Le récit nous plonge dans le mode de vie de chaque communauté, son intimité familiale, ses amours, ses haines, ses jalousies, ses péchés, ses ambitions. C'est dans ce contexte que grandit Hamza, fils de famille maraboutique, plus ou moins riche. Cet adolescent idéaliste, qui ne manque de rien, souffre du mal de ses gens. Dans son esprit, germe l'idée de la révolution. Il en fait un rêve qui se précise de jour en jour pour devenir un projet pour lequel il vit. Hamza, a développé sa personnalité dans un quotidien rude pour ses gens, ces indigènes de parole confisquée et soumis aux plus injustes des exactions.
1-La politique fiscale :
La politique fiscale exorbitante et discriminatoire de succion permanente avait fragilisé les populations à un niveau honteusement scandaleux. Nul n'en était épargné : ni particuliers ni groupements en l'occurrence les tribus. A partir de 1871, le colon était désormais le maître du pays. La république, instaurée à la place de la monarchie, lui avait donné tous les moyens d'asservissement de l'indigène et ses propres voies pour avancer dans cette hantise permanente d'accaparement des terres par des lois draconiennes. D'abord, il n'était pas assujetti à l'impôt arabe (achour zekkat lezma) pour les troupeaux et les palmiers et les oliviers) qui représentait le nerf vital du budget des collectivités locales. Ainsi cette population conquise, jamais soumise, qui était de 2750000habitants, payait 22963030 d'impôts dont : - 5000000 de taxes municipales - 863000 d'impôts dits français Ces mêmes populations payèrent de 1871 à 1881 34500000 de francs, impôt dit contribution de guerre qui avait frappé les tribus insurgées lors de la guerre d'El-MOkrani ; il faudrait encore y ajouter 9000000 de francs pour le rachat de terres séquestrées par les indigènes. Ainsi l'organe de presse La Vigie Algérienne lance un sévère avertissement sur cette surpression fiscale le 23 mars 1883 : « Il n'est pas exagéré de dire que si un tel régime de succion permanente était pratiqué dans un pays européen, fût-il le plus riche de tous, il suffirait de quelques années pour réduire ce pays à la plus complète misère ». Les proportions de prélèvement avaient dépassé tout entendement et là le poète du Malhoun, cet aède qui sillonnait les souks hebdomadaires, en dressait un réquisitoire sévère. Il condamnait sans ménagement l'injustice fiscale devant un public fort ruiné qui cherchait compassion à ses douleurs, à ses plaies, à sa misère, qui cherchait aussi à garder toujours présent dans son quotidien le spectre de la domination coloniale et emmagasiner les colères pour s'insurger un jour et dire non au bourreau. « L'impôt nous frappe sans merci l'an entier Pressure le pauvre et ruine le riche Vends et paies la taxe ou attends l'huissier Vends bijoux ou tamis, trophée ou fétiche L'enchère menace et la terre tremble Le fellah préserve tant qu'il peut et combat Le colon le guette, sa joie à son comble Tenté par un crédit espère le rachat L'impôt ravit le blé, abandonne le son Le fellah crie furieux, sème toujours le blé Attend revenir dans la nuit le croissant Trop fier trop digne et toujours révolté »
Il fallait payer cet impôt exorbitant d'une manière ou d'une autre. Le régime fiscal ne prévoyait pas d'échéancier de paiement. Des prestations de service et des amendes étaient littéralement honorées en journées de travail consenties dans les chantiers publics ou même les fermes de colons, si bien que ces journées de travail atteignirent des chiffres astronomiques qui s'avèrent ingérables principalement le service des forets. Il ne fallait pas seulement vendre les ustensiles, mais aussi les bijoux et des terres agricoles. Et là, les usuriers attendaient cette aubaine. Cette pratique avait ressemblé à sa sœur à l'époque païenne de la Mecque soit prêter contre remboursement à très court terme, généralement six mois pour attendre une récolte et à cinq fois la valeur de l'emprunt. Ils étaient des Juifs, des Kabyles, des Mozabites, quelques Arabes, des colons aussi.
2.Nostalgie existentielle :
Face à ces torrents d'injustices, l'indigène n'épargnait pas sa mémoire. Il la nourrissait en permanence en se projetant dans le passé glorieux de sa race, les épopées héroïques de son peuple. Comme il ne venait de nulle part, il renouait avec ses racines et les gloires du passé vieux ou récent. Le poète était là pour tenir cette flamme allumée et lui rappeler toutes ces épopées, ces lumières, ce bien-être, l'odeur sainte de la terre. Ainsi Mozghana, autre appellation d'Alger, demeurait rivée dans sa conscience, par sa gloire passée et sa blessure du temps. Déjà il envisageait le maître de l'heure, le libérateur, le messie.
« Mozghana, qui guérira tes blessures ? (1) Certes, à celui-là je consacrerai ma vie ! A celui qui fermera les plaies de mon cœur, Et chassera les Chrétiens loin de tes murs. Tes défenseurs t'ont trahie, Sans doute étaient-ils ivres »
Le poète chantait cette grandeur, donnait de l'émotion à la nostalgie. Poésies célèbres, anonymes, qui animèrent les esprits sur la nécessité de la résistance au conquérant, alors que la défaite était encore fraîche. Poésies, avec d'autres plus innombrables, en arabe littéraire raffiné, qui furent diffusé dans tout le pays. Elles contribuèrent pour une large part à soulever les populations dont la nature était guerrière.
« Hélas où est ce port célèbre, (2) Et les butins de café et de drap, Les câbles de cuir tressé avec lesquels on s'embossait Les drapeaux de soie claquant au vent, Les corsaires entrant dans la darse et tous ces captifs les mains liées derrière le dos ? Pour les mécréants c'était là un crève cœur ! Les exploits d'Alger ont retenti dans les siècles passés. »