La crise du secteur du micro-crédit est essentiellement la résultante d'un succès effréné qu'il fallait à tout prix modérer. Représentant un pan important du développement social du Maroc, et avec un encours de plus de 5 milliards de DH, le secteur est désormais sous la loupe de BAM. Une initiative du Crédit Agricole permet désormais une mutualisation des dépenses et une plus grande performance de huit AMC. Tariq Sijilmassi, président de la Fédération nationale des associations de micro-crédit (FNAM), estime que la mutualisation permettra la sauvegarde du tissu associatif. - Finances News Hebdo : On mise beaucoup sur le secteur du micro-crédit comme vecteur de développement humain et social. Qu'en est-il actuellement, face à la stagnation de cette activité durant ces deux dernières années ? - Tariq Sijilmassi : Il ne faut pas qu'il y ait de confusion. Dans un premier temps, il faut signaler que la crise mondiale n'a rien à voir avec celle de notre secteur. En effet, il n'y a pas eu de vase communiquant puisqu'on est dans deux mondes différents. Le deuxième élément important à citer est que cette crise qu'a connue le secteur du micro-crédit est beaucoup plus une crise de croissance. Elle est en quelque sorte le revers de la médaille du grand succès du secteur, plus qu'elle n'est pas une crise profonde mettant le secteur en danger. Troisième point : inévitablement, quand on arrive à 5 milliards de DH d'encours, on n'est plus dans l'anecdotique. Du coup, le régulateur s'en mêle et à juste titre. La pérennité et la durabilité des associations de micro-crédit deviennent de ce fait un véritable enjeu. Sinon, si rien n'est fait, on pourrait souffrir de répercussions systémiques ! - F.N.H. : A quel niveau ? - T. S. : A deux niveaux : d'abord, sur le système financier parce que vous avez des préteurs et des banquiers qui alimentent ce secteur et 5 milliard de DH, ce n'est pas une somme négligeable. Systémique aussi parce qu'actuellement le secteur du micro-crédit est devenu l'un des pans importants du dispositif social du pays. Par conséquent, il faut impérativement le préserver car son absence serait tout de même dramatique. Dès à présent, on peut dire que cette crise de croissance a été salutaire parce qu'elle permet à un moment donné de dire «Stop ! On va arrêter cette croissance effrénée à deux chiffres, mettre en place des outils adéquats et assurer un fondement solide pour repartir de plus belle». Et c'est justement ce que nous sommes en train de faire. Je souligne qu'on se trompe lorsqu'on croit que le nombre des bénéficiaires a baissé. En réalité, dans l'ancien système il s'est installé, un peu par volonté de trop bien faire ou par effet de volume, un certain nombre de dérives dont la plus importante est l'endettement croisé. Ainsi, une même personne contracte un, deux ou trois crédits auprès d'associations différentes. - F.N.H. : Justement, parce qu'à l'époque, il n'existait pas de Centrale des risques … - T. S. : Avec cette Centrale et le dispositif de Bank Al-Maghrib, qui est essentiel, le révélateur était là. Ainsi, tous ceux qui avaient deux ou trois crédits ont été gentiment sommés de rembourser l'un d'eux et de n'en garder qu'un seul. Et c'est ainsi que le volume est revenu à un million de clients réels, au lieu de 1.300.000. Evidemment, cela a eu un impact sur le volume de crédit mais encore une fois, le plus important est qu'on passe à une situation plus saine. Le secteur a également connu des épiphénomènes comme la fusion de la Fondation Banque Populaire de micro-crédit avec Zakoura, ou encore le lancement par le Crédit Agricole, en association avec les huit associations de micro-crédit, d'un réseau solidaire de micro-crédit. En effet, nous mettons en commun notre informatique, notre comptabilité, notre gestion des risques … - F.N.H. : Justement, où en êtes-vous dans ce processus de mutualisation, et peut-on aujourd'hui dire que toutes les associations sont aux mêmes standards pour assurer le meilleur service ? - T. S. : La primeur de cette information sera annoncée à l'occasion d'une prochaine réunion où nous serons, mes pairs et moi, tous présents. Mais, on pourrait dès à présent dire que les statuts sont signés, l'association constituée, les outils informatiques en cours de développement … Donc, le nouveau système de mutualisation a toutes les chances de fonctionner puisqu'il repose sur une idée basique et simple. En fait, les règles prudentielles imposent un niveau de performance informatique, dans le reporting, dans la comptabilisation, qui sont des outils trop chers et qui ne sont pas accessibles aux petites associations de micro-crédit (AMC). Or, ces dernières doivent rester concentrées sur le travail du terrain. Voilà comment est née cette idée de mutualiser les investissements dans les outils de gestion afin de les aider à mieux se concentrer sur leur mission première. Cela dit, une grande partie, sinon la totalité, de ces investissements est prise en charge par le Crédit Agricole à travers l'Association Ardi et bénéficie aux 7 autres AMC. Ainsi, elles ont un accès gratuit à tous ces outils. Cette action de mutualisation permet donc la sauvegarde du tissu associatif marocain, voire son élargissement. Car il y a encore beaucoup de régions au Maroc où il n'existe pas d'AMC. Donc, nous voulons aller de l'avant et assurer une grande, sinon une totale couverture du territoire national. - F.N.H. : Dans son intervention, le gouverneur de BAM a annoncé l'élargissement des activités de micro-crédit. Quels sont les produits qui seront incessamment mis au service de cette cible et surtout dans quels délais ? - T. S. : Là, on travaille sous le contrôle mais également sous l'impulsion de Bank Al-Maghrib qui, effectivement, nous demande de prendre en compte la globalité du problème. Le micro-crédit n'est qu'une composante, la micro-assurance notamment en est une autre. Et effectivement, de nouveaux micro-produits commenceront à être mis sur le marché à partir de 2011. D'ailleurs, toutes les grandes compagnies nationales d'assurance sont en train de travailler sur l'élaboration de produits spécifiques et de packages de micro-assurance qui vont nous permettre d'accompagner le micro-crédit. Certains produits sont déjà disponibles. D'ailleurs, les AMC proposent des assurances décès pour les bénéficiaires. Mais l'idée aujourd'hui est d'aller plus loin en proposant toute la gamme de produits et services adaptés à cette frange de la population. n