En dépit des mesures mises en place par les gouvernements, la situation dans certains pays arabes reste préoccupante. Le monde arabo-musulman a compris que la mondialisation sonne le glas. Pour l'UE, les anciens dictateurs étaient considérés comme un rempart contre la montée de l'islamisme radical. Tel un effet de contagion, les révolutions se sont propagées d'un pays arabe à un autre. Elles ont toutes pour toile de fond la dénonciation de la dictature, l'abus de pouvoir et la spoliation des richesses nationales. Aujourd'hui, après plus d'un an, des questionnements se posent quant à l'avenir de ces pays où les peuples ont clamé haut et fort l'instauration de la démocratie. Le changement tant sollicité est-il au rendez-vous ? L'Institut Marocain des Relations Internationales, sous la présidence de J. Kerdoudi, a organisé les 11 et 12 du mois courant un colloque sous le thème : perspectives du printemps arabe : quel rôle pour l'UE et la communauté européenne ? Le choix du thème n'est pas fortuit, mais résulte de la situation dans laquelle se trouvent aujourd'hui bon nombre de pays touchés par les révolutions. Un colloque extrêmement intéressant par les analyses qui ont été faites sur les causes, les réalités et les perspectives de la dérive sociale dans le Monde arabe. On parle désormais de «printemps arabe», mais d'aucuns trouvent que cette connotation est très forte dans la mesure où ces pays n'arrivent pas encore à entamer la voie de la démocratie et de la modernisation. «Sur un plan général, il faut d'abord constater que les principaux bénéficiaires du printemps arabe ont été les partis islamistes modérés» explique J. Kerdoudi, président de l'IMRI. Pour certains pays tels que la Mauritanie, l'Algérie et la Libye, la situation sociale reste très préoccupante, et ce malgré les mesures prises par les pouvoirs publics. Selon le président de l'IMRI la situation est préoccupante également pour les pays du Nord qui craignent un afflux d'immigrés provenant du Sud de la Méditerranée, si la situation se détériore davantage. Pour Abdellatik Fekkak, président du GEM (Groupe des grandes écoles du management), la mutation politique des pays à la lumière du printemps arabe répond à la mutation économique de la mondialisation. Le monde arabo-musulman a compris que la mondialisation sonne le glas. La mondialisation des économies va inexorablement poser un certain nombre de problèmes : la fin des économies de rente au profit de la compétitivité, la fin des Etats sans taille critique, la fin des partis conservateurs, voire administratifs… «Au niveau social, le devenir du printemps arabe a fait émerger une nouvelle classe sociale alternative qui associe les femmes et la jeunesse ainsi que les MRE», explique A. Fekkak. Mea culpa, quand tu nous tiens ! La réflexion est désormais dans l'action politique. Nous vivons dans un monde qui se développe de manière accélérée et des mutations profondes sont en marche. Au moment où l'on s'interroge sur le rôle de l'Union européenne dans un contexte aussi tumultueux, force est de constater que l'Europe est elle-même prise dans ce tourbillon de changements structurels fondamentaux par rapport aux siècles passés. Comment l'UE s'est située et se situe par rapport à ces différents phénomènes de transformation et de bouleversements ? Telle est la question à laquelle Eneko Landaburu, Ambassadeur de l'Union européenne au Maroc, a émis quelques éléments de réponse. Une chose est sûre : les évènements qui se sont produits depuis plus d'un an dans certains pays du sud de la Méditerranée ont eu comme conséquences d'obliger l'UE à réfléchir sur les hypothèses fondamentales sur lesquelles elle fondait ses relations globales avec les pays de cette région. C'était un bon exercice de remise en cause. Trois éléments sont apparus en guise de conclusions à ces évènements. Le premier : le fait de ne pas critiquer les dictatures s'est avéré comme un échec. «Pour les pays membres de l'UE, ces dictatures sont considérées comme un rempart contre la montée des islamistes. Un islamisme extrême et radical qui préoccupe toutes les forces politiques des institutions européennes. Ceci s'est traduit d'une certaine manière par le fait de tolérer certaines pratiques qui étaient contre nos convictions et qui étaient contraires à nos principes. Elles sont aussi un rempart contre l'émigration sauvage», confirme l'Ambassadeur. Le second élément de critique est que l'UE a trop privilégié l'idée selon laquelle le libéralisme économique sans frein pouvait être une source de croissance et de répartition des richesses. «Nous étions dans une vague de libéralisme forcené où nous ne pouvions plus parler de régulation», regrette E. Landaburu. «Le troisième élément de critique par rapport à notre position passée est que nous nous sommes aperçus que la stratégie de coopération inter-régionale que nous avons développée entre l'UE et le sud de la Méditerranée était une stratégie mal préparée, utopique et sans moyens». Il faisait allusion à l'UPM. Cette union était mal préparée avec une France qui voulait imposer son modèle alors que ce devait être une action européenne et une méthode contre le communautaire qui a montré ses faiblesses. Les évènements qui se sont déclenchés depuis décembre 2010 et tout au long de 2011 ont été un révélateur formidable des faiblesses et des contradictions de la politique européenne vis-à-vis des pays du Sud-Est de la méditerranée. En dépit des critiques adressées de part et d'autre à la politique de l'UE avec ses voisins du Sud-Est de la méditerranée, E. Landaburu estime qu'il ne faut pas omettre qu'aussi bien dans la politique de voisinage que dans le processus de Barcelone, des choses positives ont été réalisées. «L'UE a été présente tout au long des dernières années pour accompagner la pauvreté et nous sommes partie prenante à l'INDH. Aussi en matière des droits de l'homme, l'UE a été présente dans tous ces pays pour les accompagner. D'énormes efforts financiers ont été déployés pour accompagner la gouvernance de certaines administrations»,tient à rappeler Landaburu. Il indique par ailleurs que le 11 mars, au lendemain du déclenchement de ces évènements, les Etats membres s'étaient réunis et avaient rédigé un communiqué. Par son biais, ils ont donné un signal sans réserve que tout ce que font les gens dans la rue pour réclamer plus de liberté, de justice, d'égalité et de dignité est soutenu politiquement par l'UE. Ensuite, une réorientation de la politique de voisinage s'est produite en guise de réponse à tout ce qui se passait dans ces pays. En quelques semaines l'UE a pu réagir en mettant en place une politique de voisinage qui permet un appui fort aux sociétés civiles de ces pays, afin de renforcer leur rôle dans la transition démocratique. Des budgets importants ont été mobilisés à cet effet. Avec la nouvelle PEV, deux chantiers sont désormais prioritaires: le premier dépasse le cadre de la simple relation d'échange dans le cadre du libre-échange pour aller plus loin vers un ancrage plus fort des marchés avec des accords économiques qui soient plus globaux et plus approfondis. Le second chantier est d'avoir une vision plus globale et cohérente dans la migration en essayant d'avoir un partenariat pour la mobilité des personnes. «Si on veut une dynamique d'investissement du Nord vers le Sud, il faut un marché plus vaste à travers la réactivation du Monde arabe», conclut E. Landaburu. L'UMA demeure une utopie : la position de l'Algérie sur le Sahara reste inchangée et la Tunisie et la Libye doivent d'abord se reconstruire avant d'envisager une union réelle avec les autres pays du Maghreb.