Le gouvernement affiche sa détermination à mettre en œuvre un système de protection sociale qui ne laisse personne sur le carreau. La mise en place d'un dispositif de ciblage et la disponibilité de statistiques exhaustives sont deux prérequis à toute réforme.
Ouvrir un débat public entre les différents acteurs politiques, économiques, société civile et experts, en vue d'élaborer une vision intégrée du système de la protection sociale : tels ont été les objectifs des premières Assises de la protection sociale, organisées par le ministère des Affaires générales et de la Gouvernance, en partenariat avec l'Unicef. Il s'agit de trouver des solutions pérennes pouvant assurer la restructuration, l'optimisation et l'harmonisation des programmes et politiques nationaux en matière de protection sociale et ce, en réponse aux instructions du Roi Mohammed VI contenues dans le discours du Trône du 29 juillet dernier. Le diagnostic lucide dressé par le Souverain à cette occasion a été le fil d'Ariane de ces Assises. «Il est insensé que plus de 100 programmes de soutien et de protection sociale, (…) se voyant affecter des dizaines de milliards de dirhams, soient éparpillés entre plusieurs départements ministériels et de multiples intervenants publics. (…) Ces programmes pèchent par manque de cohérence et ne parviennent pas à cibler les catégories effectivement éligibles», avait déclaré le Roi.
Des déséquilibres flagrants Cette multitude d'intervenants fait qu'aujourd'hui, au Maroc, plus d'une trentaine d'acteurs publics agissent en matière de protection sociale, sans réelle coordination entre eux, provoquant chevauchements et redondance, et une faible efficacité de la dépense et des coûts de gestion excessifs. Par ailleurs, le système de protection sociale du Royaume se caractérise par un déséquilibre considérable entre les régimes contributifs (CNSS, CIMR, CMR, CNOPS, etc.) qui concentrent la majorité des ressources financières, mais qui adressent une minorité de bénéficiaires, et les régimes non contributifs d'assistance sociale (INDH, Ramed, Tayssir, bourses, etc.) dépourvus de moyens, mais censés cibler une majorité de bénéficiaires, évoluant le plus souvent dans l'informel. Certains chiffres présentés lors de ces Assises renseignent sur l'ampleur de ces déséquilibres : 80% des personnes âgées de plus de 60 ans n'ont pas de retraite et seulement 50,6% d'entre eux disposent d'une couverture médicale; près de 800.000 salariés ne sont pas déclarés à la CNSS; 66,9% des personnes en situation de handicap ne bénéficient d'aucun régime de sécurité sociale; 40% de la population ne sont couverts par aucun régime. Ces déséquilibres sont encore plus prononcés dans le monde rural.
Les prérequis de la réforme Si ce diagnostic est aujourd'hui unanimement partagé, et que les intervenants s'accordent à dire qu'il faut remodeler le système de la protection sociale dans son ensemble, à travers notamment l'amélioration de la gouvernance et l'élargissement de la couverture sociale aux populations nécessiteuses, reste que cette volonté bute sur une difficulté majeure : comment atteindre le plus efficacement possible les populations cibles ? D'autant plus qu'en termes de statistiques disponibles, «le Maroc est loin du compte», comme l'a souligné Denis Chemillier-Gendreau, expert en protection sociale et président du cabinet Finactu, et qui accompagne le ministère des Affaires générales et de la Gouvernance dans l'élaboration de sa feuille de route. Il s'avère donc nécessaire de renforcer et d'améliorer les données disponibles en matière de populations cibles. De ce point de vue, la mise en place d'un Registre social unique est l'élément clé de cette réforme. Autrement, tout déficit de ciblage occasionnera gaspillages et une déperdition des ressources. Ce registre sera généralisé lors de la période allant de mars 2020 à juin 2024, a déclaré récemment le ministre de l'Intérieur. Le financement est l'autre défi de taille. Denis Chemillier-Gendreau souligne la nécessité d'augmenter progressivement l'enveloppe dédiée à la protection sociale, en planifiant rigoureusement cette augmentation et en cherchant des sources de financement. Il préconise également de s'appuyer sur les transferts monétaires pour toucher les populations cibles. Selon lui, cet outil a fait ses preuves au Maroc (programmes Tayssir et Daam) et à l'international. «C'est un outil puissant de simplification, de rationalisation et d'efficacité», souligne l'expert. Les difficultés de ciblage pourront être résolues grâce à la méthode de «scoring» du RSU. Sur cette base, les transferts monétaires pourront être harmonisés et développés et ainsi pallier les difficultés actuelles de l'assistance sociale. A noter que selon le cabinet Finactu, les simulations de scenarii et les plans de mises en œuvre des éléments de réformes retenus seront entamés au premier trimestre de 2019. ■