Ecrit par Imane Bouhrara | Perçu il y a presque 20 ans comme une véritable révolution, le Code de la Famille nécessite une véritable réforme pour en préserver tout l'esprit qui a prévalu à son avènement. Abdellatif Ouahbi parviendra-t-il à donner écho aux appels à la réforme ? Depuis le temps que la société civile appelle à réformer la loi 70-03 portant Code de la famille, le nouveau ministre de la Justice se dit prêt à ouvrir le débat sur le sujet. Abdellatif Ouahbi va jusqu'à affirmer l'impératif de changer certaines dispositions dudit Code et de soumettre les propositions au Roi. Si le ministre ne s'étale pas sur les dispositions du Code qui entravent la finalité de ce texte, il est évident que ce sujet plane sur le travail du gouvernement et entame, en l'absence d'une réforme, les objectifs et engagements du gouvernement... en admettant bien évidemment que le gouvernement soit sincère et résolu à atteindre cet objectif. En effet, comment rehausser l'activité économique des femmes de 20 % à plus de 30 % si ces femmes n'accèdent pas à des droits élémentaires, au sein même de la famille qui est le ciment de la société. Pour ce faire, le ministre a énuméré quelques propositions qui pourraient trouver leur chemin vers la concrétisation et qui contribueraient à renforcer la protection aussi bien des droits des femmes que des enfants devant la Justice. Fonds d'entraide familiale : 2 mesures à l'étude Le ministre de la Justice a expliqué lors de la discussion du projet de budget de son ministère, qu'un intérêt sera accordé à tout ce qui a trait avec la condition féminine en raison des sollicitudes royales qui entourent ce dossier. Dans ce sillage, il a souligné que le Fonds d'entraide familiale qui dispose d'un solde positif d'un milliard de DH verse seulement 1,5 MDH par an de pensions aux catégories éligibles, dont les femmes divorcées suite au retard ou l'empêchement de l'exécution de la décision judiciaire fixant la pension alimentaire pour cause d'insolvabilité ou d'absence du débiteur ou s'il est introuvable. Devant cet état de fait, le ministre a avancé deux pistes sur lesquels son ministère va plancher. Il s'agit en premier lieu d'élargir la base des bénéficiaires en modifiant la procédure pour bénéficier des prestations du Fonds dans ce sens, où il conceptualise cela par la mobilisation des assistantes sociales à aller vers les bénéficiaires éligibles en lieu et place à la procédure actuelle qui repose sur une demande formulée par le bénéficiaire. Une procédure qui repose sur la présentation d'une longue liste de documents au président du tribunal de première instance ayant prononcé la décision judiciaire fixant la pension alimentaire, chargé de l'exécution ou dans le ressort duquel se trouve le domicile ou le lieu de résidence du requérant et pour cela le bénéficiaire doit faire appel aux prestations d'un avocat. La deuxième piste de réflexion proposée par Abdellatif Ouahbi est d'augmenter le montant des pensions versées. En effet, cette pension est de 1.200 à 1.500 DH en moyenne, ce qui reste en deçà des besoins réels pour assurer une vie digne aux bénéficiaires. Encore faut-il pérenniser les sources de financement dudit Fonds. Mariage des mineurs : certains juges sur les bancs des accusés Bien que le ministre ne spécifie pas les dispositions du Code de la Famille qui nécessitent une véritable réforme, il n'en demeure pas moins que depuis l'entrée en vigueur de ce Code, les associations sont rapidement montées au créneau pour dénoncer l'article 20. En réalité, c'est tout le chapitre I (du Titre II) de la capacité et de la tutelle matrimoniale qui doit être réformé. En effet, si l'article 19 dispose que « La capacité matrimoniale s'acquiert, pour le garçon et la fille jouissant de leurs facultés mentales, à dix-huit ans grégoriens révolus », les autres articles notamment 20 et 21 ouvrent une large brèche pour autoriser le mariage des mineurs. L'article stipule que le juge de la famille chargé du mariage peut autoriser le mariage du garçon et de la fille avant l'âge de la capacité matrimoniale prévu à l'Article 19, par décision motivée précisant l'intérêt et les motifs justifiant ce mariage. Il aura entendu, au préalable, les parents du mineur ou son représentant légal. De même, il aura fait procéder à une expertise médicale ou à une enquête sociale. Pis, la décision du juge autorisant le mariage d'un mineur n'est susceptible d'aucun recours. Pour sa part, l'article 20 stipule que lorsque le représentant légal du mineur refuse d'accorder son approbation, le juge de la famille chargé du mariage statue en l'objet. La réalité et l'usage de ces deux articles montrent clairement que l'exception est devenue une règle même si le nombre des autorisations de mariages de mineurs est passé de 33.489 en 2014 à 20.738 en 2019 et 12.600 en 2020 (année de pandémie qui fausse une véritable baisse). Et c'est la petite fille qui en est la première victime, puisque 85 % de ces demandes ont reçu l'aval des juges en charge du mariage entre 2011 et 2018, 99 % des demandes concernaient des filles entre 2007 et 2018. Preuve en est également de l'ampleur du phénomène, les efforts conjoints du Ministère public et de l'Unicef pour éradiquer le mariage des mineurs, notamment au niveau de l'intervention judiciaire. Ce chantier mené par Mohamed Abdennabaoui, alors président du ministère public doit être dupliqué au niveau du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire dont il est maintenant le président délégué. Violences conjugales : interdire au conjoint violent l'accès au domicile conjugal Autre avancée qui peine à porter ses fruits, est la loi n° 103-13 relative à la lutte contre les violences faites aux femmes. Les statistiques se passent de tous commentaires, puisque la prévalence de la violence à l'égard des femmes s'établit à 15,6% en milieu urbain, soit le double de celle enregistrée en milieu rural (7,1%) et 81% des violences sexuelles vécues dans les espaces hors conjugal, selon le HCP. Le CESE révèle pour sa part que 57% de la population féminine âgée entre 15 et 74 ans victimes de violence, soit plus de 7,6 millions sur les 13,4 millions de Marocaines âgées entre 15 à 74 ans. Dans ce sillage, le ministre de la Justice s'est engagé à renforcer les conditions d'application de la loi et de protection des victimes, notamment celles de violences conjugal. Il a de ce fait évoqué une idée révolutionnaire au Maroc mais d'usage dans des pays avancés, à savoir l'interdiction au conjoint violent l'accès au domicile conjugal. Une idée qui va certainement rencontrer beaucoup de résistance comme pour le reste des autres réformes qui doivent être apportées au Code de la famille. Mais le ministre, avocat de profession, a été clair : il doit œuvrer (voire batailler) à mettre en œuvre les orientations de l'Etat, dans lesquelles la femme marocaine doit trouver toute sa place... et tous ses droits.