Interviewé par Soubha Es-Siari | 2021 ne démarre pas sur les chapeaux de roue. Le durcissement des mesures sanitaires avec la propagation généralisée des nouvelles variantes du virus, ainsi que des retards éventuels dans la vaccination représentent des risques à la baisse pour les estimations de croissance en 2021. Face à toutes ces incertitudes, Ludovic Subran Chef Economiste, Allianz SE nous livre une analyse globale avec un focus sur l'économie marocaine. EcoActu.ma : Avec l'apparition du nouveau variant de Covid qui malgré la vaccination complique la donne, quelles sont vos prévisions internationales pour l'exercice 2021 qui faut-il reconnaître ne démarre pas sur les chapeaux de roue ? Ludovic Subran : Au niveau global, après un recul de croissance de -4.2% en 2020, nous projetons une reprise économique de 4.6% et 3.8% en 2021 et 2022, respectivement. Le durcissement des mesures sanitaires avec la propagation généralisée des nouvelles variantes du virus, ainsi que des retards éventuels dans la vaccination représentent des risques à la baisse pour nos estimations de croissance en 2021. En l'espèce, l'impact économique final dépendra de la longueur de ces mesures sanitaires et du soutien budgétaire des Etats aux secteurs durablement affectés par la crise du Covid-19. Dans la zone euro, après un recul du PIB historique de -7.5% en 2020, nous estimons que le rebond sera de l'ordre de 4.3% sur l'année 2021. Malgré l'accélération de la campagne de la vaccination en Europe en 2021, l'immunité collective ne sera sûrement pas atteinte avant 2022. De ce fait, il faudrait rester vigilent et éviter une réouverture trop rapide de l'économie à l'image de l'été dernier. Bien entendu, l'apparition d'une troisième vague de l'épidémie au deuxième semestre 2021 pourrait entraver nos prévisions de croissance. Dans un environnement empreint d'incertitudes liées à l'épidémie, à la vaccination... pouvons-nous réellement espérer une reprise économique au deuxième semestre 2021 ? Bien sûr, la prolongation de la crise sanitaire creuse davantage les inégalités entre les secteurs mais aussi entre les pays. Tandis que certains secteurs sont durablement touchés par la crise (nous énumérons le secteur de l'aéronautique, l'hôtellerie et la restauration, et la culture) d'autres se montrent plutôt résilients (notamment le secteur pharmaceutique, de technologies d'information et de communication mais aussi l'industrie et la construction). Si la crise sanitaire se prolonge au deuxième semestre, nous pouvons encore nous attendre à une reprise économique -certes un peu plus modérée- qui serait tirée par ces secteurs résilients. De la même façon, les pays qui réussissent à gérer et prévenir l'apparition des nouvelles vagues de l'épidémie stimuleront la croissance mondiale au deuxième semestre 2021. Quel rôle les banques centrales de par le monde sont-elles appelées à jouer pour soutenir l'économie sans pour autant trop endetter les ménages et les entreprises ? Quid de la banque centrale du Maroc ? Face à la crise du COVID-19, il faudrait effectivement reconnaitre l'ampleur, la rapidité et la diversité des mécanismes de soutien mis en place par les autorités de politique monétaires. Grâce aux financements par les programmes d'achat d'actifs des Banques Centrales (Quantitative Easing), les gouvernements des pays développés ont pu s'engager dans des politiques de soutien massifs à l'économie (bien plus qu'en 2009) et éviter les défaillances d'entreprises en cascade durant l'année de 2020. La banque centrale du Maroc a également a réagi rapidement et efficacement face à cette crise, et ce en employant divers outils. D'abord, BAM a baissé son taux d'intérêt directeur en mars (de 75 points de base à 1.5%). Elle a introduit maintes mesures de liquidité (par. ex. baisse des réserves obligatoires à zéro au lieu de 2%, assouplissement des exigences réglementaires de liquidités pour les banques) et aussi par un moratoire de remboursement sur les prêts bancaires des PMEs (jusqu'au mars 2021 pour les secteurs sévèrement touchés par la crise sanitaire). Les mesures introduites par les autorités marocaines ont été bien en ligne avec les orientations internationales et ont connu un succès en limitant les défaillances d'entreprises et préservant au maximum le tissu économique et social. Pour une économie très dépendante de l'étranger telle que la nôtre, quelles sont les prévisions de croissance pour le Maroc sachant que les institutions nationales (BAM, HCP, CMC...) tablent sur un taux de croissance du PIB oscillant autour de 4,5% ? L'économie marocaine continuera d'être affectée par le ralentissement économique chez ses principaux partenaires commerciaux à cause du durcissement des mesures sanitaires en 2021. Le retour au confinement des économies européennes affectera au Maroc, en particulier, les secteurs, déjà fragilisés, par la crise depuis le mois de mars dernier. Le secteur du tourisme continuera d'endosser les plus grosses pertes d'exploitation liées aux nouvelles restrictions et contrôles aux frontières. Par ailleurs, les secteurs de l'automobile, de l'aéronautique ainsi que du textile vont continuer de souffrir de la faiblesse de la demande européenne. Au Maroc nous estimons un recul historique du PIB de -7.2% en 2020 qui sera suivi d'un rebond économique de 4.3% en 2021. En revanche, il faudrait patienter jusqu'à 2022 pour retrouver le niveau d'activité économique avant la crise. A l'instar de plusieurs pays de l'Europe, la reprise d'activité à la première moitié de 2021 sera certainement plus modérée que prévue initialement, tant que les restrictions sanitaires liées à la deuxième vague de l'épidémie continueront de peser sur l'économie. Nous attendons un rebond plutôt fort d'activité à la deuxième moitié de l'année 2021, tiré par le redémarrage des projets d'infrastructures et la reprise graduelle de la demande mondiale et de l'activité du tourisme. Jusqu'à quel degré, ces risques pourraient-ils impacter les objectifs du plan de relance de 120 Mds de DH sur lequel mise le Maroc ? Malgré tous ces mécanismes d'assistance mis en place avec succès, le choc économique que le Maroc subit est sévère. Dans ce contexte, le plan de relance de 120 Mds de DH devient primordial pour relancer l'activité économique et renforcer les fonds propres des entreprises. Les investissements dans l'infrastructure et la digitalisation permettront également de poursuivre la diversification de l'économie marocaine du secteur primaire. Bien entendu, la dégradation de la situation sanitaire pourrait retarder l'exécution du plan de relance comme nous observons en ce moment dans les pays de l'Union Européenne. A moyen terme, la poursuite des réformes structurelles est aussi cruciale pour améliorer l'attractivité de l'économie et assurer le succès des partenariats public-privé. Quelle est votre appréciation du niveau actuel de la dette au Maroc qui a fortement grimpé en 2020 pour faire face à la pandémie ? Effectivement, la dette publique marocaine est particulièrement élevée mais elle était entrée dans une phase de stabilisation que depuis 2015 grâce aux efforts de consolidation budgétaire du gouvernement. Or, l'année 2020 a été marquée par une envolée sans précédent (de l'ordre de 10% du PIB) de la dette publique sous l'effet des dépenses liées à la crise sanitaire et de la baisse des recettes budgétaires. La dette publique qui était estimée à 77% du PIB fin 2020 va certainement continuer à augmenter en 2021 pour se rapprocher de 80% du PIB. Ceci dit, la dette marocaine bénéficie d'une composition relativement favorable et demeure à présent soutenable. La dette a l'avantage d'être essentiellement de longue maturité, d'être majoritairement libellée en monnaie nationale (jusqu'à deux tiers) et de bénéficier de taux d'intérêts relativement modérés. Le Maroc avait déjà un fort besoin structurel de financement extérieur bien avant l'arrivée de la crise du Covid-19. La nécessité de relancer l'économie après un choc de telle ampleur ne fait qu'intensifier ce besoin. A l'instar de plusieurs pays de la région qui souffrent de la fuite des capitaux, il n'est pas certain que le Maroc puisse retourner tout de suite sur les marchés internationaux pour financer sa reconstruction. Mais sans doute à moyen terme, la recherche de rendements plus élevés reparaitra aux vus des taux d'intérêts extrêmement bas dans les pays avancés. La bonne gestion des finances publiques, malgré les défis de la crise, deviendra ainsi déterminante pour continuer à attirer des investissements de portefeuille à moyen terme. De plus, une meilleure mobilisation de l'épargne intérieure par le développement du système financier local permettrait de réduire en partie la dépendance aux flux de capitaux étrangers, qui sont souvent trop erratiques. Le baromètre des risques 2021 élaboré par le groupe Allianz révèle qu'au Maroc la pandémie est sans conteste le risque le plus proéminent. Quels sont les garde-fous à mettre en place et comment le secteur des assurances devrait-il s'y préparer ? La crise Covid-19 a montré que la détection tardive des risques sanitaires pourrait avoir des conséquences économiques désastreuses aussi bien dans les pays en développement que dans les développés. De ce fait, toutes sources de risques devraient faire l'objet d'une prise en compte systématique par les entreprises et par l'Etat. De plus, ces nouvelles sources de risqueq ne se cantonnent pas au domaine sanitaire, il faudrait également penser aux risques environnementaux (catastrophes naturelles, changement climatique et transition énergétique) ainsi que technologiques (cyberattaques, digitalisation et accidents industriels). Le secteur d'assurance se trouve désormais contraint d'offrir des produits adaptés pour couvrir ces nouveaux risques difficilement mutualisables tout en gardant une tarification acceptable. En l'occurrence, couvrir les pertes d'exploitations des secteurs entiers liées à la pandémie reste encore un défi pour les assureurs et nécessite certainement de la coopération avec les pouvoirs publics. Par ailleurs, les accidents de travail pendant le télétravail et les actes médicaux et chirurgicaux liés au Covid-19 sont de plus inclus dans les contrats d'assurance santé. Pour les entreprises, la crise Covid-19 a montré l'importance de renforcer leur stratégie d'approvisionnement et de production, afin de mieux gérer et diversifier les risques liés à la dépendance sur un seul pays fournisseur et à un nombre limité de clients. Pour le secteur public, la crise a révélé dans plusieurs pays avancés les carences significatives d'investissement dans les infrastructures, la transition numérique, les énergies vertes, la santé et la protection sociale. Lire également : [ENTRETIEN] LUDOVIC SUBRAN : « MALGRE TOUS LES MECANISMES D'ASSISTANCE, LE CHOC VA ÊTRE SEVÈRE »