Au-delà de la réduction des disparités sociales et territoriales, les politiques d'aménagement et de développement régional durable sont de plus en plus testées sur la capacité des régions à tirer le meilleur parti de leurs avantages concurrentiels et leurs ressources disponibles, et à s'engager dans des stratégies de croissance intelligente fondée sur la connaissance et l'innovation pour soutenir la création d'emplois, l'attractivité des territoires, la compétitivité des entreprises et l'amélioration de la qualité de vie des citoyens. A l'instar des politiques de recherche et d'innovation (Research and Innovation Strategies for Smart Specialisation) déployées avec succès dans les pays l'Union Européenne selon les méthodologies éprouvées de prospective stratégique territoriale, les stratégies de spécialisation intelligente se concentrent sur les potentiels de croissance réalistes et permettent à chaque Région de façonner des choix politiques basés sur des opportunités socio-économiques spécifiques, selon un processus inclusif et interactif qui traite des perspectives à long terme et s'appuie sur les opinions et l'intelligence collective de multiples parties prenantes de la chaîne de l'action publique territoriale. En effet, à l'inverse de la planification traditionnelle, la prospective territoriale est un outil d'élaboration de politiques plus adaptables, combinant agilité et anticipation de nouveaux défis sociétaux, qui vise à développer une plateforme d'apprentissage collectif avec un dialogue permanent entre les acteurs économiques, universitaires, institutionnels et sociaux, en considérant différents scénarios de futurs alternatifs, possibles et souhaitables, fondés sur une analyse approfondie des tendances démographiques, sociologiques, économiques et environnementales, des liens critiques qui existent entre l'utilisation des terres et les grands services publics, particulièrement le transport, et tout en favorisant l'adaptation rapide aux incertitudes, aux changements ou discontinuités qui pourraient survenir en cours de route. Le processus de régionalisation avancée, voulu comme une réforme globale et structurelle qui marque une étape importante en matière de décentralisation et de déconcentration administrative, interpelle l'ensemble des acteurs territoriaux pour innover en matière de gouvernance et d'aménagement durable du territoire afin de matérialiser dans les faits les attentes et les aspirations des citoyens pour la promotion de la démocratie participative, le développement et la valorisation des ressources territoriales (matérielles et immatérielles) de la région. Dans cette nouvelle configuration, la Loi Organique n°111.14 relative aux régions consacre la prééminence de la Région en tant qu'échelle institutionnelle pertinente en matière de planification territoriale et de développement régional, qui se doit de co-construire avec ses partenaires institutionnels (Etat, Conseils provinciaux et communaux, organismes publics, Agences urbaines), économiques, scientifiques et sociaux une vision prospective régionale garante d'un développement durable et solidaire.. Dans un contexte de récupération post-covid-19 marqué par des impératifs de plus en plus prégnants de cohésion économique et sociale, de durabilité environnementale et d'accélération des perspectives de croissance verte et inclusive, l'enjeu réside aujourd'hui dans notre capacité de mobiliser l'intelligence collective des acteurs de la Région pour co-construire, selon une approche systémique et un processus décisionnel participatif, une vision prospective permettant de penser, d'examiner, de débattre et de façonner l'aménagement de l'espace concernant l'ensemble des territoires de la Région, en s'appuyant sur des décisions et des actions concertées, fondées sur des données et évidences scientifiques rationnelles et sur des besoins clairement identifiés et partagés par le plus grand nombre. Outre l'alignement des intérêts et des sensibilités des parties prenantes, l'approche systémique facilite la coopération, la complémentarité et la mutualisation des efforts et des moyens, et garantit une articulation judicieuse des Plans d'Action Communaux, des Programmes de Développement Provinciaux et Régionaux et des différents documents d'urbanisme et de planification territoriale avec les orientations stratégiques et dispositions d'aménagement du territoire au niveau régional et national, qui s'imposent comme un cadre de référence, de cohérence et de régulation de l'action publique territoriale. Ainsi, cette démarche permet de s'attaquer à des sujets aussi variés et transverses que l'infrastructure de haute connectivité multiforme, la collecte et l'analyse des données sur la vie urbaine et rurale, les systèmes de transport durables, y compris les accessibilités pour personnes à mobilité réduite, les moyens institutionnels et juridiques pour la constitution de réserves foncières destinées aux équipements d'intérêt général, la production d'énergie décentralisée et renouvelable, le développement des capacités humaines et institutionnelles, les opportunités économiques et sociales d'implantation et de regroupement géographique d'activités/filières industrielles, agricoles, touristiques, logistiques, artisanales, commerciales et de services, la gestion durable et équilibrée des ressources naturelles, la préservation des biodiversités, du bien-être des citoyens et des entreprises, la sauvegarde du patrimoine et de la qualité des espaces publics et des paysages naturels. Par ailleurs, la convergence des logiques d'intervention nécessite la cristallisation d'une entente entre l'ensemble des acteurs de la Région sur une vision partagée de scénarios d'aménagement du territoire régional (fil de l'eau, plausible, souhaitable), en conformité avec les grands choix nationaux en la matière, tenant compte des tendances, des ruptures, des incertitudes, des jeux complexes d'influences réciproques entre acteurs, de décisions susceptibles d'impacter les orientations stratégiques, et d'une hiérarchisation et un cadrage clairs des résultats souhaités et réalisables, assortis de calendriers de mise en œuvre adéquats et basés sur des études de faisabilité appropriées. Sur le registre du financement, la vision doit intégrer des cadres financiers réalistes qui encouragent une planification par scénario progressive et graduelle, précisant toutes les sources attendues d'investissement (budgétaires ou extrabudgétaires, publiques, privées ou autres), les instruments de d'ingénierie financière et de contractualisation de Partenariats Public-Privé, les mécanismes de génération de ressources et de recouvrement des coûts (redevances d'utilisation du sol, plus-value foncière et immobilière, prêts, subventions, donations, impôts et taxes...) afin d'assurer à la fois la viabilité financière et une capacité de financement suffisante. Ainsi, la vision prospective doit définir les objectifs à moyen et long termes de la politique régionale d'aménagement durable du territoire, les règles partagées de gouvernance en matière d'implantation des différentes infrastructures structurantes, des grands équipements économiques, de désenclavement rural, de gestion du foncier, de maitrise des extensions urbaines, de maintien de densités adéquates, d'urbanisme durable, d'amélioration du cadre bâti et de l'accès à un habitat décent, d'intégration sociale et économique des communautés, ou encore de planification et développement de systèmes bien connectés et structurés de mobilité durable à dimension humaine, de gestion rationnelle des ressources en eau, de maîtrise de l'énergie et de l'efficacité énergétique, de prévention et de valorisation des déchets, d'aménagement et d'inclusion numérique, etc. Elle doit également permettre de faciliter la transition écologique à travers des actions visant la gestion durable des ressources, l'adaptation au changement climatique, la préservation de la qualité de l'air, la protection et la restauration des biodiversités terrestres et marines, la protection des espaces fragiles, des zones d'intérêt écologique et de la population contre les phénomènes climatiques extrêmes, l'anticipation et la réduction des externalités négatives de l'urbanisation non planifiée. A ce titre, il est important de signaler qu'une simple accumulation d'investissements et d'actifs urbains ne suffit pas, et les politiques publiques visant à accroître la concentration comme la seule voie vers le développement ont montré leurs limites, car il n'existe pas de causalité directe entre densification urbaine et performance économique. Si les zones urbaines ont tendance à avoir des niveaux de revenu plus élevés que les régions rurales, force est de constater qu'elles n'enregistrent pas nécessairement des taux de croissance plus élevés, remettant en cause les politiques d'investissement qui considèrent la concentration des ressources dans les espaces urbains comme sources d'une nouvelle croissance. Ce constat est porteur de nombreuses innovations territoriales, sociales et économiques et d'ingénierie des politiques d'infrastructures et de services publics locaux, et pose dans le même temps d'immenses défis de rééquilibrage intelligent entre les vocations des espaces, grâce à des politiques intégrées et complémentaires d'investissement et d'accompagnement de tous les territoires (urbains, périurbains, centres émergents, espaces ruraux, montagnards, arides, terroirs...), à même de développer leurs capacités institutionnelles et organisationnelles intrinsèques visant la diversification économique, la valorisation de leurs potentialités naturelles, humaines, culturelles et patrimoniales, générant des externalités positives de croissance inclusive et écologiquement durable, ne laissant personne de côté. Par Mohammed BENAHMED, Président de l'Alliance Maroc Innovation et Emergence, Expert international en développement territorial durable