Le projet d'un nouveau Code de la presse doit garantir son autonomie vis-à-vis du Code pénal et la liberté des journalistes dans l'exercice de leur fonction. Les peines privatives doivent être éliminées et ne devront être appliquées que pour les cas d'extrême gravité. La problématique de la jurisprudence pour évaluer les dédommagements pour diffamation se pose avec acuité. Le projet d'un nouveau Code de la presse est un sujet?d'actualité. Plusieurs éléments rendent cette question cruciale, notamment le violet lié à la liberté d'expression. Le Maroc qui a choisi une modernisation en profondeur de sa Constitution pour instaurer plus de démocratie et un véritable Etat de droit, doit également se doter d'un Code de la presse de nouvelle génération afin d'accompagner ce développement. «Quel Code de la presse pour le 21ème siècle», tel est le thème d'un séminaire organisé récemment par la Fédération marocaine des éditeurs de journaux (FMEJ) et le Syndicat national de la presse marocaine (SNPM). Bien que le projet de Code de la presse traite de plusieurs sujets, notamment l'institution de la presse et son organisation, de l'exercice de la fonction, des rapports entre les journalistes et l'autorité de tutelle, les participants à ce séminaire ont tous focalisé leur intervention sur l'ampleur des peines privatives et leur impact nuisible sur la pratique journalistique. Et pour cause, les derniers cas de poursuites judiciaires contre les journalistes qui se sont soldés par des arrestations et des harcèlements de tout genre, posent des interrogations quant aux garanties de la liberté d'expression. «Nous ne pouvons pas, dans ce domaine vital, construire l'avenir avec les idées du passé, aborder aujourd'hui avec les idées d'hier, consolider les négociations de 2007 alors que 2011 exige de nous tous une démarche nouvelle et, finalement, cette idée de séminaire s'est imposée à tous car nous ne pouvions nous résoudre à aborder le 21ème siècle avec un Code inspiré largement des idées du 19ème siècle», a indiqué Khalil Hachemi Idrissi. Le président de la FMEJ a également souligné que «notre pays mérite un Code de la presse où le journaliste n'est pas traité comme un criminel pour un délit commis dans l'exercice de sa profession. Notre pays mérite aussi que les journalistes ne se comportent pas en criminels en violant le pacte déontologique qui fonde notre légitimité professionnelle. Notre pays ne mérite pas de lignes rouges aussi floues que variables qui soient contre la liberté d'informer, contre le libre accès à l'information et contre la liberté d'opinion». Hachemi a ajouté par ailleurs que «les seules lignes rouges que les journalistes marocains doivent respecter sont celles de la religion, des faits, de la vérification de l'information, de son recoupement, du refus des rumeurs, du refus d'attenter à l'honneur et à la dignité des gens, du respect de la vie privée et du droit à l'image. Ce sont ces lignes rouges que les professionnels se donnent, que nous devons respecter par un renforcement de notre éthique et de notre culture déontologique». L'avis de la FMEJ est également partagé par le SNPM qui estime que les contraintes juridiques sur la liberté de la presse sont un véritable handicap pour informer correctement. A cet égard, Younes Moujahid s'interroge sur le recours au Code pénal pour juger les journalistes pour des affaires liées à leur métier alors qu'il existe le Code de la presse. «Dans ces conditions, comment peut-on alors parler du Code de la presse? Dans tous les Etats démocratiques et de droit, les journalistes sont traités par des lois dédiées», a-t-il martelé. Pour sa part, Mohamed Karam qui a défendu plusieurs journalistes dans le cadre du Code pénal, a précisé que ce texte regroupe au moins une vingtaine d'articles qui sanctionnent les délits journalistiques. L'avocat du Barreau de Casablanca a recommandé de différencier entre le Code de la presse et le Code pénal en vidant de ce dernier tous les articles qui ont trait au journalisme. Karam a posé également la problématique de la territorialité des recours. «Un plaignant peut attaquer en Justice un journal. Son patron sera obligé de se déplacer chaque fois pour assister aux audiences avec ce que cela pourrait entraîner en terme de désagrément et de perte de temps», a-t-il souligné. Le juriste a évoqué les cas où les journalistes risquent des peines privatives comme l'article 64 relatif aux sacralités, aux affaires liées à la sécurité de l'Etat, à l'ordre public, au terrorisme, au hooliganisme… Le Code de la presse est une affaire de juristes et aussi de politiciens. Les organisateurs ont invité Khalid Soufiani et Mostafa Ramid, deux avocats de renom. Le premier est un militant associatif, le second est membre du Bureau politique du Parti de la Justice et du Développement (PJD). «Est-ce qu'il y a un besoin d'un Code de la presse ?», s'est interrogé Soufiani. «A quoi sert ce texte si l'Etat procède au recours systématique du Code pénal ? Par principe, le droit privé prime sur le droit public et cela dans tous les Etats du monde, sauf au Maroc où il est fonction du tempérament des autorités. Le législateur qui a préparé ce texte est de mauvaise foi. Il faut préciser les sacralités», a-t-il affirmé. Soufiani a appelé à constitutionaliser la liberté d'expression et à pénaliser les autorités qui ne respectent pas ce droit. Pour sa part, Ramid a défendu l'idée d'éliminer les peines privatives de liberté dans le Code de la presse, sauf pour les cas d'extrême gravité. Toutefois, la déontologie et l'éthique dans l'exercice du journalisme doivent prévaloir. «Si le climat politique est démocratique, il y aura une interprétation démocratique des textes», a-t-il noté. Mohamed Lebrini, Directeur de la publication Al Ahdath Al Maghribia, a évoqué la problématique de la jurisprudence dans la Justice marocaine. Il s'est interrogé sur la différence flagrante au niveau des montants des amendes et des indemnités que doivent payer les publications pour les affaires de diffamation. Il a cité à titre d'exemple l'affaire des procureurs de Chefchaouen où El Massae a été sommé de payer 6 MDH de dédommagement, alors que la Justice n'a prononcé contre le même journal que 100.000 DH au profit de Omar El Jazouli, l'ex-maire de Marrakech. Il faut dire que le débat sur le Code de la presse ne fait que refléter cette dynamique que connaît le Maroc actuellement. Dans toutes les transitions, il y a d'un côté les professionnels qui demandent plus de liberté et de garantie et, de l'autre, les autorités qui essaient de déverrouiller au compte-gouttes.