La pandémie du Covid-19 a accentué la dégradation des finances publiques et réduit les chances d'une amélioration rapide des équilibres macroéconomiques au Maroc. En effet, le déficit budgétaire, qui oscillait entre 3,5% et 4,5% entre 2016 et 2019, a dépassé les 7% en 2020. La dette du Trésor, à elle seule, est passée de 65% à 76% du PIB l'année dernière. Cette situation a poussé les principales agences de notation (Fitch et Standard & Poor's) à abaisser la note du Maroc d'un « notch », c'est-à-dire d'un niveau. Dans le cas du Maroc, il s'agissait également de la perte du statut d' »investment grade ». Ce basculement dans la catégorie spéculative est-il vraiment si inquiétant comme cela peut sembler de prime abord? Pourquoi accorde-t-on tant d'importance à la notation financière du pays? Pourquoi l' »investment grade » est important pour le Maroc Le Maroc fait appel au marché financier international pour deux raisons principales : financer son déficit budgétaire et alimenter ses réserves de change. l'emprunt sur le marché national permet de combler le manque de recettes budgétaires en s'endettant en dirhams auprès des banques et des investisseurs marocains (caisses de retraite, assurances et fonds de gestion d'actifs), il demeure néanmoins insuffisant pour permettre au Royaume de garder les réserves en devises à des niveaux acceptables. En effet, la balance des paiements reste structurellement déficitaire. C'est-à-dire que les flux en devises sortants restent plus importants que les flux en devises entrants. Cette situation s'explique par le fait que les exportations marocaines ne couvrent que 60% des importations. Le complément en devises provenant du tourisme, des investissements étrangers et des transferts de la diaspora marocaine ne permet pas d'équilibrer la balance. Ainsi, la dette libellée en euro ou en dollar, contractée auprès des investisseurs étrangers, vient, en plus de renflouer les caisses du Trésor, augmenter les réserves de change. L' »investment grade » est donc important pour l'économie marocaine afin de répondre au manque structurel de devises et de liquidités à un coût à la fois acceptable et soutenable. La perte de l' »investment grade » est-elle (vraiment) grave ? Le taux d'intérêt auquel emprunte le Maroc sur le marché international est la somme de deux composantes principales : le taux de référence et la prime de risque. Le taux de référence constitue le taux d'intérêt auquel se financent les Etats Unis, l'emprunteur considéré comme étant le plus sûr au monde. En d'autres termes, le risque que ce pays fasse défaut est presque nul. A ce taux de référence s'ajoute la prime de risque, un supplément que le Maroc doit payer pour rémunérer l'acheteur de la dette marocaine sur les risques de crédit et de liquidité auxquels il s'expose dans l'avenir. En effet, en acceptant de prêter au Maroc, l'investisseur peut subir une dégradation de la valeur de la dette marocaine (risque de crédit). Il peut également être dans l'incapacité de la revendre facilement à des niveaux raisonnables sur le marché (risque de liquidité). Plus ce risque est élevé plus la prime est importante. D'autre part, le marché financier ne déroge pas à la loi de l'offre et de la demande. En fait, si les Etats cherchent à se financer, l'investisseur a aussi, de son côté, de l'argent à placer. Il est en quête de rendement, et donc d'emprunteurs. Dans le contexte financier et monétaire actuel, caractérisé par une forte injection de liquidité de la part des banques centrales, particulièrement dans la zone euro et aux Etats Unis, la demande de placement de la part des banques et des fonds d'investissement augmente, renforçant ainsi l'appétit à prêter aux Etats et aux entreprises. Si ces investisseurs préfèrent s'orienter vers la dette des pays ayant le statut d' »investment grade », ils gardent une « poche » dans leurs portefeuilles, certes moins importante, aux émetteurs classés dans la catégorie dite « spéculative ». Nous pouvons donc dire que l'impact de la perte de l' »investment grade » par le Maroc peut être atténué par l'abondance de liquidités liée aux politiques accommodantes des banques centrales et aussi à la recherche permanente de rendement de la part des investisseurs, surtout dans un contexte de taux bas aux Etats Unis et dans la zone euro. Cependant, les injections de cash réalisées dans les pays posent de sérieux risques inflationnistes. Les investisseurs l'intègrent de plus en plus aujourd'hui, et cela impacte progressivement, à la hausse, les taux d'intérêt appliqués sur les marchés financiers. A titre d'exemple, le taux sur 10 ans des bons du trésor américain a presque triplé depuis l'été dernier. Un tel scénario peut se produire dans tous les pays, qu'ils soient développés ou en voie de développement. Face à cette situation, le risque pour le Maroc d'être confronté à une hausse du taux de référence, outre l'augmentation de la prime de risque, est par conséquent élevé dans le futur. Ce risque serait d'autant plus impactant pour le coût et la soutenabilité de la dette marocaine si les banques centrales décidaient de réduire leurs injections massives de liquidité, ou bien si une crise de la dette souveraine venait à déstabiliser la finance mondiale. Après sa relégation à la « ligue 2 » des agences de notation, la Maroc a tout intérêt à s'engager dans le processus de reconquête de sa place dans la « ligue 1″ définie par ces organismes financiers, celle de l' »investment grade ». La recette est claire. Elle passe par une relance économique, créatrice de croissance et d'entreprises, génératrice d'emplois et de recettes. La revue de certaines dépenses et avantages fiscaux « périmés » devient impérieuse. De surcroit, l'investissement public devrait être orienté vers des projets à faible consommation en devises et destinés à appuyer les exportations marocaines. Enfin, l'attractivité du Royaume en matière de capitaux étrangers est majeure pour soutenir les réserves en devises et diversifier les sources de financement de l'économie. Enfin, le Maroc devrait essayer de mobiliser davantage son épargne nationale à travers le renforcement de la bancarisation et la lutte contre le secteur informel. Ceci permettrait de libérer des financements « confinés » jusqu'ici! Par Kamal Zine, consultant en banque et assurance