La détente tant souhaitée sur le marché de l'emploi demeure un vu pieu. Marasme économique oblige, l'étau s'est nettement resserré à ce niveau. Les efforts déployés de part et d'autre ne sauraient être bénéfiques que si les pouvoirs publics manifestent leur ferme volonté de combattre les zones de non-droit qui nuisent à sa crédibilité. Analyse. Mal apparent et palpable, le chômage continuera à susciter les débats. Inutile de rappeler que son impact sur l'économie nationale hante les pouvoirs publics à tel point que l'on commence à se demander quel taux de croissance pourra insuffler un taux de chômage inférieur à celui quon constate actuellement. La croissance et l'emploi sont étroitement liés. La croissance est perçue comme l'accès fondamental à la création de revenus et de richesses. Un chômage important se traduit sans conteste par une dynamique insuffisante de l'économie, alors qu'un chômage durable exprime clairement que la croissance trouve d'énormes difficultés à décoller. Bien que le thème soit d'une importance majeure, il faut dire qu'il n'a pas occupé comme il se doit le devant de la scène politique. Ce n'est qu'aujourd'hui que l'on commence à s'intéresser à cette équation à deux variables et à cette absence de corrélation entre elles. En 1995, Feu Hassan II avait attiré l'attention sur l'ampleur du phénomène en annonçant que si rien n'était fait, une crise cardiaque était en préparation. Des chiffres qui inquiètent Aujourd'hui encore, l'amélioration du rythme de croissance reste insuffisante pour briser la tendance à la divergence entre l'offre et la demande sur le marché du travail. Selon les dernières statistiques fournies par le Haut Commissariat au Plan, le marché du travail a enregistré un renforcement de la population active évaluée à 523.000 entre 2002 et 2003 et correspondant à un rythme annuel de 5%. Il a également connu un chômage au taux annuel moyen de 8%. En 2004, la population active a atteint 11 millions de personnes, en hausse de 2,9% par rapport à 2003. Le taux d'activité a ainsi progressé de 52,4% en 2003 à 52,6% en 2004. Le marché de l'emploi a été caractérisé en 2004 par la création nette de 338.000 postes, dont 56,2% dans le milieu urbain. Cette évolution est le résultat de l'augmentation des effectifs employés dans le secteur primaire (2,7%), les services (4,7%), l'industrie (2,6%) et le BTP (5,5%). Cette bonne orientation du marché de l'emploi a conduit au repli du taux de chômage de 0,6 point (de 19,3% à 18,4%) et du chômage rural de 0,2 point (de 3,4% à 3,2%). Pour les diplômés, ce taux est passé de 23,7% en 2003 à 22,6% en 2004 Il apparaît ainsi évident que le chômage augmente plus vite que la population active. Ce décalage résulte essentiellement de la démographie galopante, la prépondérance des jeunes dans la pyramide des âges et l'importance de l'exode rural. Autant d'éléments qui expliquent la pression sur le marché du travail, mais qui, avouons-le, ne sont pas les seuls. Devant l'ensemble de ces pierres d'achoppement qui affectent de plein fouet le marché de l'emploi, l'heure n'est certainement pas au fatalisme. Les experts sont catégoriques : il faut sortir des sentiers battus et mettre le paquet sur des mesures plus consistantes. Pour l'essentiel, ils plaident pour la mise en uvre d'une stratégie globale visant la réalisation du plein emploi. Des efforts vains Un taux de croissance moyen qui tourne autour de 3% demeure insuffisant pour créer une dynamique d'emploi. Les efforts déployés ont consisté en un changement de gouvernement à coloration politique et technocratique, des actions de mise à niveau, des signatures daccords de libre-échange, des contrats-programmes signés avec les secteurs clés... mais qui, au demeurant, n'ont pas pu réaliser les objectifs escomptés. Les prévisions élaborées en matière d'emploi ont démontré que dans 25 années, avec un taux de croissance de 6% par an, le Maroc aura un PIB similaire à celui de la Pologne, considérée aujourd'hui comme un pays à peine développé. Au-delà de son caractère légitime, une croissance plus forte s'inscrit dans un contexte d'ambitions. Encore faut-il ajouter que dans une perspective internationale, la croissance sera peu utilisatrice de main-d'uvre; ce qui risque d'aggraver davantage la situation. Une étude effectuée sur la relation entre la croissance et l'emploi s'est soldée par les scénarii suivants : avec un taux de croissance similaire à lactuel, le taux de chômage serait de 30%; avec un taux de croissance de 4,2%, celui du chômage serait le même que lactuel; avec un taux de croissance de 5,2%, le taux de chômage serait de 10% et avec un taux de croissance de 6,6%, le taux de chômage serait de 4 à 5%. C'est dans cette optique que nous pourrons parler de plein emploi. La question qui se pose est la suivante : que faut-il faire dans ces conditions ? Il faut désormais s'inscrire dans le contexte de la croissance forte. En fait, et à y voir de plus près, la démarche devrait être plus pragmatique. Il faut plaider pour une relance de l'investissement tant public que privé. Adnane Debbagh, chef d'entreprise et ex-président de la Fédération des PME estime que pour avoir un taux de croissance de 6%, il faudrait un taux d'investissement de 27 à 28% contre 21% actuellement. La logique pousse à s'interroger sur le taux d'épargne à même de réaliser un taux d'investissement de 28%. Ce qui n'est pas loin du taux actuel de l'épargne qui oscille autour de 26 à 27%. Mieux encore, le système bancaire regorge de surliquidités. Le puzzle est ainsi au complet, mais l'investissement privé n'arrive pas à décoller dans un pays comme le nôtre. Dans une situation pareille, on se demande si le privé n'a vraiment pas envie de s'enrichir. Au sein de lintelligentsia marocaine, il a été avancé que les entrepreneurs marocains sont mal formés et manquent d'idées. Une chose est sûre : le Maroc n'a pas une classe entrepreneuriale dynamique. L'histoire nous enseigne qu'au Maroc, l'entrepreneuriat n'a pas eu l'occasion de se former comme ce fut le cas pour la bourgeoisie européenne. Pis encore, l'artisanat est toujours resté à un stade très limité; ce qui n'a pas permis l'éclosion d'une classe entrepreneuriale. La classe entrepreneuriale marocaine est également composée d'une classe de deuxième génération formée dans les universités ainsi que détrangers qui, en dépit de la marocanisation des entreprises, nont pas quitté le Royaume. Aujourd'hui, avec l'ouverture des frontières, il convient de se demander si, à défaut de l'existence d'une classe entrepreneuriale dynamique et avec l'ouverture progressive des frontières, l'économie marocaine est-elle à même de subir ce choc ? Face à cette réalité inquiétante, l'État n'arrive pas à comprendre pourquoi et malgré les efforts déployés (contrat-programme, amnistie fiscale, mise à niveau, programme de formation...), les entrepreneurs marocains, clé de voûte du développement de l'économie, sabstiennent dinvestir. La condition préalable à l'investissement L'entrepreneuriat marocain n'arrive pas à décoller même avec la nomination à la tête du gouvernement d'un Premier ministre technocrate. Il en découle ainsi qu'un manque de confiance est à l'origine de cette réticence. Cette confiance ne pourra s'instaurer qu'en construisant un Etat de droit. Assurément, un manque de confiance s'installe dans le milieu des affaires marocain. En vue de pallier cette situation, il s'avère indispensable d'instaurer une séparation des pouvoirs (la justice devra être indépendante des contraintes politiques), combattre les petites corruptions... et autres situations de non-droit non susceptibles de créer des entreprises compétitives. Outre le combat des zones de non-droit, des approches spatiales et sectorielles sont indispensables afin de pouvoir relancer l'investissement et garantir un développement durable. Les réponses à la croissance économique ne sont pas d'ordre économique, mais politique et social.