Décidemment, l'histoire bégaye. Huit ans après la première conférence de l'ONU contre le racisme qui s'est tenue en 2001 dans la ville sud africaine de Durban, le dialogue de sourds entre Occidentaux et nombre de pays musulmans s'est poursuivi du 20 au 24 avril à Genève où se tenait Durban II. Beaucoup avait pourtant été fait pour empêcher que cette conférence de suivi tourne au fiasco et occulte les questions liées aux libertés et à la manipulation des religions. Trois ans de négociations tendues avaient abouti à un compromis au terme duquel la diffamation des religions n'est pas assimilée à une forme de racisme - ce que réclamait l'Organisation de la conférence islamique -, tandis que les pays musulmans obtenaient que l'égalité entre hommes et femmes et la non-discrimination envers les homosexuels ne soient pas mentionnées dans la résolution finale. Ahmadinejad sans surprise Le dynamitage de ce fragile édifice a néanmoins eu lieu. Sans surprise, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a fait scandale dès l'ouverture de Durban II, en se livrant à une violente diatribe contre la création d'Israël et son «gouvernement raciste», pendant que les représentants des pays européens quittaient la salle, dénonçant «un appel intolérable à la haine raciste». Une sorte de remake de Durban I qui avait déclenché un esclandre en assimilant sionisme et racisme. Huit ans après, peu de choses ont changé. Certes, le pamphlet de Mahmoud Ahmadinejad - qui coïncide avec le jour de la commémoration de la shoah en Israël - n'est pas sans arrières pensées politiciennes : il s'inscrit dans le cadre de l'élection présidentielle iranienne prévue en juin. Mais il paraît tout aussi évident que les conditions actuelles ne permettaient pas d'espérer grand chose de Durban II. Seul président présent à Durban II, Mahmoud Ahmadinejad n'allait pas perdre une si belle occasion de se présenter, une fois de plus, comme le héraut de la dénonciation et de la résistance à Israël. Le paradoxe de la position américaine Or, face à ce dérapage annoncé, les Européens étaient divisés. Seules la France et la Grande-Bretagne se sont rendues à Durban II tandis que l'Italie, l'Allemagne et les Pays-Bas ont rejoint le camp des boycotteurs menés par les Etats-Unis, Israël, le Canada et l'Australie. Cette division aura constitué de facto un succès pour tous les dictateurs et les radicalismes qui instrumentalisent la religion. Les semaines d'hésitation des Etats-Unis quant à leur participation ont aussi fragilisé la position des Occidentaux. L'entourage de Barack Obama était en effet partagé, les groupes liés au lobby israélien étant favorables à la politique de la chaise vide, tandis qu'une partie de la gauche démocrate, certains républicains et des associations de droits de l'homme prônaient «plus d'équilibre» entre Israéliens et Palestiniens. Du coup, le boycott américain est apparu d'autant plus paradoxal qu'il survient au moment où Washington tente une ouverture avec l'Iran, Cuba ou le Venezuela. On voit mal dans ce contexte comment Durban II aurait pu effacer le souvenir cuisant de Durban I. Certes, l'offensive israélienne contre la bande de Gaza et la constitution d'un gouvernement ultra nationaliste en Israël ont de quoi nourrir la dénonciation par les opinions et les Etats arabo-musulmans de la politique du «deux poids et deux mesures» des Occidentaux à l'égard des Israéliens et des Palestiniens ou d'une justice internationale qui s'exerce contre le président soudanais mais pas contre Israël Eviter de nouvelles défections La provocation du chef de l'Etat iranien n'en a pas moins anéanti les efforts du secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-Moon, pour permettre que Durban II définisse les valeurs communes susceptibles de faire consensus. Sa diatribe raciste a du même coup légitimé la position de ceux qui avaient refusé de participer aux travaux de Durban II, qualifiés par avance «d'hypocrite et contre productif» par Barack Obama. Reste que, paradoxalement, la volonté du président américain de signifier que sa volonté de renouer avec l'Iran n'exclue pas la fermeté sur les valeurs universelles aura aussi conforté les différends idéologiques exploités par une dizaine d'Etats radicaux pour miner les rapports entre monde arabo-musulman et occidentaux. Au final, l'adoption précipitée de la résolution finale le 21 avril résume sans doute l'inanité de tenir une conférence onusienne destinée à promouvoir les droits de l'homme et à «éradiquer le racisme» quand celle-ci est présidée par la Libye du colonel Kadhafi et que Cuba et l'Iran figurent en bonne place dans sa commission de préparation. Les sujets qui fâchent évacués Cette adoption par acclamations avant l'heure aura néanmoins permis d'empêcher Durban II de tourner au fiasco, de recoller au plus vite les morceaux après le scandale Ahmadinejad et d'éviter de nouvelles défections. Le prix en aura été une résolution finale nettoyée des sujets qui fâchent. Les mentions d'Israël et de diffamation des religions, considérés comme des «lignes rouges» par les Occidentaux n'y figurent pas, tandis que le paragraphe sur la mémoire de l'Holocauste a été maintenu contre l'avis de l'Iran. Un résultat qui fait dire au chef de la diplomatie française Bernard Kouchner que la conférence n'est «pas du tout un échec» malgré les «insanités antisémites» du président iranien. Cette volonté de sauver la face ne parvient cependant pas à cacher que les Européens auront réussi à se mettre d'accord seulement sur leur retrait en cas de propos mettant en cause Israël et que demeure entière la difficulté de s'attaquer au problème de la liberté d'expression, du racisme et des vraies questions qu'il pose.