La récession frappe toutes les économies sans exception. Les prévisions d'un retour de la croissance mondiale s'avèrent difficiles à établir dans un contexte aussi opaque. Ludovic Subran, économiste en chef du groupe Allianz et d'Euler Hermes se livre à cet exercice pernicieux en faisant des projections pour l'économie marocaine. EcoActu.ma : La pandémie Covid-19 est une crise sans précédent. Il s'agit par ailleurs d'une pandémie qui n'a pas encore livré tous ses secrets. A ce titre, de quelle ampleur sera la récession dans le monde et jusqu'à quel horizon ? Ludovic Subran : Nous estimons que la croissance mondiale va s'établir à -3.3% en 2020, ce qui comparé aux -1,5% observé au creux de la crise financière de 2008-2009, montre une ampleur deux fois plus importante. La crise du Covid19 est sans précédent dans la mesure où c'est la première fois dans l'histoire que des gouvernements décident de manière généralisée d'organiser un confinement total des personnes et par là-même d'opérer une fermeture quasi complète de leur économie. Nous nous attendons à un rebond de l'activité dans les mois qui viennent. La stabilisation de la croissance devrait avoir une forme en U, crise sans précédent, une croissance en demi-teinte pendant deux trimestres jusqu'à ce que l'incertitude liée au virus s'estompe, puis une reprise franche. Dans ce sillage, à quand pouvons-nous prévoir un retour de la croissance mondiale à la normale ? Nous attendons un retour de la production mondiale à son niveau de pré-crise seulement à partir de la moitié de 2021. Dans leur ensemble, les stratégies de dé-confinement vont prendre beaucoup de temps. En moyenne, nous intégrons dans nos scénarios deux mois de confinement, qui sont suivis par quatre mois de normalisation très progressive des conditions de production. Pensez notamment aux fermetures de frontières et de l'impact sans précédent sur le commerce mondial, ou encore aux secteurs du tourisme, des transports, et des loisirs, durablement à l'amende. La croissance mondiale devrait reprendre des couleurs en 2021 avec 5,6% attendu grâce à la pleine réalisation des bénéfices liés aux plans de soutien monétaires et budgétaires. Il y a un risque par rapport à ce scénario : celui de ne pas voir le rebond se réaliser à cause d'une seconde vague de contagion, d'une crise financière, ou d'erreurs de politiques publiques entraînant une montée des risques politiques et sociaux. On a commencé l'année 2020 avec de nombreuses fragilités : dette excessive, fragmentation politique, guerre commerciale ; la crise actuelle va exacerber ces fragilités, et peser sur le rebond. Quelle appréciation faites-vous de la politique budgétaire et monétaire mise en place par les gouvernements pour endiguer les effets de la pandémie (faillites, chômage...) ? Avec un focus sur le Maroc. Il faut souligner l'ampleur, la rapidité et la diversité des mécanismes de soutien mis en place par les Ministres des Finances et les Banques Centrales partout dans le monde. Les stimuli budgétaires sont importants (jusqu'à 20% du PIB dans le cas du Japon) avec bien souvent des garanties de crédit qui visent à préserver le tissu industriel. Les plans de soutien ont été plus rapides par rapport à la crise des sub-primes. Surtout les banques centrales ont été très promptes à réagir en baissant les taux et abreuvant le marché de liquidités pour éviter un resserrement du crédit. Les choix des autorités Marocaines sont en ligne avec ces orientations de politique économique, c'est-à-dire qu'ils se caractérisent par leur rapidité et la priorité donnée à l'économie réelle avec un focus sur les acteurs économiques les plus fragiles. Le Maroc est un exemple dans la gestion de la crise sanitaire, avec un confinement de la population (couvre-feu généralisé, mesure de distanciation sociale dans les lieux publics, interruption des transports publics...) qui a eu lieu très tôt dans le temps, facteur qui, nous le savons maintenant, représente un facteur décisif dans la limitation de la contagion et du nombre de victimes de ce virus. Du point de vue budgétaire, la mise en place le 15 Mars 2020 du Fonds spécial pour la gestion de la pandémie de Covid-19, doté initialement de 1 milliard de Dollars, bénéficiant également de dons privés, et ayant vocation à soutenir le système de santé, les entreprises (notamment les petites et moyennes entreprises) et les catégories les plus fragiles de la population, a permis de parer au plus urgent. Ce système d'aide financière a été étendu le 9 Avril aux citoyens non enregistrés dans le système de santé ou de retraite, extension d'autant plus opportune étant donné le poids considérable du secteur informel au sein de l'économie Marocaine. Le Comité de Veille Economique en parallèle avec ce Fonds a favorisé, en coordination avec Bank Al Maghrib, la mise en place d'un système de report des échéances bancaires, fiscales et liées aux charges sociales. De ce point de vue, ces mécanismes d'assistance sont similaires à ceux développés au niveau international : ils visent à limiter le nombre de défaillance d'entreprises et à préserver au maximum le tissu économique et social. Bank Al Mahgrib a déjà fait appel au FMI le 7 Avril 2020 pour une ligne de précaution et de liquidité (LPL) de 3 milliards de Dollars, ce qui va permettre de financer la balance des paiements sans réduire trop drastiquement le montant des réserves étrangères. Par ailleurs, la banque centrale marocaine participe également au mécanisme de soutien au crédit pour les entreprises et ménages touchés par la crise avec l'extension des échéances de crédit sans frais jusqu'au 30 juin 2020 et l'octroi de lignes de crédit supplémentaires pour dépenses de fonctionnement remboursables à horizon de fin Décembre 2020 (avec un amortissement possible sur 5 ans). Les banques participant à ce plan de soutien peuvent ainsi se financer de manière plus fréquente, et avec un éventail élargi d'actifs jouant le rôle de collatéral auprès de la banque centrale. Cette approche de soutien au crédit, notamment pour le financement des dépenses de fonctionnement, se rapproche des mécanismes de garantie de crédit proposés par l'ensemble des économies occidentales avec des degrés divers de réussite. Malgré tous ces mécanismes d'assistance, le choc va être sévère. Nous attendons une contraction de la croissance de l'ordre de -3,9% en 2020, qui sera suivie par un rebond à 5% en 2021. Dans ce cadre-là nous attendons une hausse de l'ordre de 14% du nombre de défaillance d'entreprises en 2020. En faisant des projections, quels sont les risques qui planent sur le Maroc et quels sont les défis à relever une fois la crise sanitaire passée ? Les principaux risques sont le retour à l'emploi bien sûr, mais aussi la menace d'une reprise tronquée à cause de la chute sans précédent du commerce extérieur et du tourisme. Nous savons que 78% des touristes viennent d'Europe. L'Europe représente aussi la principale destination des exportations marocaines (70% des exportations totales). Or la zone Euro devrait voir son activité reculer de plus de 9% en 2020. Le choc d'origine externe, sans compter la baisse brutale des transferts issus de l'émigration, va mettre sous pression l'économie Marocaine. Sur le plan intérieur, il faudra probablement avoir recours à d'autres mécanismes de soutien de la demande, nous attendons un déficit public proche des -9% du PIB en 2020. Dans ce cadre là, les défis à moyen terme sont clairs : * Continuer à investir dans le domaine des infrastructures : nous avons identifié quatre différentes phases au sein de cette crise, avec notamment une phase 3 durant laquelle les politiques de soutien plus orientés sur le moyen terme vont se substituer aux aides de court terme ; * Autre défi, poursuivre les réformes structurelles dans un contexte où l'urgence sociale va requérir plus de fonds au détriment peut-être des mesures qui visaient à améliorer la compétitivité de l'économie ; * Stabiliser la dette publique. Cette dernière est attendue à 66,8% du PIB en 2020. Dans ce panorama peu reluisant où de nombreux secteurs sont touchés fortement par la crise sanitaire, quelle évaluation faites-vous de la cote du risque du Maroc ? L'octroi d'un prêt de la part du FMI est la preuve que les autorités Marocaines sont crédibles au niveau international. Bank Al Maghrib bénéficie d'une réputation forte. L'Etat a su réorienter ses priorités à court terme pour faire face à l'urgence sociale. Dans ce cadre-là, nous pouvons être raisonnablement optimistes quant à l'environnement risque : celui-ci n'a pas vocation à se dégrader significativement malgré l'ampleur des défis actuels. Après que la crise sanitaire tire à sa fin, il y aura un avant et un après Covid-19. Quels sont les principaux enseignements que les Etats sont amenés à tirer de cette crise ? Tout d'abord, cette crise a mis en évidence les carences en termes d'approvisionnement, en matériel de la santé, et en infrastructure idoines, révélant ainsi des vulnérabilités fondamentales. Au-delà du domaine de la santé, la définition de secteurs et d'infrastructures stratégiques (sécurité, alimentation, information) va forcément être étendue. "On ne doit pas tout craindre mais on doit tout préparer" disait Richelieu. Cette crise a révélé une grande impréparation. Economiquement, on voit "le privilège exorbitant" du dollar comme le décrivait Giscard d'Estaing. Les Etats-Unis et la Banque Fédérale américaine ont pu mettre en place des mesures de soutien sans commune mesure et sans que les marchés ne sourcillent. En Europe aussi même si les divergences semblent déjà poindre. Cela démontre l'avantage d'institutions crédibles dans la réponse à la crise et appellent les pays à vite retrouver des marges de manœuvre après cette crise-ci pour pouvoir répondre avec assurance à la prochaine. Enfin, la crise du coronavirus est un peu la crise climatique à laquelle on s'attendait en accéléré : probabiliste, incertaine, exponentielle et systémique. On apprend donc beaucoup sur comment affronter le défi climatique. On parle d'une reprise verte plus malignement, et moins de décroissance puisqu'avec la moitié de la population mondiale confinée, les émissions n'ont baissé que de 10% ; il faudrait une récession comme celle-ci tous les deux ans pour atteindre les objectifs climatiques de 2050, toutes choses égales par ailleurs. Lire également : Coronavirus : déjà 0,1 point de croissance économique de perdu