ν Le CES établit un plan de réforme du système fiscal en 7 axes déclinés en 80 mesures. ν Le rapport, qui a nécessité une année de réflexion, prévoit une réforme globale politique et non pas technique. Détails des recommandations du Conseil Economique et Social. Le Conseil Economique et Social a présenté récemment à Rabat son rapport relatif à la réforme fiscale au Maroc. Baptisé «Le système fiscal : Levier du développement économique et de la cohésion sociale», le rapport, autosaisine, comporte 80 propositions de mesures réparties en sept axes majeurs. C'est ce qui explique le temps qu'a demandé ce travail, à savoir une année ! «Ce rapport a été adopté à l'unanimité», explique Chakib Benmoussa, le président du CES. Décrivant le contexte dans lequel est intervenue l'élaboration d'un tel rapport, il évoque trois éléments de réponse. Le premier est que le système fiscal est la base de toute politique publique, de même que ce sujet n'est pas abordé dans un cadre global, et surtout qu'il nécessite le consensus de différents intervenants. Chakib Benmoussa a assuré dans ce sens que la composition plurielle du CES permet d'avoir un débat calme et global qui se détache des lobbies et cherche le compromis. De même qu'un benchemrak a été réalisé pour comparer et s'enrichir des expériences de la Turquie, de la Finlande, de la France, de la Tunisie, de l'Egypte et de l'Espagne. Sur le plan technique, le CES a été assisté par des spécialistes et a veillé à ce que le débat soit ouvert à tous les intervenants pour avoir une vision à laquelle tous adhèrent. La réforme, telle qu'imaginée par le CES, doit répondre à deux éléments importants : s'adapter à la conjoncture et s'inscrire dans la durée pour donner de la visibilité aux investisseurs. Le débat a été plus orienté vers une approche sectorielle dans l'objectif final d'avoir une feuille de route pour une réforme globale basée sur 7 piliers qui ont été détaillés par Ahmed Rahhou, le président de la Commission économique du Conseil économique et social. Et la première conclusion à laquelle avait abouti ce benchmark est que ces pays ont une vision complète et globale des systèmes de prélèvement et de réallocation. Ahmed Rahhou a rappelé, à juste titre, qu'on ne peut pas isoler le système fiscal du système de compensation ou de celui de la couverture sociale. Dans ce sens, il a été souligné que tout s'articule, ce qui oblige cette réforme à être une réforme politique d'ampleur et non pas une réforme technique. «Nous avons également noté que l'impôt pèse sur le tissu économique parce qu'il privilégie des secteurs sur d'autres et favorise l'importation», estime A. Rahhou. A ce niveau, il est attendu que le système fiscal recouvre sa fonction d'instrument d'incitation économique et de redistribution. Une feuille de route à sept axes Le premier axe de réforme du système fiscal, tel que proposé par le CES, tend à créer une convergence entre la réforme et l'instauration d'une justice sociale, notamment le financement de certaines Caisses de solidarité. Dans ce sens, on estime que ce financement de la solidarité ou de péréquation peut, s'il n'est pas considéré dans sa globalité, conduire à une multiplication des prélèvements et des taxes. Dans ce sillage, la réforme de la compensation devrait dégager des économies qui peuvent être affectées à la solidarité sans avoir à alourdir ou complexifier les prélèvements. Le rapport propose également de réserver 2 points de TVA à l'effort de solidarité, bien évidemment après réforme de cet impôt tant décrié, notamment par les opérateurs économiques. «Cela règle le problème à la base au lieu de chercher chaque année des mécanismes nouveaux pour financer la solidarité», explique le président de la Commission Economique du CES. Huit mesures sont d'ailleurs proposées pour réformer cet impôt, dont l'une d'elles insiste sur le réexamen de la liste de l'ensemble des produits actuellement à 0,7, 10 ou 14 % de TVA pour les reclasser sur une nouvelle grille. Le deuxième axe de réforme proposé par le CES vise à assurer une juste répartition de la charge fiscale et la sauvegarde du pouvoir d'achat de la classe moyenne. Dans ce sens la transparence et le contrôle restent les maîtres mots. En effet, comme le souligne le rapport, le rejet de l'impôt ou l'impression d'être trop prélevé émane non pas de l'importance de l'impôt, mais du sentiment que tout le monde ne s'acquitte pas de ses obligations de la même façon et que la charge n'est pas équitablement répartie. Ahmed Rahhou prend l'exemple de l'immobilier, secteur qui enregistre 70% des litiges dans ce sens. Et le manque de transparence des barèmes utilisés par l'administration nourrit très largement le sentiment d'inégalité et d'injustice. Pour régler ce problème, le CES propose la publication des barèmes de taxation dans l'immobilier qui met fin à la sous-déclaration. De même que le CES propose la notion d'intégration au préalable pour les biens non prévus dans ces barèmes, notamment dans le cas de gros investissements, pour ne pas avoir la surprise du redressement fiscal. La réforme compte instaurer la possibilité pour un acquéreur ou à un vendeur d'un bien immobilier de valider le prix a priori par l'Administration fiscale. En cas de non réponse dans un délai d'un mois, les barèmes en vigueur s'appliquent sans possibilité de recours par l'administration fiscale. Toujours dans ce deuxième axe, le CES appelle à la fiscalisation du secteur agricole, notamment les exploitations d'une certaine taille, ce qui permettrait, en plus d'une égalité devant l'impôt, de structurer et de développer ce secteur. Concernant les modalités de mise en place de la TVA agricole, la première approche consiste à considérer les points d'accès au marché comme lieu de liquidation de la TVA, ou prévoir une taxation à la TVA entre les mains des circuits de distribution... Le CES insiste pour dire que la fiscalisation et la couverture sociale doivent aller de pair, et il en est de même pour les mécanismes de soutien en cas de difficulté naturelle. Le rapport contient d'autres mesures concernant le secteur agricole, mais s'intéresse également à d'autres métiers libéraux qui ont des revenus, sans pour autant supporter la même charge fiscale que les salariés. Ces derniers payent 70 à 73% de l'IR. L'autre mesure proposée dans ce cadre, pour éviter une érosion du pouvoir d'achat de la classe moyenne, est celle d'indexation de l'IR sur l'inflation. De même qu'il est suggéré de relever progressivement la tranche exonérée à 4.000 DH ; et d'uniformiser la base de taxation sociale et fiscale, afin d'éviter la multiplicité des bases pour les contrôles et créer une plus forte incitation à la déclaration, notamment pour la retraite. Et dans le cadre des politiques de réforme du système d'éducation nationale, le CES estime qu'il peut être envisagé de déduire, de la base imposable à l'IR, une partie des frais de scolarité pour les familles qui payent pour la scolarisation de leurs enfants. Haro sur la spéculation Le rapport du CES accorde tout un axe de réforme à des propositions pouvant lutter contre la spéculation et encourager la mobilisation du foncier qui pose de sérieux problèmes de développement de projets au Maroc. Il a été ainsi proposé l'instauration d'un Impôt de Solidarité sur le Patrimoine non bâti (TNB), avec un taux progressif dans le temps. Pour les prometteurs immobiliers, le paiement de la TNB peut être suspendu pour une période de 7 ans à partir de la date d'acquisition. Si aucun programme n'est réalisé sur ce foncier pendant cette période, ou en cas de vente, la TNB serait due rétroactivement. «Ceci permettrait de mettre rapidement un bien foncier dans le circuit productif», estime Ahmed Rahhou. Le CES propose, entre autres mesures, la taxation dans l'année suite au classement d'un terrain en périmètre urbain ou en cas de changement significatif d'affectation (zoning). Cette taxe pourrait correspondre à la valeur créée sur ce terrain avec un abattement de 50%. Cet abattement n'est pas libératoire. Le quatrième axe de cette réforme, telle qu'imaginée par le CES, promeut une fiscalité qui encourage le secteur productif à travers des mesures dont l'une des plus importantes est l'autorisation accordée aux entreprises du secteur agricole de déduire de leur TVA collectée, l'équivalent d'un montant de TVA sur leurs achats agricoles, calculé sur la base du même taux que celui appliqué à leurs produits finis. Cette déduction se retrouvera en baisse de prix, ce qui reviendra in fine à taxer les produits finis à hauteur de 2 à 5% seulement, sans avoir à créer de nouveaux taux de TVA, précise le rapport. La réforme de la fiscalité répond également à un souci majeur de notre économie nationale, celui de l'informel. Dans ce sens, le CES cible essentiellement les importateurs qui sous-déclarent les marchandises importées pour échapper à la TVA, les circuits de distribution occultes qui échappent à tout impôt, et les producteurs qui lèsent leurs employés en ne les déclarant pas et, par conséquent, en leur enlevant toute possibilité de couverture sociale. Notamment à travers la mise en place d'une politique volontariste de lutte contre les fausses factures, par un système de croisement des fichiers entre déclarants, (facturés et facturants), surtout dans le BTP. Ce type de contrôle peut faire l'objet d'un contrat avec le privé, qui inclut éventuellement la saisie des données. Mais il ne s'agirait pas uniquement de sanction, puisque d'autres mesures sont également prévues pour aider les petits artisans à transférer leurs activités informelles vers la sphère officielle de l'économie organisée. Le sixième axe s'inscrit pour sa part dans la philosophie même de la réforme, à savoir la prise en charge en partie du financement de la couverture sociale pour réduire la pression sur les salaires. Ainsi, dans le cadre des réformes touchant les retraites et les nouvelles couvertures sociales, l'équilibre financier peut être trouvé par un financement partiellement basé sur la TVA qui doit être réformée en conséquence. Ainsi, le passage d'une TVA à 4 taux aujourd'hui (7%, 10%, 14% et 20%) à une TVA à deux taux (10% et 20%), permettra de dégager des ressources à affecter à la couverture sociale et aux mécanismes de solidarité. Il est proposé également de créer une tranche de TVA aux alentours de 30% sur les produits de luxe, avec une affectation similaire du surplus. Les changements de taux de TVA auront évidemment des conséquences sur les prix des produits, notamment ceux bénéficiant de taux réduits... Enfin, le rapport insiste sur les mesures à même d'instaurer un climat de confiance entre l'Administration et le contribuable. Citons à titre d'exemple la mise en place des cours spécialisées avec des compétences adaptées aux problèmes fiscaux au niveau des tribunaux administratifs, en veillant à l'amélioration des délais de traitement et de jugement des dossiers. Ou encore la responsabilisation des agents de l'Administration au titre des chefs de redressements exagérés notifiés aux contribuables et qui s'avèrent non fondés. Les recommandations, (rappelons qu'il ne s'agit que de propositions) contenues dans ce rapport permettent de faire progresser le débat et planter le décor à moins de trois mois de la tenue des Assises de la fiscalité, prévues en février 2013. Pages réalisées par S .E. & I. B. 7 mesures relatives à l'IS Le Rapport «Le système fiscal : Levier du développement économique et de la cohésion sociale» du CES consacre sept mesures concernant l'Impôt sur les Sociétés. La première est une proposition de clarification des textes pour la fixation du résultat imposable (Provisions taux de chutes ou de perte, prix de transfert, etc), à définir avec les différents secteurs d'activité. Deuxièmement, pour les professions organisées selon des lois spécifiques et selon une comptabilité spécifique, aligner les pratiques fiscales selon les modalités du plus de compte concerné (provisions, durée d'amortissement, placements, etc). La troisième mesure appelle à fixer un barème progressif de l'IS adossé au résultat imposable : -15 % jusqu'à 1 million. -20% de 1 à10 millions. -25% de 10 à 20 millions. -30% jusqu'à 200 millions. -35% jusqu'à 1.000 millions. -40% au-delà. Egalement, prévoir que ces deux derniers taux pourraient être abaissés après une période maximum de 3ans, le temps que l'assiette soit élargie et que les recettes de TVA retrouvent un rythme normal après que la réforme de la TVA soit entrée en vigueur. L'autre mesure est celle de revoir la fiscalité de groupe pour rendre plus simples les regroupements d'activité, les apports d'actifs à une activité ou les séparations d'activités. La réforme fiscale, telle qu'envisagée par le CES, prévoit de lier pour un groupe, la possibilité de bénéficier de la fiscalité de groupe comme proposé précédemment à la nécessité de payer l'IS sur le résultat consolidé. Etant entendu que les résultats déficitaires ne seraient pas consolidés, mais garderaient dans l'entité juridique où ils ont été enregistrés la possibilité de report comme il est en vigueur actuellement. La dernière mesure relative à l'IS prévoit une cotisation minimale dont le taux augmente progressivement en fonction du nombre d'années où l'impôt payé correspond à la cotisation minimale, tout en tenant compte du cas particulier des secteurs dont la marge est réglementée.