La difficulté de prouver qu'on a été victime de harcèlement et celle de supporter le regard accusateur de la société dissuadent les femmes de porter plainte. Pour Fouzia Assouli, la présidente de la Ligue démocratique pour les droits de la femme, il faudrait une loi-cadre qui englobe toutes les violences basées sur le genre. * Finances News Hebdo : La LDDF militait depuis toujours pour que la législation prévoie des sanctions contre les actes de harcèlement sexuel à l'encontre des femmes, puisque vous recevez beaucoup de plaintes. Et depuis 2004, le code du travail sanctionne ce délit en milieu professionnel. Mais cela a-t-il permis une quelconque amélioration notoire ? Le nombre de plaintes auprès des associations a-t-il baissé ? * Fouzia Assouli : Nous recevons de plus en plus de plaintes au niveau de la Ligue et au niveau des centres d'écoute et de conseil juridique des femmes, de la part de femmes victimes de violences à caractère sexuel. Et tous les genres d'emplois, puisque même les femmes cadres dans de grandes entreprises viennent se plaindre de ce qu'elles subissent. Mais, la majorité d'entre elles ne reviennent plus après dépôt de la plainte. Et la raison principale en est qu'il est très difficile de prouver le fait de harcèlement sexuel. Cet abus d'autorité en matière sexuelle, comme il prend plusieurs formes et qu'il se pratique souvent dans le cadre privé, et aussi la relation de travail qui fait que souvent les travailleurs refusent de témoigner, donc le problème de porter la preuve reste toujours posé. Et non seulement la salariée perd son emploi quand elle porte plainte mais il se peut que son patron pour camoufler l'affaire, l'accuse de vol. Comme ce fut dernièrement le cas à Fès, d'une jeune femme, Fatima, qui travaille pour subvenir aux besoins de sa famille. Elle a été tellement harcelée par son patron qu'à la fin elle a voulu démissionner. Pire, son employeur a refusé de lui verser son salaire et quand elle a déposé plainte, elle a été accusée de vol par cet employeur. En signe de protestation, le père de la victime, désespéré, s'est immolé par le feu devant le lieu de travail de sa fille. * F. N. H. : Donc, c'est au niveau de la loi qu'il faudra agir ? * F. A. : Nous avons une loi qui prévoit que la preuve est à la charge de la victime qui se traduit le plus souvent par un abandon de toute poursuite ou, pire encore, les victimes continuent de subir en silence leur calvaire. Nous recensons des cas très rares où la procédure a été menée jusqu'au bout et où les victimes ont obtenu gain de cause. Nous avons demandé une loi-cadre contre la violence de ce genre qui englobe également le harcèlement sexuel. Cette loi aurait permis une sensibilisation large sur les différentes formes de violence basées sur le genre et aussi faciliter la question des preuves. Et ces pratiques condamnables n'existent pas seulement dans le milieu professionnel puisque là où il y a lien d'autorité, il y a risque de harcèlement notamment dans les écoles, les universités… en plus du harcèlement dans la rue. * F. N. H. : Indépendamment de la loi, ne pensez-vous pas que le harcèlement sexuel demeure un grand tabou dans notre société ? * F. N. : Evidemment ! La femme victime est souvent suspectée. Elle devient vite coupable, séductrice … C'est pourquoi la plupart des femmes victimes de harcèlement préfèrent le silence que de porter plainte. La société marocaine n'encourage pas qu'on porte plainte et qu'on rétablisse la femme dans son droit et sa dignité. L'entourage proche conseille souvent de ne pas porter plainte car cela écorche l'image de la femme dans notre société. Il faut plus que jamais briser ce tabou et faire la lumière sur les rapports de genres qui relèvent du patriarcat et de la domination masculine et sensibiliser pour que cela change. Aussi, en ce qui concerne les preuves, il est pertinent d'avoir une police spécialisée qui puisse prendre à charge la collecte des preuves et soulagera la victime ! Propos recueillis par Imane Bouhrara