Au Maroc, le cash domine et coule à flots. Les établissements de paiement seront confrontés au défi de la rentabilité.
Y.S
C'est un sujet intarissable. Loin s'en faut. Le paiement électronique continue d'alimenter les débats. Même les plus grands spécialistes mondiaux du paiement, Visa en l'occurrence, avouent être «confus» face à la nature très changeante et évolutive du secteur. Le Directeur général de Visa Nord Afrique, Ahmed Gaber, explique que «beaucoup de choses arrivent dans ce domaine. Parfois, on se perd sur la direction à suivre. Nous sommes encore loin de la maturité». Dans les pays développés, le cash est «en voie d'extinction». Seuls 36% des transactions dans le monde se font par cash. Au Maroc, le cash is still king ! 92% des paiements sont toujours effectués en liquide. Une configuration qui, en attendant le déploiement effectif du m-paiement, devrait changer. Selon l'étude présentée par Visa lors de la 7ème édition du Forum du paiement électronique en Afrique, le Maroc est considéré comme «Cash Centric» (une économie centrée sur le cash). Dans une ville comme Casablanca, le paiement électronique peut rapporter 900 millions de dollars, ce qui représente pas moins de 3,75% du PIB de la ville. Comme nous l'expliquions plus haut, le paiement mobile est de nature à réduire la circulation du cash tout en renforçant l'inclusion financière. Un exercice propre aux banques, mais auquel se prêtent les nouveaux établissements de paiement. Réussiront-ils à relever ce défi, et peuvent-ils supplanter l'activité des banques dans les paiements ? C'est la question à laquelle a tenté de répondre Laidi El Wardi, conseiller du PDG de la BCP. En théorie, oui, dit-il. Ces fintech peuvent chahuter les banques marocaines. Elles profitent d'une grande profondeur du marché (population à faible revenu) et d'une sensibilité marquée des Marocains aux prix des services bancaires. Pour El Wardi, «les Marocains estiment que l'offre de la banque au quotidien est chère, alors que les établissements de paiement jouent sur le coûts et proposent des tarifs réduits». D'autant que les premiers agréments sont octroyés à des acteurs dont le réseau d'agences est assez dense, Wafacash par exemple. Elles offrent une expérience client enrichie et assez séduisante, basée sur la «phygitalisation». Un mélange de physique (point de vente) et de digital (application mobile, site Internet...).
Un long chemin pour les établissements marocains Dans la pratique, ces nouveaux acteurs ne peuvent supplanter les banques dans l'activité des paiements. Déjà, il y a une barrière culturelle qu'il faut faire sauter au Maroc. Dans les pays où l'expérience des paiements électroniques a fait ses preuves, il y a une histoire derrière. Par exemple, dans les pays nordiques, les salaires ne sont plus payés en liquide depuis les années 60. Dès les années 80, la population utilisait massivement les cartes bancaires. De plus, ce sont des pays d'ingénieurs qui adoptent les technologies sans crainte, contrairement au Maroc. En outre, indique El Wardi, les banques traditionnelles sont habituées à gérer les risques et à travailler avec la réglementation. Elles font preuve d'adaptation rapide, comme c'était le cas avec l'arrivée d'Internet en 2000. Par ailleurs, les établissements de paiement ont du mal à dégager des bénéfices, ajoute El Wardi. S'appuyant sur une étude de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution de France, il explique que les banques en ligne et les néo-banques peinent encore à établir un modèle d'affaires rentable, en raison des fortes dépenses d'investissement et de marketing couplées à un PNB structurellement faible. D'autres raisons sont avancées par le banquier. On peut citer le «pool» de clients à valeur, (ceux disposés à souscrire plusieurs produits) qui est réduit, alors que la clientèle est dans l'ensemble plus jeune et donc moins profitable que celle des réseaux traditionnels. Aussi, ces établissements ont une politique tarifaire qui limite leurs recettes. Elles sont déficitaires depuis leur apparition. Toujours est-il qu'entre le Maroc et la France, plusieurs dissimilitudes sont à relever : la population française est déjà fortement bancarisée, la croissance démographique reste faible et l'hypothèse d'une augmentation de la «multi-bancarisation» est à écarter. A noter qu'au Maroc les cartes bancaires sont utilisées à 91% pour les retraits et à 9% pour les paiements, selon les statistiques du CMI. «Ce sont plus de 12 millions de cartes inactives en paiement. Et c'est finalement ce qui nous motive chaque jour pour développer ce secteur», lance avec optimisme Mikael Naciri, patron du CMI. ◆