Partout dans le monde, la crise du Coronavirus a mis en lumière les vulnérabilités et les failles des modèles de sociétés face aux incertitudes et aux "signaux faibles" et témoigne de l'importance des services publics que l'Etat stratège et protecteur doit absolument préserver. Le propre de l'anticipation de ces signaux est de dépasser notre imagination et de réfléchir aux scénarios prospectifs, y compris les plus impensables et haïssables que l'on refuse de voir : forte hausse de la température, risque considérable pour la sécurité alimentaire des économies fortement liées à l'agriculture, intensification des phénomènes climatiques extrêmes, pollution dense et massive, crises épidémiologiques, élévation du niveau des océans, pénurie hydrique, catastrophes écologiques, migrations climatiques et économiques, etc. Ces scénarios ne relèvent pas de l'imaginaire mais peuvent s'avérer potentiellement une réalité. Dans un monde où les évolutions économiques, sociologiques, technologiques et climatiques sont devenues particulièrement rapides, l'enjeu est de ne plus se laisser secouer brutalement à l'avenir, mais d'anticiper les futurs plausibles, possibles, probables avec l'idée motrice de renforcer notre résilience collective par une action coordonnée et innovante face aux chocs social, économique, organisationnel, environnemental, etc. Le monde de 2010 n'imaginait pas le monde de 2020 tel qu'il est ou tout au moins partiellement : tout ce qui concerne la santé, l'éducation, le genre, l'enfance, le chômage des jeunes aura pris une importance et une hiérarchie nouvelle, tout ce qui a trait à la gestion des ressources naturelles, au dérèglement climatique et aux modes de production et de consommation aura été perçu différemment, tout ce qui touche à la cohésion économique et sociale dans les territoires, aux modes de travail et à la résilience des communautés aura été bouleversé, tout ce qui touche à la science, la technologie, l'innovation et l'économie du savoir aura bougé. L'innovation et les technologies transformatrices à très fort impact peuvent jouer un rôle moteur pour promouvoir l'inclusion sociale, favoriser la durabilité environnementale, baisser les coûts, améliorer la productivité, grâce à des politiques de diversification économique, basées sur l'identification des trajectoires technologiques et des nouvelles industries prometteuses. Cependant, force est de relever que parce qu'elles se prêtent aux combinaisons innovantes multiples, ces technologies se caractérisent par un plus fort potentiel de rupture dans un contexte d'imprévisibilité et d'extrême rapidité des changements, dont les ramifications pourraient créer des inflexions de tendances dans de nombreux domaines sociaux et économiques, particulièrement celui du numérique où l'efficacité et les champs d'application évoluent à un rythme exponentiel. Ces changements permettent aussi à l'Etat de « faire mieux et plus avec moins », grâce à des investissements plus ciblés, plus flexibles et plus efficients, sans laisser pour compte et tout en protégeant les populations les plus vulnérables. Cela pose un réel problème de la capacité des secteurs public et privé de s'approprier, diffuser et mettre en œuvre ces technologies de façon efficace, ce qui rend hautement probable le risque de ralentir la croissance de la productivité à cause des difficultés qu'ont les entreprises traditionnelles pour s'y adapter au même rythme effréné et rattraper leur retard par rapport aux entreprises innovantes et à la pointe du progrès. Le développement d'interconnexions plus profondes et fructueuses entre ces technologies offre de nombreuses opportunités de production de connaissances, de services et de produits innovants, de conception de nouveaux processus sociaux et économiques participatifs et inclusifs, et de modèles de gouvernance qui amélioreront de manière notable la capacité de résolution des problèmes posés dans tous les domaines visés par le Programme 2030 des Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies. Ces derniers vont de l'amélioration des perspectives d'emploi dans des économies de plus en plus diversifiées, notamment pour les femmes et les jeunes, au renforcement des capacités, à l'amélioration de l'efficacité énergétique, à la promotion de modèles de production et de consommation plus durables. Au Maroc, osons espérer que la crise du Coronavirus aura permis d'accélérer la prise de conscience des faiblesses structurelles, en particulier en matière de systèmes de santé et d'éducation, et que ce tsunami du Covid-19 aura balayé avec lui les dogmes du « Business as Usual » en faveur de nouveaux paradigmes : « promouvoir la pensée systémique », « repenser les politiques publiques de demain », « reconstruire mieux et écolo », « produire et consommer vert », « réinventer la gouvernance des territoires », « promouvoir les innovations urbaines inclusives », « démocratiser l'accès aux technologies durables », « réconcilier notre rapport aux écosystèmes naturels et humains »… Imaginer le « Maroc soutenable » de l'après Covid-19 est un temps unique qui ne sera pas la simple continuité du temps d'avant, de 2020, mais qui doit plutôt parier sur les enjeux du futur et inscrire nos territoires dans la nouvelle ère du XXIe siècle, des grandes transitions (démocratique, démographique, territoriale, écologique, énergétique, numérique, sociale, alimentaire...). Celles-ci constituent une chance historique d'inspiration de tous les acteurs pour se battre sereinement sur ce qu'on peut changer et mettre en synergie leur intelligence collective pour mobiliser au mieux possible les technologies émergentes les plus cruciales et co-construire d'ici à 2030 un avenir commun plus résilient, plus inclusif et plus équitable. Pour relever les défis sans précédent de la résilience, de la durabilité et de la compétitivité de nos territoires, de nos entreprises et de nos institutions : Rêvons stratégiquement et croyons en un Maroc post Covid-19 où Gouvernement, Collectivités publiques nationales et territoriales, universités et instituts de recherche, entreprises et organisations de la société civile travaillent en bonne intelligence et coordonnent en permanence leurs efforts dans une approche systémique du développement, plus durable et plus inclusive, en alignement avec la réalisation de l'Agenda 2030 des ODD : * L'intégration dans les chaines de valeur mondiales faciliterait la transition vers des écosystèmes agricoles intelligents, compétitifs et durables, axés sur une prévision mieux maîtrisée des données agro-climatiques futures, une bonne compréhension de la vulnérabilité des cultures, une meilleure gestion des zones cultivées, de la conservation des sols et des ressources en eau grâce à des systèmes d'information spatialisés, la mise à niveau des procédés et des produits, l'amélioration des performances agronomiques, environnementales et économiques de la production, l'accroissement des rendements via les techniques de micro-irrigation, la génération des économies d'échelles, la connexion perpétuelle des producteurs aux marchés et leur accès aux intrants de production, à la mécanisation, aux éco-fertilisants, aux technologies agricoles améliorées, aux services financiers. * La 5G serait généralisée à travers le territoire national, avec plus de puces, de robots, de drones et de véhicules autonomes ; la médecine génétique, de précision et les neurosciences répandues ; les technologies d'assistance pour les personnes handicapées et les technologies sociales alternatives accessibles ; les technologies de données ouvertes, open-source, les cours en ligne massifs ouverts au plus grand nombre ; les biotechnologies, la biologie de synthèse, le séquençage génétique et les nanotechnologies partout ; la science des matériaux, l'informatique de haute performance, les réseaux intelligents, l'impression 3D, l'internet des objets (IoT), l'internet industriel des objets (IIoT), à la portée de tous les agents. * Les outils d'intelligence artificielle (machine learning, deep learning, neural networks, big data analytics...) sont mis à contribution pour la promotion de nouvelles formes de travail et d'inclusivité à l'aune de la nouvelle révolution industrielle : automatisation des tâches cognitives et de la production, augmentation de la productivité des travailleurs qualifiés et renforcement de leur capacité à utiliser des données et des informations de façon innovante et à s'adapter aux évolutions technologiques, tout en évitant les érosions d'emplois agricoles, notamment des femmes rurales. Planifions, créons et agissons pour que chaque territoire du Royaume puisse mobiliser de manière hautement participative le potentiel de créativité de nos concitoyens, nos étudiants, nos chercheurs et nos entreprises afin d'assurer ses transitions, ses transformations et sa compétitivité grâce à : * La construction des ponts jusque dans nos communautés les plus reculées, dans les zones de montagnes et arides, pour éradiquer les disparités sociales et territoriales, en garantissant que les jeunes « ruraux » soient bien équipés pour accéder aux mêmes outils d'apprentissage et d'entrepreneuriat que les jeunes « urbains », vivre et travailler à l'ère de l'économie du savoir. * La mise en réseau et le développement de communautés de pratiques connectées, regroupant des chercheurs, ingénieurs, créateurs pour faciliter le travail collaboratif autour d'initiatives nationales et internationales innovantes, et produire des services et des produits plus compétitifs, plus écologiques et plus économes de ressources. * La création de Pôles ruraux d'innovation agricole orientée « genre » et « inclusion sociale », avec des technologies à faibles inputs, des programmes « Smart agriculture » résiliente face au climat au profit des exploitations et entreprises agricoles, « AgRobotics » pour une meilleure gestion des cultures, agriculture biologique, urbaine, périurbaine, de montagne et de conservation en milieux semi-arides, certifications de laboratoires et de plateformes conformes aux exigences internationales indispensables aux productions à l'export. * L'utilisation des technologies de pointe pour la construction durable, l'extension du cycle de vie des produits, des infrastructures de transport public intégrées, des véhicules électriques et à l'hydrogène, des véhicules autonomes, des chaînes d'approvisionnement en biocarburants, des installations de traitement de l'eau mobiles, des applications de la nanotechnologie pour le traitement décentralisé des eaux usées, le dessalement par osmose inverse, l'énergie solaire et éolienne, les micro-centrales hydroélectriques. * Des smart territoires capables d'assurer une gestion intelligente des services (Smart mobility, Smart water, Smart waste, Smart lighting) au service du bien-être des citoyens, de la prospérité des entreprises, de l'efficacité des institutions, des technologies des médias sociaux, des applications mobiles pour promouvoir la participation du grand public et le changement des comportements à même de favoriser la pratique d'une véritable démocratie participative. * La promotion de « Fab Labs » facilitant l'innovation ouverte et collaborative en mettant à la disposition du public (designer, inventeurs, entrepreneurs, artistes, étudiants, seniors, etc.) des machines-outils de création et de partage de savoir et de savoir-faire pour la conception assistée par ordinateur, le design, le prototypage, la fabrication et l'industrialisation de produits technologiques innovants... * La création de clusters d'innovation dans les secteurs les plus porteurs et à plus forte valeur ajoutée, de parcs scientifiques et technologiques, incubateurs, accélérateurs, laboratoires, instituts et centres de recherche, en misant sur les nouveaux métiers mondiaux dotés de plateformes industrielles intégrées (aéronautique, automobile, énergies renouvelables, agroalimentaire, électronique, offshoring...), facilitant le transfert de technologie et le développement d'entreprises innovantes et startups de pointe et leur l'accès aux marchés internationaux, de gagner en productivité, de créer davantage d'attractivité, de compétitivité, d'emplois et de richesses durables. Par Mohammed Benahmed, Président de l'Alliance Maroc Innovation et Emergence, Expert international en développement durable