BAM compte créer un marché secondaire des créances en souffrance pour alléger les bilans des banques. Beaucoup d'investisseurs locaux et étrangers seraient intéressés par ce type de papier.
Par : Youssef Seddik Créances en souffrance : Une seconde vie pour les créances douteuses Dans l'industrie financière mondiale, tout est titrisable : créances hypothécaires, créances commerciales, prêts étudiants, royalties, même les encours de cartes de crédit … Bref, tout actif sous-jacent dégageant des cash flows réguliers est aujourd'hui utilisé comme support. Au Maroc, nous sommes encore très loin de cette configuration. La financiarisation de l'économie est encore «saine», et les émetteurs locaux se contentent de titriser des créances propres. Le marché de la titrisation reste de fait de taille restreinte, avec un encours de 9,2 Mds de DH, selon les derniers chiffres de BAM. Et ce, bien que le périmètre d'éligibilité des actifs ait été élargi en 2013. Si selon les professionnels le potentiel d'actifs de bonne qualité et titrisable est loin d'être tari, la Banque centrale veut déjà s'attaquer aux créances en souffrance. Dans sa dernière sortie médiatique, la Direction de la supervision bancaire (SB) relevant de Bank Al-Maghrib a dit «sérieusement» se pencher sur le sujet. «Si la conjoncture économique continue à enregistrer une croissance assez lente sur les activités non agricoles, la sinistralité continuerait à peser sur les portefeuilles des banques. Il se peut que dans les années à venir, nous restions dans des taux de 7 à 8%», a fait savoir Hiba Zahoui, directrice de la SB. Le constat est clair : le secteur bancaire marocain ploie sous un stock de crédits en souffrance, lequel a un coût certain sur l'économie. Car, d'un côté, il pèse sur la rentabilité des banques, et de l'autre, il entrave leur capacité à financer proprement l'économie. Notons qu'à fin juillet 2019, les créances en souffrance ont enregistré une hausse de 4,3% pour atteindre 67,55 Mds de DH. Un accroissement qui a concerné, pour l'essentiel, les crédits aux ménages, qui ont bondi de 12,3% d'une année à l'autre (27,98 Mds de DH). Le taux de sinistralité tourne actuellement autour des 7,5%. Pour atténuer le poids des créances en souffrance et libérer les bilans bancaires de ces portefeuilles qui peuvent être mieux exploités, la Banque centrale a déjà sa petite idée. «Nous regardons le sujet de création d'un marché secondaire des créances en souffrance, qui permettrait de s'appuyer sur des acteurs spécialisés du recouvrement. Ces derniers, avec leurs techniques, leurs pilotages, leurs propres modes de gestion, vont permettre d'améliorer la recouvrabilité de ces portefeuilles et libérer des fonds propres pour les banques», nous explique H. Zahoui. Créances en souffrance : Structure de défaisance Dès lors, cela fait penser aux structures de défaisance dont le secteur bancaire se faisait l'écho depuis des mois et dont l'idée commence à prendre une résonance particulière. Ces entités juridiques, appelées aussi «Bad Bank», permettent en effet d'assainir les bilans des établissements financiers en les débarrassant des actifs «non-performants». Ces derniers sont ainsi regroupés dans une structure spécialisée conçue pour les écouler sur plusieurs années. En Europe, le cas de Bad Bank le plus connu est celui de la banque Dexia. Et tout récemment, c'est Deutsche Bank qui envisagerait de mettre sur pied une Bad Bank, dans laquelle seraient logés jusqu'à 50 milliards d'euros d'actifs risqués. Rappelons que le wali de la Banque centrale avait déjà affirmé l'hypothèse de création d'un tel type de structure. «Oui, on y pense. Nous avons reçu des propositions que nous étudions», avait-il indiqué en mars dernier, en précisant qu'il est encore prématuré de se prononcer. «Il n'y a encore aucune décision qui a été prise à ce sujet, car cela ne dépend pas uniquement de nous, mais également des banques concernées. De plus, plusieurs points techniques sont encore à régler». Quelques mois plus tard, la DSB confirme la possibilité : «c'est un scénario que nous étudions très sérieusement avec le secteur bancaire. Ces techniques de titrisation donneront un nouveau souffle à ces créances en souffrance». Apportant quelques détails, sa directrice nous apprend qu'«il n'y a toutefois pas de distinctions sectorielles de créances». Dit autrement, c'est une solution valable pour les créances en souffrance, quel que soit le secteur d'activité. Et que «tout dépendra de l'appétit des investisseurs par rapport à ce type de papier et des portefeuilles qu'ils vont analyser et sur lesquels ils vont faire des due diligence». Avant d'affirmer qu'il y a beaucoup d'investisseurs locaux et étrangers qui seraient intéressés par ce type de papier. Généralement, ce sont des fonds spécialisés prêts à supporter le risque.
Encadré
Créances en souffrance : Un concept nouveau Le concept du marché secondaire de la gestion des créances douteuses est assez récent. En Europe, par exemple, le marché est embryonnaire, non régulé et atomisé. Sur les 1.000 milliards d'euros d'actifs toxiques logés dans les banques européennes, seuls 130 Mds d'euros y sont vendus. D'ailleurs, l'Union européenne, dans le but de favoriser le rachat et la gestion de ces prêts non-performants, va créer un système électronique de négoce, qui permettrait de diminuer les coûts de transaction et d'attirer un nombre plus important d'acteurs. BAM aurait donc pensé au même plan : délester les bilans bancaires et faire émerger un marché secondaire des créances douteuses. Car, finalement, leur accumulation ne ferait que planer des besoins de recapitalisation et fragiliserait la transmission de la politique monétaire du régulateur.