■ Le marché de la finance-carbone présente des opportunités importantes qui ne sont pas encore exploitées. ■ Laurence Graff, chef de l'unité des négociations internationales, DG Clima, Commission européenne, est plutôt optimiste quant à la réussite de la Conférence de Durban 2011 sur les changements climatiques. ✔ Finances News Hebdo : Vous êtes plutôt optimiste concernant la Conférence de Durban sur les changements climatiques contrairement aux autres intervenants. A votre avis; qu'est-ce qui fera de Durban une rencontre réussie ? ✔ Laurence Graff : J'ai des attentes assez ambitieuses par rapport à Durban. Je suis donc raisonnablement optimiste même si, au jour d'aujourd'hui, je sais qu'il y a encore des choses à faire pour que ces attentes puissent être réalisées. Ce qui nous importe au niveau européen, aujourd'hui, et ce qui, à notre sens, fera que Durban soit un succès ou pas, c'est que non seulement les accords de Cancùn devront êtres mis en œuvre, ce qui est en soi un must, mais en plus il faut que Durban lance le début d'un processus de négociations en vue d'un accord international global avec tout le monde à bord. Aujourd'hui, on ne peut plus compter simplement sur le protocole de Kyoto qui, bientôt, n'aura plus que l'Union européenne à bord. Maintenant, il nous faut vraiment nous engager dans quelque chose qui, nous permettra d'aboutir à des réductions d'émissions à des degrés divers en respectant les différents engagements des uns et des autres, mais néanmoins avec un niveau d'ambition plus important de la part de tout le monde. ✔ F.N.H. : Pour les pays en voie de développement, l'un des principaux obstacles pour faire face au changement climatique reste sans doute le financement ; quelle est la stratégie de l'Union européenne pour accompagner ces pays ? ✔ L. G. : Nous sommes conscients que l'aspect financier est un frein pour les pays en voie de développement. C'est une chose sur laquelle nous sommes tous d'accord et c'est dans ce sens que nous avons accepté des engagements à Copenhague qui ont été réaffirmés à Cancún. Ceux-ci font partie intégrante, au-delà de ces engagements, de notre politique de coopération et de développement, sachant que l'Union européenne est le plus grand fournisseur d'aide au développement qui intègre déjà ces considérations climatiques. Toutefois, je pense qu'on peut faire davantage et mieux. Je crois également qu'il y a un problème de capacité, de définition et de développement de projets au sein des pays en voie de développement. Cependant, on peut tous ensemble faire en sorte de travailler mieux et que ces considérations liées à la fois au climat et à l'énergie soient davantage intégrées dans nos politiques de développement et de coopération; qu'on ait davantage de projets et qu'ensemble on réfléchisse à comment tirer parti de notre expérience pour aider les uns et les autres à aller dans le bon sens. Je crois qu'il y a une volonté très forte de la plupart des pays en voie de développement à s'engager dans ce sens-là; ce qui fait qu'aujourd'hui il n'est pas possible de ne pas bâtir sur ces volontés et de travailler plus ensemble. Ça sera fait à la fois sur la base des nouveaux outils qui résulteront des négociations sur le climat, à savoir le fonds vert qui, j'espère, sera opérationnel après Durban, mais qui devra également continuer à se faire sur la base des instruments dont on dispose déjà, y compris les financements issus des institutions financières internationales au-delà du fonds vert, notamment la Banque mondiale, à titre d'exemple, ou une autre institution. Mais il faudra également exploiter toutes les voies bilatérales. ✔ F.N.H. : Aujourd'hui, les pays du Sud enregistrent un retard remarquable en matière de réduction d'émissions ; comment pensez-vous qu'ils pourront rattraper ce retard et tirer leur épingle du jeu ? ✔ L. G. : Dans le rapport du programme des Nations unies sur le développement publié la semaine dernière, il est dit très clairement que ce retard n'est pas irrattrapable, mais qu'au contraire. il ne peut pas faire l'impasse sur les considérations liées au climat et à l'environnement. Si on fait cette impasse, il y aura forcément un impact négatif sur les perspectives du développement économique de ces pays et cela peut leur jouer un mauvais tour. Il ne faut donc pas avoir une vision trop idéologique de la chose, mais simplement être pragmatique et se dire qu'il y a de multiples bénéfices à tirer d'une action faite suffisamment tôt à la fois sur le climat et sur l'énergie et que les uns et les autres peuvent tirer des bénéfices très très vite. Le contraire, c'est-à-dire ne pas faire cet effort maintenant, risque de coûter très cher plus tard. ✔ F.N.H. : Le Maroc a déployé ces dernières années une politique des énergies renouvelables. Quel regard portez-vous sur cette initiative? ✔ L. G. : Le Maroc est un pays très actif qui a compris qu'il avait un potentiel extrêmement fort en matière d'énergies renouvelables, que ce soit pour le solaire ou l'éolien, et qui cherche à l'exploiter de façon maximale dans un contexte mondial où les uns et les autres vont être confrontés très vite à une demande énergétique croissante. Le Maroc est désormais sur la bonne voie pour créer les conditions, un encadrement et un signal très fort non seulement à l'intérieur du pays, mais par rapport aux investisseurs, à l'Europe ou même d'autres pays dans le monde qui pourraient utilement investir dans les projets qui sont en cours de déploiement au Maroc. ✔ F.N.H. : Si on revient à la thématique du panel « finance-carbone », comment voyez-vous son avenir d'une part dans les pays du Nord et, d'autre part, dans ceux du Sud ? ✔ L. G. : Ça dépend ce qu'on entend par finance-carbone. Personnellement, je considère que la finance-carbone n'est pas nécessairement limitée au marché carbone. Certes, ce dernier à un rôle important à jouer et doit forcément évoluer vu que la finance carbone pour l'instant, malgré son potentiel, n'est pas suffisamment exploitée. Du coup, il faudrait qu'on réfléchisse à d'autres outils, à améliorer ceux qui existent mais aussi à inventer une autre façon de couvrir des secteurs entiers de l'économie. Il y a donc un chantier énorme dans lequel il faut que les uns et les autres s'engagent le plus rapidement possible parce que cela devient urgent. Au-delà, la finance carbone c'est également favoriser les financements du secteur privé de façon autonome et intégrer les considérations liées aux changements climatiques dans toutes les aides au développement, y compris dans les gouvernances internationales. Ce point peut faire l'objet de discussions à Durban, à Rio et même dans le contexte du G20, vu qu'avec la crise économique il faut qu'on réfléchisse à des sources innovantes de financement qui pourraient bénéficier à la sauvegarde de l'environnement. ■ Dossier réalisé par L. Boumahrou