En labsence dun contrôle efficient de lEtat, le secteur de lélevage, déjà mal structuré, est devenu une proie facile pour les produits de contrebande et de contrefaçon. Les pharmacies vétérinaires directement concernées, vu leurs tailles réduites, assistent impuissantes à un spectacle peu reluisant. Explications avec My Abdellah Lamraoui, président de lAssociation nationale de la pharmacie vétérinaire et PDG de Fedavet. Finances News Hebdo : Le secteur avicole est-il bien structuré pour faire face aux accords de libre-échange signés avec des pays dont le potentiel de production est nettement plus développé que celui du Maroc ? My Abdellah Lamraoui : Malheureusement, le secteur avicole est un marché qui sest développé grâce à des initiatives individuelles en labsence dune politique de lEtat marocain. Nimporte qui peut simproviser éleveur dans nimporte quelle région pour nimporte quelle taille et fonctionner ainsi à sa guise. Ce nest pas un marché structuré puisquil ny a jamais eu de politique générale. Cest une opportunité pour des gens qui cherchent des activités génératrices de profit ou en quête de spéculation. Cest très difficile de prévoir ce quil adviendra de ce secteur dici 2025. F. N. H. : Vous avez fait le parallèle entre le secteur avicole et la pharmacie vétérinaire. Est-ce que cela signifie quelle subira les mêmes effets de ces accords ? M. A. L. : Le problème de la compétitivité touche aussi la pharmacie vétérinaire. Cependant, cest un autre volet qui nest pas lié aux accords de libre-échange mais plutôt à lévolution mondiale de la pharmacie vétérinaire. Cest-à-dire que ce type délevage commence à se tasser en Europe. Celle-ci est le premier fournisseur de médicaments, et comme aujourdhui son marché rétrécit, la concurrence est de plus en plus rude. Automatiquement, elle va chercher des marchés à lexport. Et là aussi il y a une guerre des prix et chacun cherche des niches. Il y a en plus, la zone asiatique qui cherche à créer des structures ou à exporter ici au Maroc. Là, réside un risque de déstabilisation si lEtat ne prend pas les choses en main dès le départ. Il ny a pas de réglementation précise à ce sujet. LEtat ne joue pas son rôle. Jusquà présent, il dépense plus et perd beaucoup dénergie dans la rédaction de textes de loi en plus dune certaine lourdeur bureaucratique, sans pour autant être présent là où il doit jouer son rôle de régulateur. Cest-à-dire sur le terrain. On perd trop de temps à parfaire les textes de loi. Mais lapplication de ces textes ne traduit pas ces efforts que ce soit au niveau du contrôle de la salubrité des denrées dorigine animale ou au niveau de la qualité et de la distribution des médicaments vétérinaires. Si on veut, cest là le point le plus faible de la politique de lEtat. De mon point de vue personnel, cest à partir du contrôle sur le terrain quon peut structurer aussi bien lélevage que lindustrie pharmaceutique vétérinaire elle-même. Le marché, en général, nen tirerait que profit parce quon aura donné une image positive des productions animales marocaines et de là, on aura favorisé lexport aussi. Aujourdhui, vu labsence de ce contrôle, même au niveau de lexport, on est pénalisé. Il y a un deuxième risque. Je mexplique : actuellement le Maroc focalise sur le tourisme, mais ne peut pas faire consommer ses productions animales aux touristes. Donc, le comble est que ces touristes consomment la viande dimportation «sécurisée» et déjà prête. Cest ce qui risque de faire mal aussi à notre production nationale en aviculture et, par conséquent, à lindustrie pharmaceutique et à la profession vétérinaire. F. N. H. : Pourtant, il y a des textes clairs ! M. A. L : Il y a des textes, mais sur le terrain il ny a rien. Parfois même, on encourage la contrebande et la contrefaçon, à cause de décisions qui ne sont pas suivies sur le terrain. Vous avez des gens désuvrés qui simprovisent vétérinaires et des fermiers naïfs qui cherchent des médicaments bon marché. Et puis, on a à côté des experts, mais dont les honoraires sont très chers. Là aussi, il y a une aberration au niveau de la fixation des prix au Maroc. Cette situation pénalise la pharmacie vétérinaire. Ces facteurs sanctionnent les unités structurées ou celles qui veulent se structurer au profit des spéculateurs, des contrebandiers et contrefacteurs. Cela sanctionne aussi le pays parce que cela donne une mauvaise image de la qualité hygiénique de la denrée pour le consommateur. F. N. H. : Quelle est la part de médicaments de contrebande écoulés sur le marché marocain ? M. A. L. : Cest très difficile de vous donner le chiffre exact parce quon vient à peine de cerner le chiffre daffaires réglementaire donné par les structures sur place. Mais généralement, on estime que la part des médicaments vétérinaires écoulés par la contrebande varie entre 25 et 35 %. Et quand on parle de contrebande, il faut spécifier. Il y a la contrebande de produits interdits ici au Maroc, et quon fait entrer illicitement. Là, on se demande à quoi sert un texte qui interdit la vente de ces produits alors quils sont toujours utilisés et que le risque est là. Ensuite, vous avez la contrebande de produits qui sont les mêmes que ceux utilisés et autorisés au Maroc. Ce sont en général des produits homologués par les mêmes sociétés exportatrices sur le Maroc, mais qui viennent en général de lAlgérie parce quils sont moins chers. Et puis, il y a des produits qui viennent dEspagne. Ces produits sont préparés et fabriqués pour répondre uniquement aux besoins du marché marocain. En outre, on ne sait même pas ce quil y a dans ces produits ni quelles peuvent être leurs conséquences. En plus, les éleveurs courent le risque de ne pas avoir de bons résultats et ça renchérit le coût de production. Ces aspects encouragent des malins à faire de la contrefaçon en achetant des bidons et des étiquettes, et vendent aux éleveurs. Malgré cette situation désastreuse du marché, lEtat reste spectateur. Nous navons jamais cessé de réclamer que lEtat doit agir pour stopper lhémorragie. Quand on se plaint, les autorités nous répondent quil faut leur montrer les malfaiteurs Ce nest pas une association qui doit remplir la mission des enquêteurs, des policiers et des douaniers. Peut-être quil est difficile de tout contrôler mais je trouve quil nest pas digne dun Etat de dire quil est incapable de contrôler ces choses-là. Sinon, à quoi bon sortir des textes et sanctionner les coupables ? Mon raisonnement est simple: soit lEtat est capable de défendre ses frontières, soit il aide les unités structurées à empêcher cette inondation. Cette entrée massive des produits de contrebande sexplique par une aberration administrative dans la fixation des prix qui a été abandonnée dans tous les autres pays sauf au Maroc. On veut toujours se donner lillusion que lEtat contrôle quelque chose, alors que les décisions sont prises dans des bureaux à Rabat. Ainsi, on empêche ceux qui sont capables daffronter la contrebande et on est incapable de laffronter soi-même en tant quEtat. F. N. H. : Ne faut-il pas plutôt sensibiliser les vétérinaires à ce problème ? M. A. L. : Ecoutez, il ne faut pas se faire dillusions. Cest très difficile. Que voulez-vous quun vétérinaire fasse quand il est devant des éleveurs qui ne le payent pas, lui réclament des tarifs toujours moins chers et lui disent quils peuvent à tout moment sapprovisionner en produits de contrebande ? F. N. H. : Quen est-il de la santé humaine ? M. A. L. : Là, je suis convaincu et catégorique sur le fait que le risque pour le consommateur marocain nest pas grave à ce point. Le risque ne se situe pas au niveau de la production, mais après, dans les phases dabattage, de transformation, de stockage et de préparation. Là, les risques sont énormes par manque dinspection sanitaire. Pis encore, il y a un surcoût de production que le client doit supporter. Le niveau de consommation des denrées alimentaires, qui est très bas, et le fait de ne pas toujours sapprovisionner chez la même personne peuvent nuancer ce danger. Logiquement, on devrait avoir des instituts capables de faire la recherche de résidus. Normalement, cela doit se faire, mais malheureusement, ce nest pas le cas au Maroc. Même labattage se fait sans contrôle sanitaire. La recherche de résidus donne en général une idée sur les produits quutilisent les éleveurs. Pour structurer le secteur de lélevage, il faut commencer à ce niveau-là et suivre la chaîne pour imposer la discipline à tous les intermédiaires de la filière. Au lieu de faire le contrôle den haut, il faut commencer par le marché. Au-delà de la recherche, le reste relève de la responsabilité du ministère de lAgriculture et du ministère de la Santé. Pour linstant les deux ne font rien.