Pour Me Abdelatif Laamrani, avocat, docteur en droit public de l'Université Paris-1 Panthéon Sorbonne, et fondateur du cabinet d'avocats d'affaires Laamrani Law Firm, le législateur aurait dû innover en confiant la création, la constitution, le déploiement et le fonctionnement des sociétés de développement local à des experts à même d'élaborer le corpus juridique nécessaire.
Finances News Hebdo : Pour répondre aux enjeux de développement économique et social des villes, les collectivités territoriales ont créé des sociétés de développement local (SDL). Quel est le cadre juridique qui régit ces organismes ?
Abdelatif Laamrani : Les SDL sont régies par les dispositions de la nouvelle loi organique sur les communes dite loi n° 113-114 du 7 juillet 2015, qui avait abrogé la charte communale de 2002. La SDL est désormais régie par le chapitre II de ladite loi organique (articles 130 à 132), notamment son article 130*. Par ailleurs, l'objet de la SDL se limite aux activités à caractère industriel et commercial qui relèvent des compétences de la commune, des établissements de coopération intercommunale et des groupements des collectivités territoriales, à l'exception de la gestion du domaine privé de la commune.
F.N.H. : Selon un membre du Conseil de la ville de Casablanca, les entreprises Casa Aménagement et Casa Events n'existent pas légalement. Comment ces entités, créées depuis 2014, peuvent-elles opérer en l'absence d'un cadre réglementaire ?
A. L. : Il s'agit moins de l'absence d'un cadre réglementaire que de la subsistance d'une médiocratie dans la gestion de la chose locale. L'absence de compétences appropriées dans le management des services publics s'explique souvent par l'ignorance des textes et le refus de demander l'assistance de professionnels habilités à faire les montages juridico-financiers qu'impose ce type de structure. Car, si le législateur avait innové en élaborant les principes de base de la SDL, sa création, sa constitution, son déploiement et son fonctionnement doivent être assurés par des experts à même d'élaborer le corpus juridique nécessaire : délibération du conseil de la collectivité locale, approbation des autorités de tutelle, statuts de la société (pour définir la relation entre les partenaires et fixer les aspects liés à la création, la gestion et le fonctionnement de la SDL), pacte d'actionnaires, convention de mandat pour la réalisation de projets publics, convention de mandat pour la gestion d'équipements publics, etc. Ces documents, établis par l'avocat de ou des commune(s) impliquées, doivent être bien ficelés afin d'éviter d'une part, tout écart des textes de loi et, d'autre part, les situations litigieuses. En tout état de cause, pour les deux sociétés que vous avez citées, selon mes informations, elles sont constituées sous forme de sociétés anonymes de droit privé, leur conformité au droit public des collectivités locales en l'occurrence à la loi n° 113-114 doit être appréciée par les organes de contrôle et les autorités de tutelle.
F.N.H. : Quels sont les risques inhérents à ces failles juridiques ?
A. L. : Les risques juridiques sont nombreux. Tout d'abord, le manque de documentation juridique conforme à la loi est perméable au contentieux. Ensuite, les élus qui ne respectent pas les dispositions relatives à la composition du capital et au contrôle de la SDL notamment, peuvent voir leur responsabilité personnelle engagée. Enfin, tout acte susceptible d'être interprété comme un conflit d'intérêt passé entre les élus et la société de développement local pourrait engager la responsabilité pénale des élus. Sur un autre plan, le fait que la SDL soit constituée sous forme de société anonyme n'est pas anodin : c'est une société commerciale très contrôlée et nécessitant un suivi minutieux en ce qui concerne ses actes sociaux et ses transactions avec les tiers. Les écarts à la loi n° 17-95 relative à la société anonyme, telle qu'elle a été modifiée par la loi n°20-05, peuvent aussi constituer des infractions pénales.
F.N.H. : Dans quelle mesure l'absence d'un cadre réglementaire impacte-t-elle la bonne gouvernance de ces outils de gestion communale ?
A. L. : L'improvisation, l'amateurisme et parfois la mauvaise gestion constatés au niveau des collectivités locales sont souvent dus à un manque de maîtrise ou d'ignorance des textes de loi régissant les compétences transférées depuis la promulgation de la loi organique n° 113-114. Ces errements (diagnostiqués brillamment par le discours Royal historique du 11 octobre 2013) provoquent souvent des litiges nécessitant l'intervention des pouvoirs déconcentrés pour arbitrage en la personne du gouverneur ou du ministère de l'Intérieur, selon les cas. Sur le plan politique, nombreux sont les présidents de conseil communaux qui n'ont cessé de critiquer, depuis l'avènement de cette loi et du statut de la SDL, le rétrécissement de leurs pouvoirs en faveur de ces sociétés. Or, la méconnaissance des mécanismes régissant cet outil de développement local, puisque la majorité du capital est détenue par les pouvoirs publics, la SDL n'est qu'un nouvel instrument utilisé pour une meilleure gouvernance dans la gestion des services des collectivités locales, doit imposer plus de clarté et plus de transparence dans la gestion des projets de développement local. ■
*«Les communes, les établissements de coopération intercommunale et les groupements des collectivités territoriales prévues ci-dessous peuvent créer, sous forme de sociétés anonymes, des sociétés dénommées «sociétés de développement local», ou participer à leur capital, en association avec une ou plusieurs personnes morales de droit public ou privé. Ces sociétés sont créées pour exercer des activités à caractère économique entrant dans le champ des compétences de la commune, d'un établissement de coopération intercommunale ou d'un groupement de collectivités territoriales ou pour la gestion d'un service public relevant de la commune».