L'article 503-1 ajouté par la loi 24.03 au code pénal est l'élément essentiel constitutif de l'arsenal juridique relatif au délit de harcèlement sexuel. Qu'il s'agisse de harcèlement sexuel ou moral, l'article 40 du code du travail dispose que la pratique de toute forme de violence ou d'agression dirigée contre le salarié est considérée comme faute grave. Sur le plan pénal, le salarié peut porter plainte auprès du procureur du Roi en la fondant sur les dispositions des articles 400 à 402 du code pénal. La responsabilité du patron est également engagée s'il ne donne aucune suite d'ordre disciplinaire à la plainte du salarié. Ainsi, un départ forcé est assimilé à un licenciement abusif quand les faits sont avérés. Pour Maître Saïd Naoui, avocat au Barreau de Casablanca, doctorant en droit et agréé près la Cour de cassation, il ne fait aucun doute que le harcèlement sous toutes ses formes a des effets néfastes aussi bien sur le salarié que sur l'entreprise. * Finances News Hebdo : Commençons par le harcèlement sexuel. Disposons-nous d'assez de textes de lois pour prévenir ce genre de comportement en milieu professionnel ? * Saïd Naoui : Il faut préciser que le harcèlement sexuel dans le milieu professionnel est un problème majeur qui touche surtout les femmes. Au Maroc, la plupart des victimes n'osent pas dénoncer ce comportement et préfèrent quitter le travail ou démissionner. Face à ce constat, je conseille vivement aux femmes victimes de ne pas baisser les bras et de lutter contre ce fléau pour donner l'exemple à d'autres femmes. Il ne faut jamais hésiter à saisir le procureur de Roi, puisque nous disposons d'un arsenal juridique pour lutter contre ce fléau qui impacte également l'entreprise. Ainsi, beaucoup de patrons semblent ignorer que pareilles pratiques sont néfastes puisqu'elles dégradent le climat social de l'entreprise et peuvent se traduire par une perte de compétitivité certaine. * F. N. H. : En évoquant l'arsenal juridique, quelles sont les lois qui quadrillent ce genre de délit ? * S. N. : Il y a essentiellement l'article 503-1 ajouté par la loi 24.03 au code pénal qui dispose : «est coupable de harcèlement sexuel et puni de l'emprisonnement d'un an à deux ans et d'une amende de cinq mille à cinquante mille dirhams, quiconque, en abusant de l'autorité qui lui confère ses fonctions, harcèle autrui en usant d'ordres, de menaces, de contraintes ou de tout autre moyen, dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle». Les éléments constitutifs de ce délit, nouvellement incriminé, sont au nombre de trois : un fait matériel, un abus d'autorité et un but précis. En effet, pour prouver le harcèlement sexuel, il faut démontrer le fait de harceler exercé par l'inculpé en usant d'ordres, de menaces ou de contraintes abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d'un tiers. C'est un enchaînement d'agissements hostiles dont la répétition affaiblit psychologiquement la personne qui en est victime. * F. N. H. : Que faut-il faire quand on est l'objet de pareils agissements ? * S. N. : Par le biais de ce texte, chaque femme ou homme victime de harcèlement sexuel par un supérieur hiérarchique ou un patron, peut porter plainte auprès du procureur du Roi dans le ressort du siège de la société. Ce dernier transmet la plainte à la police judiciaire pour enquêter et dresser un procès verbal qu'elle remettra au procureur du Roi qui va statuer sur la plainte à la lumière des faits et les circonstances établies dans le procès verbal. Si les faits sont prouvés, le procureur donne ses instructions à la police judiciaire pour faire présenter l'inculpé au parquet pour prendre une décision. Il y a deux choix possibles : soit le procureur classe l'affaire pour insuffisance de preuves, soit il poursuit l'inculpé et le transmet avec le dossier au tribunal correctionnel pour le jugement. La plaignante peut se constituer partie civile pour demander les dommages et intérêts. * F. N. H. : Souvent le salarié est poussé à la démission, peut-il alors faire valoir son droit à des dommages et intérêts ? * S. N. : En effet, la victime peut introduire une requête devant le tribunal de première instance social pour demander des dommages et intérêts suite à ce départ involontaire en fondant sa cause sur l'article 40 du code du travail qui dispose que parmi les fautes graves qui peuvent être commises par l'employeur, le chef d'entreprise ou de l'établissement à l'encontre du salarié, le harcèlement sexuel. Ainsi, il est assimilé à un licenciement abusif, le fait pour le salarié de quitter son travail en raison de cette faute commise par l'employeur, lorsqu'il est établi que l'employeur a commis cette faute grave. Et, selon la règle que le pénal tient le civil en état, ce jugement serait un fondement solide et pharamineux pour avoir gain de cause. La rupture de contrat de travail, même à l'initiative de la salariée, est requalifiée en licenciement abusif. Ce choix adopté pour les victimes de harcèlement sexuel aura le plus grand intérêt pour faire constater la réalité des faits délictueux, avant d'obtenir les dommages-intérêts à cause du licenciement, qui ne peut être qualifié que d'abusif puisqu'il est lié par l'autorité de la chose jugée au pénal. * F. N. H. : L'autre aspect de harcèlement est celui dit moral. Quelle loi régit ce délit au Maroc ? * S. N. :Le harcèlement moral est un autre moyen, mais cette fois-ci pour forcer un salarié à quitter ou à démissionner de l'entreprise sans une contre partie. L'article 40 du code du travail dispose que la pratique de toute forme de violence ou d'agression dirigée contre le salarié est considérée comme faute grave commise par l'employeur, le chef d'entreprise ou de l'établissement. Elle est assimilée à un licenciement abusif si le salarié quitte son travail. En droit français, les articles 1152-1 à 1152-3 du code du travail prévoient qu' «aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel». * F. N. H. : Quels sont les actions ou actes qui tombent sous le coup du harcèlement moral ? * S. N. : Les spécialistes du droit social ont tenté de dresser une typologie du harcèlement moral. Cinq types de comportement sont stigmatisés : empêcher la victime de s'exprimer (éviction des réunions de travail, privation du téléphone), isoler la victime (confiner l'agent dans un local bien à l'écart), déconsidérer la victime auprès de ses collègues ou de tiers, discréditer la victime dans son travail et notamment pousser l'intéressé à la faute puis l'écarter de la structure pour cela, ou compromettre la santé physique ou psychique de la victime, ce qui peut déboucher sur un suicide. Ainsi, le harcèlement moral peut exister dans la relation hiérarchique mais aussi au niveau de toutes les relations au sein de l'entreprise puisqu'on distingue le harcèlement descendant, le harcèlement ascendant et le harcèlement horizontal. * F. N. H. : Une fois qu'un salarié est identifié comme victime de l'un de ces agissements, en homme de droit que vous êtes, quelle démarche préconisez-vous à suivre ? * S. N. : Les ripostes de la victime ne sont pas chose aisée. Le salarié sera confronté à plusieurs situations. Si l'agression émane d'un supérieur hiérarchique ou d'un salarié collègue : sur le plan pénal, il peut porter plainte auprès du procureur du Roi en la fondant sur les dispositions des articles 400 à 402 du code pénal pour des violences physiques ou morales. Il appartient au salarié victime d'établir la matérialité des faits qu'il invoque, les juges doivent, quand à eux, appréhender ces faits dans leur ensemble et rechercher s'ils permettent de présumer l'existence du harcèlement allégué. Dans ce cas, alors, il revient à l'employeur d'établir qu'ils ne caractérisent pas une situation de harcèlement. Sur le plan disciplinaire, il peut se plaindre auprès du chef d'entreprise pour traduire le collègue devant un conseil disciplinaire pour lui infliger des sanctions disciplinaires. Toutefois, si le harcèlement est descendant ou horizontal, le salarié peut engager les deux procédures et son départ sera requalifié comme départ forcé. Par contre, le licenciement d'un cadre de l'entreprise auteur de harcèlement est requalifié comme faute grave susceptible être apparenté à un licenciement légal. C'est une violation des obligations découlant du contrat et des relations de travail de nature à justifier la suspension immédiate du contrat de travail. * F. N. H. : Qu'en est-il quand c'est un autre salarié qui est l'auteur de ces faits et non pas le patron ? Et surtout qu'elle est la responsabilité d'un chef d'entreprise qui n'entame pas de procédure disciplinaire quand on se plaint auprès de lui ? * S. N. : A développer ! Il faut noter que cet arsenal dont nous disposons doit être bien assimilé par tous, employeurs et employés pour le développement de notre société. Propos recueillis par Imane Bouhrara