■ La course aux sièges semble avoir pris le dessus sur la question genre et la concrétisation de la parité au sein des partis. ■ Pour un premier test dans la mise en application de l'un des fondamentaux de la nouvelle Constitution, autant dire que les partis ont échoué. Les femmes ont-elles crié victoire précipitamment à l'adoption de la nouvelle Constitution ? Il est difficile et intellectuellement improbable de répondre de manière tranchée à cette question. Cela dit, plusieurs interrogations s'imposent… Ces législatives sont probablement la première épreuve de mise en application de la nouvelle Constitution et, par conséquent, de la concrétisation des acquis pour les femmes. Notamment pour l'amorçage d'une réelle parité homme/femme sur la scène politique nationale. Un test dans lequel les partis n'ont pas brillé. En effet, sur un total de 1.521 listes déposées au titre des 92 circonscriptions électorales locales, on compte 1.464 mandataires de sexe masculin, soit un taux de 96,25%, contre seulement 57 listes menées par des femmes, soit 3,75%. Des chiffres plus que parlants. De même, la liste nationale prévoit 90 sièges, dont 60 pour les femmes et 30 pour les jeunes, ce qui ne répond pas aux attentes des Marocaines ni même à l'esprit de la Constitution. Cette mesure accorde en effet un taux de représentativité féminine de moins de 15 % au Parlement. Pire encore, le projet de loi relatif à la Chambre des représentants adopté porte le nombre de députés de 325 à 395. Autant dire qu'on a créé des sièges additionnels pour la femmes, donc dans le fond, rien n'a été concédé par les partis en faveur d'une réelle parité. Les raisons à cette situation sont multiples et complexes et pour mieux les cerner, Fathia Bennis, la présidente du Women's Tribune, a eu la brillante idée de réunir sept militantes dans sept partis différents à savoir le PPS, le RNI, l'Istiqlal, le PJD, l'USFP, le PAM et le PVD (parti vert pour le développement). Evidemment, chacune a mis en exergue les efforts fournis par leurs partis respectifs pour une meilleure intégration de la femme dans la décision politique. Mais, elles ont également donné leur propre lecture sur les principaux facteurs de blocage d'une réelle parité politique. Et l'un des premiers facteurs et qui incombe malheureusement aux femmes elles-mêmes est la difficulté de les mener sur le front, à descendre sur le terrain et à se présenter dans les circonscriptions, comme l'a souligné le Dr Bouayad, militante d'avant-garde et membre du bureau politique de l'USFP. Selon Naïma Rebbaâ, mandataire de la liste de l'Istiqlal à Casablanca, les femmes gagneraient à mener campagne car elles sont appréciées par les électeurs pour leur sérieux et leur intégrité. «On ne peut pas continuer éternellement avec le système des quottas, qui est une discrimination positive, certes, mais elle se fait au détriment d'une réelle égalité des chances et de méritocratie. En effet, ce sont les urnes qui garantissent une meilleure application de la démocratie. C'est pour cela que les femmes, qui ont fait leur preuve dans tous les secteurs, doivent investir la scène politique et peser sur toutes les prises de décisions de ce pays», martèle-t-elle. Même son de cloche auprès de Bassima Haqqaoui, députée du PJD, la politique de quotta a permis l'émergence de réelles compétences féminines dans la vie politique nationale. Mais, elle a également ouvert la porte à un certain clientélisme de la part de certains partis. Expliquant que si l'on accuse le PJD de parti conservateur, sur la question de la femme précisément, tous les partis se valent. Pour son expérience personnelle, elle a expliqué que tout se passait de manière démocratique, néanmoins elle a ressenti une certaine forme de paternalisme puisque on épargne aux femmes de se présenter dans les circonscriptions dites «de la mort», où la bataille faite rage. La femme n'est donc pas seule responsable de cette situation, bien au contraire. Car le système lui-même est assez verrouillé de sorte à ce que les femmes n'accèdent pas aux postes de décisions au sein des partis mêmes. Il est vrai qu'on compte beaucoup de femmes dans les bureaux politiques des partis, mais on a tout de même souligné que dans certains partis, la prise de décision se fait ailleurs. Et puis, il y a aussi cette question de la mentalité régnante même au sein de la société. Comme le soutient Fatima Ferhat, membre du bureau politique du PPS. En effet, il est plus facile de se faire accepter comme femme militante dans l'associatif, dans lequel elle œuvre beaucoup, que comme conseillère municipale. Il n'en demeure pas moins, qu'elle a incité les femmes à descendre sur le terrain pour faire bouger les choses. Cette rencontre, organisée par le Women's Tribune, a connu également la participation d'une jeune députée du RNI, Mbarka Bouayada, qui fait une lecture très intéressante de la place de la femme dans la politique. Pour elle, cette question de parité prendra du temps pour être mise en place et cela impliquera que les femmes prennent confiance en elles-mêmes et bravent les obstacles, notamment la dominance des hommes sur la scène. Elle a néanmoins pointé du doigt la non-solidarité des femmes entre elles au sein même de l'hémisphère. Elle a ainsi critiqué le Forum des femmes parlementaires qui ne remplit pas un rôle majeur dans la vie des parlementaires et qui serait à remodeler. Avis partagé par Fatiha Ayadi, député et membre du bureau politique du PAM, qui a proposé de créer un terme qui équivaut au machisme, mais pratiqué par les femmes à l'égard des femmes. Journaliste aguerrie, elle a observé la politique pendant vingt ans avant de décider de descendre sur le terrain et l'un des constats qu'elle fait de la situation actuelle est que le temps des élections, les femmes deviennent transparentes, invisibles… Elle a également regretté la façon dont la loi électorale est passée, surtout la décision de la réservation de 60 sièges aux femmes. Elle a également relevé la dichotomie entre les partis et les citoyens. En effet, les partis ne mettent pas assez de femmes dans les circonscriptions et pourtant, de son expérience personnelle, beaucoup de citoyens lui ont fait part de leur décision de ne voter que pour des femmes, réputées travailleuses et intègres. Indépendamment de la question genre, pour Fattouma Benabdenbi, sociologue et militante au sein du PVD, il faut placer l'humain au sein des préoccupations des partis. «Le pouvoir est dans les mains de la pauvreté. Il est impératif de concrétiser l'espoir et d'écrire une nouvelle page de notre histoire. Le pays va rater le coche s'il continue à ignorer la population, qui est justement constituée à 50 % de femme», insiste-t-elle. C'est bien de rappeler que le pays est constitué à 50% de femmes et que sans la représentation de cette moitié de la population dans les instances décisionnelles, notamment politique, le pays avec toutes ses composantes économique, sociales et politiques, continuera de boiter ! ■