■ Les dirigeants ont encore du mal à penser à la transmission. ■ La fiscalité figure parmi les obstacles prépondérants qui freinent la transmission. ■ La dimension psychologique doit être prise en considération. Toute affaire individuelle, à un certain moment de son existence, peut se transformer en entreprise familiale. Faute de respecter certaines règles organisationnelles et de transmission, l'affaire du père fondateur risque de devenir problématique. Car, bien souvent cette histoire de transmission, au lieu de faire le bonheur de certains, engendre discorde, tensions et conflits qui peuvent devenir aussi pénibles qu'insupportables. Tout d'abord, qu'est-ce qu'une entreprise familiale ? Si les experts la définissent comme étant celle dont le capital et le management sont détenus par une même famille, Saïd Naoui, avocat d'affaires, précise quant à lui que «l'entreprise familiale n'est pas facile à définir, surtout dans un contexte indéfini comme le contexte marocain». Cette réalité rend la gestion de la transmission assez complexe. Souvent, l'entreprise familiale fait partie de tout un patrimoine que les héritiers se partageront à la mort du père fondateur. L'entreprise familiale ne doit pas être vue comme un actif comme les autres: il faut la doter de tous les mécanismes pour lui garantir sa pérennité et lui conserver sa légitimité et sa sacralité «familiale». Mouhcine Ayouche, cofondateur de BMH Coach, cabinet spécialisé notamment dans les questions de transmissions, souligne qu'«il faudrait éviter de transmettre l'entreprise familiale comme une des composantes du patrimoine. Il y a des règles particulières à adopter afin d'en garantir la réussite». La dimension affective et la relation que peuvent avoir les héritiers avec l'entreprise diffèrent d'une personne à une autre et c'est cette dimension psychologique qu'il faut prendre en considération lors de la transmission. Ainsi, à l'international, il y a un système de compensation permettant aux héritiers souhaitant évoluer dans l'entreprise de garder cette dernière et de compenser leurs frères ou sœurs ou ayants-droit non intéressés avec des parts du patrimoine existant. Des freins juridiques et fiscaux La transmission d'entreprise reste un processus peu connu et mal appréhendé au Maroc. Non seulement les dirigeants ne s'y prennent pas à temps ou pas du tout, mais le cadre juridique et fiscal ne s'y prête pas du tout. En effet, la complexité de la réglementation fiscale décourage souvent les chefs d'entreprise et bloque les opérations de transmission. D'ailleurs, à l'heure actuelle, il n'existe pas d'incitations fiscales pour ce genre d'opérations. Il faut toutefois rappeler qu'un fonds public-privé doté de près de 750 millions de DH est disponible pour le développement de ce type de transmission. Le choix du système juridique est également un frein et, pour cela, l'une des mesures défendues par la CGEM, est la possibilité de transformer son affaire personnelle en personne morale, forme juridique permettant assez aisément la transmission des entreprises familiales. L'autre mesure assez prisée à l'étranger et qui commence à intéresser certains esprits avertis au Maroc, est la création d'une holding patrimoniale. Le repreneur, c'est-à-dire les héritiers et éventuellement le dirigeant de la société d'exploitation, détiennent la holding. Celle-ci emprunte et rachète un pourcentage des titres de la société détenus par le dirigeant. Le cas échéant, la société reverse au dirigeant des dividendes permettant de rembourser l'emprunt. Comme il s'agit d'une cession, la plus-value est taxée, mais les droits de succession ne sont pas pris en compte lors du transfert de propriété. La création d'une holding présente aussi l'avantage de respecter l'égalité entre les enfants, mais à condition de confier la gestion de l'entreprise à celui qui est le plus intéressé ou le plus compétent. Mais le recours à ce montage nécessite d'abord de baliser le terrain et l'environnement entrepreneurial marocain et de mettre en place toutes les mesures devant permettre cette transformation. Les avis sont unanimes : pour éviter de mettre en péril l'entreprise, il faudrait enclencher la réflexion du vivant du dirigeant. Mais les susceptibilités et les subtilités de l'environnement familial, ainsi que la valeur affective portée à la société, découragent souvent le chef d'entreprise d'anticiper cette échéance. ■ Dossier réalisé par Wafaa Mellouk Un guide de la transmission Transmettre son entreprise au Maroc constitue rarement un choix et peut même s'avérer une fatalité. La cession des entreprises familiales se fait surtout à travers la succession. Le pays qui dispose d'un fort marché potentiel d'entreprises transmissibles doit en effet revoir les rouages de fonctionnement du processus de transmission d'entreprises. Conscient de cette réalité, l'Agence nationale de la PME a mené une étude en collaboration avec BDO Maroc sur les obstacles rencontrés pour la mise en place d'un tel processus. L'initiative a débouché sur la publication d'un «Guide de transmission des entreprises familiales» qui revient sur les dimensions psychique, juridique et fiscale à prendre en compte pour une transmission réussie. Le guide donne une grande importance au volet psychologique dans la réussite des transmissions.