme n'importe quelle autre banque classique. ✔ F.N.H. : Comment se refinancent les banques islamiques ? Est-ce qu'elles adoptent le circuit courant de financement à travers les avances de la Banque centrale moyennant un taux d'intérêt (ce qui est illicite), ou adoptent-elles un autre type de refinancement ? ✔ A. H. : Les banques islamiques ne peuvent pas utiliser des instruments de taux pour refinancer leur bilan en cas de choc de liquidité. Par conséquent, dans un certain nombre de pays du monde, les banques centrales ont fourni des instruments de liquidité aux banques de manière compatible avec la Shariâ, autrement dit en émettant par exemple des obligations islamiques que les banques islamiques portent sur leur bilan. Ces dernières peuvent les déposer en pension au niveau de la Banque centrale et en contrepartie, celle-ci fournira de la liquidité shariâ. Les banques centrales ont aussi «shariâ compatibilisé» les repos. Ainsi, les prises de pension ont été rendues shariâ compatibles. Economiquement parlant, cela revient au même, mais il faut que le sous-jacent soit islamique ainsi que le contrat qui lie la Banque centrale à la banque. Il y a lieu de noter que Bahrein est le pays le plus avancé dans ce domaine-là. ✔ F.N.H. : Quel potentiel voyez-vous pour le développement de la finance islamique dans le monde, d'une part, et au Maroc, d'autre part ? ✔ A. H. : La finance islamique compte à fin 2010 1.080 milliards de dollars, selon les chiffres de la banque britannique House Bank. L'on s'attend à fin 2011 à un taux de croissance de 15% de l'industrie de la finance islamique et de plus de 100% pour l'industrie des Sukuks. Ceci représentera un total d'actifs de 1.200 milliards de dollars. Ceci est incontestablement énorme, surtout qu'il n'y a que 40 ans que nous avons commencé notre activité. Mais il y a plus de 1,5 milliard de Musulmans sur terre et le taux de capture du marché musulman par les banques islamiques est inférieur à 15%. Le secteur a un manque à gagner de 85%. La croissance continuera certainement parce que là où il y a des Musulmans, il y aura des banques islamiques. ✔ F.N.H. : Finalement, à terme, les banques islamiques feront-elles concurrence aux banques conventionnelles ? ✔ A. H. : Elles leur font déjà concurrence. La part de marché de la finance islamique au Soudan est de 72%. Elle est de 80% en Arabie saoudite, de 30% à Bahrein et de 22% en Malaisie. Malgré leur jeune âge, elles sont dans une large mesure compétitives par rapport aux banques classiques. Au Maroc, on parle de société de financement islamique et non de banque islamique. Nommée «Dar Assafae», celle-ci ne collecte nullement les dépôts. L'étape prochaine sera de bancariser les sociétés financières spécialisées dans les produits alternatifs et donc d'autoriser ou d'agréer une banque islamique à octroyer des crédits et à collecter des dépôts. A mon sens, si je devais conseiller, je pense qu'il serait rentable de créer une joint-venture entre une banque marocaine et une banque islamique du Golfe ou de Malaisie, et de filialiser alors cette activité-là. A travers cela, nous aurons la connaissance du marché par la banque marocaine, en plus de l'injection des fonds propres et un transfert des technologies islamiques vers le Maroc par les autres banques partenaires. ■ Propos recueillis par I.Benchanna