La flambée des cours du pétrole sur les marchés internationaux inquiète les économistes. Les questions que l'on se pose d'ores et déjà sont les suivantes : la reprise affichée de l'économie mondiale n'est-elle pas sur le point de s'essouffler en raison de la flambée des cours du pétrole ? La politique budgétaire nationale ne risque-t-elle pas d'être frappée de plein fouet ? Depuis plus de trente ans, chaque flambée des prix de l'or noir s'est accompagnée d'un ralentissement de l'économie mondiale. Ce ralentissement a fait couler beaucoup d'encre non seulement après les terribles chocs pétroliers des années 70 mais aussi lors des crises de moindre ampleur des années 1990 et 2000. Sur le plan théorique, l'envolée des prix du pétrole touche l'économie à plusieurs niveaux. Tout d'abord, elle accélère l'inflation; ce qui oblige les banques centrales et les gouvernements à resserrer leurs politiques monétaires et budgétaires. En second lieu, la donne change entre pays producteurs et consommateurs de pétrole. Ces éléments, conjugués à d'autres, entraînent le phénomène de la stagflation (inflation + chômage) telle que celle qui a marqué les années 70. Des répercussions différenciées Toutefois, il est à préciser que toute flambée de l'or noir ne se traduit pas automatiquement par des répercussions négatives. Le Fonds Monétaire International (FMI), l'Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) et l'Agence Internationale de l'Energie (AIE) estiment qu'une hausse de 10 dollars par baril sur un an ne coûterait environ que 0,5% du PIB mondial. Or, si l'on se réfère aux prévisions du FMI qui table sur une croissance de l'économie mondiale de 4,6% en 2004 et de 4,4% en 2005, la situation suscite des interrogations. Parce que le FMI a fondé sa démonstration sur l'hypothèse d'un baril à 30 $; or le baril, cette année, frôle les 50 $. Cette hausse, comme l'ont déclaré les analystes économiques sur le micro de la chaîne française TF1, constitue jusqu'ici plus un sujet d'irritation qu'une véritable crise. "Il ne s'agit pas, du moins pas encore, d'un nouveau grand choc pétrolier " annoncent-ils. Une chose est cependant sûre; il se peut que le renchérissement actuel du pétrole n'ait que des retombées relativement modestes sur les économies à forte croissance. Il n'en va pas de même pour les pays émergents, qui sont plus dépendants et plus fragiles. La situation est d'autant plus inquiétante pour l'Afrique qui consomme deux fois plus d'énergie que la moyenne des pays de l'OCDE et pour l'Inde qui en consomme près de trois fois plus. Le Maroc est appelé à revoir ses copies Pour Driss Benali, économiste, la récente flambée de l'or noir pourrait être assimilée à un troisième choc pétrolier après ceux de 1973 et 1979. En 1973, le Maroc était à l'aise financièrement étant donné que les cours du phosphate étaient multipliés par 4. Le Maroc a ainsi enregistré le taux de croissance le plus élevé entre 1973-77, soit 7,5%. Pour ce qui est du choc de 1979, le Maroc l'a reçu de plein fouet, étant donné qu'il a été conjugué à la chute des cours des phosphates. En vue d'y remédier, un plan de stabilisation avait été mis en place. Driss Benali s'empresse toutefois d'ajouter qu'aujourd'hui, la situation est différente. Le Maroc a fait d'énormes progrès en réduisant sa dette extérieure. Le Maroc est un bon élève du FMI (maîtrise des équilibres macro-économiques), mais un mauvais élève de la Banque Mondiale (croissance insuffisante). Pour Driss Benali, «à court terme, on ne risque pas de voir le prix du pétrole diminuer. Le marché pétrolier est très sensible. Face à une offre qui n'est pas assez forte à cause de la crise au Moyen-Orient et la guerre politique que mène la Russie contre le géant pétrolier Loukos, nous avons une demande en pleine expansion, tirée essentiellement par la Chine». Tout cela laisse présager que cette flambée aura des conséquences néfastes sur les prévisions économiques de l'année en cours. Le communiqué du ministère de l'Énergie et des Mines a précisé que l'État n'a pas entièrement répercuté la hausse des prix du carburant, la Caisse de Compensation continuant toujours à supporter la différence de coût pour éviter à l'économie marocaine une certaine asphyxie. Le super qui a atteint 9,35 DH n'a vu son prix augmenter que de 3,3%. Le gazole 350 à 7,20 DH, soit une hausse de 20 centimes. Le prix du carburant ordinaire est maintenant de 8,95 DH, en hausse de 30 centimes (3,5%). Par contre, les prix du fuel industriel et du gaz butane sont restés inchangés. Mais cela n'occulte pas le fait que ces hausses, aussi minimes soient-elles, peuvent avoir des répercussions sous l'effet des volumes. A cet égard, on pourrait prétendre que la révision intérieure des prix du pétrole pourra avoir un impact négatif sur les prix des produits fabriqués localement (ajoutée à celle des produits importés) et, partant grever leur compétitivité. Loi de Finances 2004 Les prévisions macro-économiques qui sous-tendent le projet de Loi de Finances 2004 se basent sur un ensemble d'hypothèses. Certaines sont étroitement liées au cours du pétrole et seront nécessairement affectées. Ainsi, si l'on diagnostique la Loi de Finances 2004, on remarque qu'en se basant sur un cours moyen du pétrole brut sur le marché international se situant en moyenne à 25 $ le baril en 2004 contre près de 28,5 $ en 2003, les prévisions risquent d'être révisées. Parmi les pronostics de la Loi de Finances 2004 et qui sont étroitement liés au cours du baril, nous pouvons citer l'inflation. Celle-ci serait de 2% en 2004 contre 1% en 2003 favorisée essentiellement par la baisse du prix du pétrole brut sur les marchés internationaux et par un financement non inflationniste du déficit budgétaire. Il est à noter aussi que le ministère des Finances avait tablé sur un taux de croissance économique qui serait favorisé par une consolidation de la demande intérieure. La consommation des ménages, qui constitue la principale composante de la demande, devrait augmenter de 4,1% en 2004, contre 5,7% en 2003. Des perspectives qui, selon le projet de Loi de Finances 2004 seraient favorisées par le maintien de l'épargne nationale brute à un niveau favorable à l'investissement, soit 25,4% du PIB en 2004. Le déficit de la balance commerciale serait à un niveau de 11,6 % du PIB en 2004. Toutes ces hypothèses reposent actuellement sur une variable qui a basculé du jour au lendemain vers la hausse, à savoir le cours du baril du pétrole. Ces hypothèses seront-elles maintenues ? Rien n'est sûr pour le moment. Un autre fait mérite d'être signalé: comment une Caisse de Compensation qui a accumulé ces dernières années beaucoup d'arriérés, parviendra-t-elle à supporter pendant longtemps la différence des cours avec les marchés internationaux ? L'économie marocaine est-elle fragile à tel point que chaque hausse du cours du pétrole se traduit par de graves retombées ? Le Maroc ne devrait-t-il pas réfléchir sérieusement à une réduction de sa dépendance énergétique ? Parce que si les pronostics ne semblent pas inquiéter outre mesure, le cours de baril à 50 $ serait bien plus préoccupant qu'il ne l'est actuellement. Le plus grave serait que le terrorisme ou des troubles politiques viennent encore perturber les exportations du Moyen-Orient. Si le prix du baril ne pose pas de graves problèmes d'approvisionnement pour le moment, le moindre dérèglement pourrait le pousser encore à la hausse et, dans ces conditions, toute comparaison avec les années 70 ne serait plus abusive.