L'immobilier souffre d'un décalage entre l'offre et la demande. La réglementation oblige les compagnies d'assurance à expertiser leurs actifs immobiliers d'une manière triennale. Seifeddine Boudaya, Directeur immobilier, CNIA SAADA Asset Management, nous livre plus de détails sur l'expertise immobilière. - Finances news hebdo : Dans quelle logique s'inscrit l'expertise immobilière faite par les compagnies d' assurance ? - Seifeddine Boudaya : Pour assurer une rentabilité financière les compagnies d'assurance investissent principalement les actifs affectés à la couverture des réserves techniques dans des actifs financiers (obligations & actions) ainsi que l'immobilier pour diversifier le risque. Nous avons, dans l'immobilier, d'une part les actifs loués (bureaux, résidentiels, commerces etc....) pour lesquels nous avons un rendement locatif, et d'autre part, les terrains à valoriser. Dans le premier cas, nous avons un rôle de gestionnaire d'actifs immobiliers (Asset Manager) et dans le second cas, un rôle de maître d'ouvrage. Nous valorisons des terrains en y développant des projets immobiliers comme un promoteur. Les expertises immobilières permettent de connaître la valeur vénale de nos actifs que nous communiquons à la DAPS (Direction des Assurances et de la Prévoyance Sociale) qui vérifie si les valeurs sont supérieures aux montants indiqués dans notre bilan comptable. Le marché a une influence sur la valeur de nos biens, et donc sur l'évaluation de l'expert. Aussi, notre rôle en tant «qu'Asset Manager» est de valoriser les actifs à l'aide d'une stratégie d'entretien préventif & curatif d'investissements et de commercialisation dynamique avec les professionnels de la place qui ont pour mission de louer à des sociétés solvables et de qualité. Les expertises nous aident également dans les décisions d'arbitrages, tant dans les cessions que les acquisitions en ayant une vision plus juste de la valeur des biens à vendre ou à acheter. L'expertise immobilière est un outil de travail et une aide à la décision. La valeur n'est que la conséquence de l'ensemble du travail qui a été effectué. La vraie valeur vénale de l'actif est celle de la transaction. On peut estimer, par exemple, un bien à 100 mais si on le vend à 110, sa valeur sera de 110, même chose si on le vend à 90. L'expert estime une valeur par rapport à un marché, à un contexte (juridique, urbanistique, technique, commercial, etc..) à un moment donné. Si la fréquence est trop distendue, il y a de fortes chances que l'on s'éloigne de la valeur réelle de l'actif. - F. N. H. : À quelle fréquence faites-vous appel à un cabinet d'expertise immobilière ? - S. B. : Réglementairement nous avons pour obligation de faire des expertises triennales que nous communiquons à la DAPS. En revanche, nous comptons faire des expertises annuelles pour piloter et suivre l'impact de notre stratégie immobilière sur la valeur de nos actifs immobiliers. - F. N. H. : Quelles sont les étapes de la procédure de l'expertise ? - S. B. : En premier lieu, l'expert a besoin de données (titre de propriété, plan cadastral, note de renseignement urbanistique, baux ...) pour effectuer son expertise. Ensuite, il effectue obligatoirement une visite du bien pour se rendre compte visuellement de l'environnement, de la qualité architecturale, du bon état d'entretien, du respect réglementaire de ce dernier. Il vérifie la qualité des locataires et les conditions des baux étant donné que la valeur d'un actif tertiaire dépend de la qualité de ses revenus. Pour les immeubles de logement, c'est différent, car un logement loué depuis très longtemps est à un niveau de loyer faible et hors marché. Ce qui signifie qu'un appartement loué à un loyer relativement faible aurait une valeur inférieure s'il était vide. Vacant, il pourrait être soit vendu, soit loué au prix du marché. L'expert étudie le positionnement de l'actif sur le marché à savoir s'il répond à une demande et s'il y a une offre comparable. Dans un marché transparent et efficient, un actif qui répond à une demande quand l'offre est faible, sa valeur est supérieure à un actif qui ne répond pas à la demande ou si l'offre est abondante. Enfin, on arrive à l'évaluation financière de l'actif qui est adapté à sa typologie. En effet, il y a plusieurs méthodes et celle qui est la plus communément utilisée est celle des comparables. La valeur d'un actif est plus ou moins égale à celle d'un autre bien «comparable» dans un rayon d'action proche à quelques pondérations près, à condition qu'il y ait eu une transaction récente sur cet actif pour prendre la valeur de la transaction comme base d'estimation financière. Lorsqu'il n'y a pas de comparaison, l'expert utilise la méthode du coût de construction. Les autres méthodes d'estimation sont plus financières à savoir : • la méthode des «DCF» (Discounted Cash Flow) qui est une méthode de calcul sophistiquée qui consiste à ramener à la valeur d'aujourd'hui les flux futurs de trésorerie ; • la méthode de capitalisation des revenus qui consiste à déterminer la valeur d'un bien à partir des revenus qu'il génère diminués des charges et ensuite actualisés. Ces deux méthodes sont adaptées pour des actifs loués. • la méthode du bilan promoteur qui consiste à établir un bilan des dépenses et revenus nécessaires au développement d'une opération immobilière suivant une marge cible. La variable est la valeur du terrain permettant d'obtenir la marge souhaitée en fonction des prix de vente du marché. Cette méthode est adaptée aux terrains non bâtis. - F. N. H. : Quelles sont les exigences des compagnies d'assurance en matière d'expertise immobilière (expert, méthodes d'expertise..) ? - S. B. : Au Maroc, sur le marché de l'expertise immobilière, il y a deux types d'experts. D'une part, «l'ancienne école» qui regroupe les experts judiciaires auprès des tribunaux, de formation architecte. Et, d'autre part, «la nouvelle école», une catégorie d'experts composée essentiellement d'ingénieurs, et/ou de financiers généralement membres du RICS (Royal Institute Of Chartered Surveyors), et offrant d'autres services tels que le brokerage, les études de marché, le conseil à l'instar des conseils internationaux. Nous travaillons avec les deux types d'experts. - F. N. H. : Comment évolue le secteur de l'immobilier au Maroc ? - S. B. : Le secteur de l'immobilier n'est pas homogène. Il se compose de plusieurs segments dans différents marchés qui ne réagissent pas de la même manière. Nous avons le logement, du social au haut standing, voire au luxe, en passant par le moyen standing, l'immobilier d'entreprise (bureaux, logistique, retail), et le tourisme (hôtels, résidences touristiques...). Plusieurs villes sont très hétérogènes en matière d'offre et de demande, Casablanca n'est ni Marrakech, ni Agadir, ni Tanger, ni Fès. Le dénominateur commun est la disponibilité du foncier qui détermine aussi l'évolution de l'immobilier au Maroc, et on a tendance à confondre rareté et pénurie. Au Maroc, le moteur de la croissance dans le secteur du BTP est le logement social. La demande y est supérieure à l'offre, ce qui dynamise tout le secteur. L'immobilier d'entreprise touche une catégorie limitée d'investisseurs dans certaines villes (l'axe Rabat-Casablanca), pour une demande qui évolue avec l'économie du pays. L'immobilier d'entreprise reste un outil de travail pour les utilisateurs professionnels qui doit s'adapter à leurs besoins et au contexte. Comme les entrepôts logistiques, par exemple, qui ont bénéficié de plans sectoriels pour encourager l'investissement doublé au développement des centres commerciaux qui auront besoin de toute une logistique en back office pour le stockage et le transport des marchandises. Le Maroc devient un hub vers le Maghreb et l'Afrique par Tanger Med, d'où le développement de certaines zones logistiques aux abords des axes autoroutiers principaux desservant les grandes villes du Royaume. Ce qui est sûr, c'est que ces segments sont contre-cycliques et que, par conséquent, une analyse globale du secteur n'est pas pertinente. Pour avoir une vision claire du secteur de l'immobilier au Maroc, l'analyse devrait prévoir une bonne segmentation du marché, passant par l'usage des actifs immobiliers, le niveau de standing, les cibles potentiels et la zone géographique. Propos recueillis par S. Zeroual