La crise du Coronavirus a mis en lumière, au niveau planétaire, les vulnérabilités et les failles des modèles de sociétés face aux incertitudes et aux "signaux faibles". Sur le plan idéologique, elle a déjà entraîné des changements majeurs de comportements des acteurs politiques, économiques et sociaux, bousculant les idées reçues du fait de la mondialisation et des phénomènes d'interdépendance, sur fond de libéralisme à outrance. Au Maroc, elle n'a fait que dévoiler les déficiences économiques existantes qui se sont accentuées compte tenu des faiblesses systémiques liées notamment au déficit de compétitivité de nos entreprises et de nos territoires. L'histoire nous enseigne que les crises cachent d'insoupçonnables opportunités et stimulent de grandes transformations structurelles. Dans un monde où les évolutions économiques, sociologiques, technologiques et climatiques sont devenues particulièrement rapides, l'enjeu est de ne plus se laisser secouer brutalement à l'avenir, mais d'augmenter notre résilience collective aux chocs social, économique, organisationnel, psychologique, en prenant levier sur des processus innovants d'anticipation, de prospective, de prévision, de surveillance, de vigilance... Vers une approche systémique disruptive avec les dogmes du « business as usual » Cette crise ne doit pas nous faire occulter les problèmes structurels de la fragilité de notre modèle de développement dans ses multiples dimensions économique, sociale, politique, environnementale. Elle aura eu le mérite d'accélérer la prise de conscience des graves difficultés qui nous guettent et des faiblesses structurelles, en particulier en matière de politiques publiques (santé, éducation, social, environnement…). Il ne s'agit plus désormais de diagnostiquer car il y a pléthore en la matière, mais plutôt de choisir, décider et agir collectivement avec l'idée motrice de garantir les conditions idoines de l'appropriation des stratégies et politiques à l'échelle nationale comme au niveau régional, et espérer que ce tsunami du Coronavirus aura balayé avec lui les dogmes du « Business as Usual ». Alors que le Royaume conçoit son nouveau modèle de développement, la crise suggère de consacrer l'après Covid-19 en tant que chance historique d'inspiration de tous acteurs pour adopter et s'approprier une démarche systémique afin de repenser les politiques publiques de demain, préserver les équilibres sociaux et territoriaux et réinventer nos systèmes de production et de consommation dans une logique d'économie circulaire et de protection des écosystèmes naturels et humains. Le Maroc doit miser sur les enjeux du futur, en faisant le pari de l'innovation dans son acception la plus large (scientifique, technologique, publique, territoriale, financière, sociale, organisationnelle, climatique...) pour adresser les défis de l'attractivité et de la compétitivité des territoires, des entreprises et des institutions grâce à la mise en synergie collaborative des acteurs du « Quadruple-helix : Collectivités Territoriales – Université – Secteur privé – Société civile. Les changements structurels intervenus depuis plusieurs décennies dans d'autres régions du monde devaient s'imposer dans notre pays à un rythme effréné en quelques décennies à peine, dans un contexte mondial en perpétuelle mutation, tout en relevant les défis sans précédent des diverses transitions (démocratique, démographique, épidémiologique, écologique, numérique, sociale, professionnelle, alimentaire, urbaine, ...). La transition démographique, l'urbanisation de la société, à l'aune de la nouvelle étape de la régionalisation avancée, et la montée du niveau de formation de la population sont trois tendances profondes et structurelles qui touchent la société et qui constituent une fenêtre d'opportunité unique dans l'histoire du Royaume. Extraire le capital immatériel enfoui dans l'intelligence collective S'il s'agit in fine d'améliorer le bien-être collectif, l'issue dépend de tous les « acteurs-partenaires » qui finissent par avoir tous un rôle, des devoirs, des obligations : qu'ils soient collectivités territoriales, autorités locales, opérateurs industriels, organismes financiers, publics ou privés, prestataires de services de manière générale, organisations de la société civile, comités d'usagers, associations de femmes...etc. Les temps n'ont jamais été aussi favorables et opportuns pour opérer de tels virages et construire un avenir commun plus durable sur des bases plus saines, mettant le citoyen et ses besoins vitaux au cœur des choix de politiques publiques de développement et où les attentes de tous les acteurs doivent être prises en compte de sorte que chacun puisse, à son niveau, humble ou élevé, prendre la part qui lui revient. Part d'information, d'expression des besoins, de suggestion, de demande, et plus tard de responsabilité dans les choix faits des priorités et des contraintes, choix des modes de production et de financement des services publics, répondant à de nouvelles exigences, notamment une plus grande transparence des coûts et efficacité des structures organisatrices, une gestion plus efficiente et durable des ressources naturelles, et des formes d'organisation qui optimisent la saine gestion des deniers publics. Le meilleur moyen de prévoir l'avenir est de le créer dès aujourd'hui Nous assistons depuis l'avènement de la pandémie à une avalanche d'informations dans les médias et les réseaux sociaux, et une déferlante de prédictions de pistes de relance et d'analyses d'économistes, de scientifiques, d'acteurs politiques, de leaders d'opinion, de sociologues, de journalistes, etc. Tout un chacun admet aujourd'hui que, « après », plus rien ne serait comme « avant ». Imaginer le Maroc « soutenable » de l'après Covid-19 est un cas idéal d'exercice de la prospective stratégique et un temps unique qui ne sera pas la continuité du monde d'avant, de 2020, mais qui doit plutôt faire des paris, dans l'effort et la résolution, sur le saut vers le futur, en pilotant l'action publique à partir de l'Agenda 2030 des Objectifs de Développement Durable des Nations-Unies, pour construire le Maroc de la prochaine décennie, celle de l'accélération du rythme des actions, des programmes et des transformations structurelles. Puissant moyen d'extraction du capital immatériel enfoui dans l'intelligence collective, la prospective participative est facilitée par les outils technologiques de travail collaboratif qui offrent un espace d'expression contribuant à l'instauration d'un climat de confiance, l'inclusion sociale et numérique, la justice intergénérationnelle, l'écologie productive, la sauvegarde des intérêts et droits sociaux et environnementaux des communautés, le développement de la responsabilité sociétale des citoyens, l'atténuation des actions revendicatives de la jeunesse et des générations futures… La capitalisation de ce savoir tacite permet d'anticiper et de cartographier les risques majeurs, d'améliorer la résilience aux chocs, de mieux appréhender les dynamiques de changements à l'œuvre, d'identifier et d'élaborer rapidement les différents scénarios prospectifs de futurs, y compris ceux qui peuvent paraître à première vue impensables (tendances lourdes, incertitudes majeures des futurs possibles, facteurs de changement, facteurs endogènes et exogènes de rupture de tendance, etc.). Un engouement pour un virage numérique inespéré Le monde de 2010 n'imaginait pas le monde de 2020 tel qu'il est ou tout au moins partiellement. La contrainte du confinement imposé par la crise sanitaire a permis l'accélération de la transition numérique qui s'est traduite au premier chef par une révolution du télétravail bien plus rapide qu'imaginée juste avant l'événement du coronavirus et un saut prometteur des pratiques du e-learning, e-gouvernement, e-territoire, e-commerce, devenues en quelques semaines une réalité prometteuse d'un Maroc nouveau. Plusieurs administrations ont franchi le cap pour délivrer des autorisations et documents officiels numériques, les conseils de gouvernement, réunions et webinaires par vidéo-conférences se multiplient, sans oublier l'organisation et la distribution des aides financières aux ménages amplement facilitée dans un contexte de percées spectaculaires de la téléphonie mobile. La technologie est désormais incontestablement une source de progrès, notamment en matière de santé et d'éducation, mais aussi un levier d'une gestion intelligente des services publics (smart city), d'émancipation des individus (accès aux droits, à l'information…) et de rehaussement de la productivité grâce à l'automatisation des activités à faible valeur ajoutée, dans le cadre d'une réingénierie globale des processus. Des secteurs entiers peuvent être modernisés par les technologies numériques offrant par ailleurs d'innombrables opportunités d'amélioration de l'efficacité, de la transparence, de la pratique d'une véritable démocratie participative et de démocratisation des savoirs, à la fois dans leur construction et dans leur diffusion et utilisation, via la valorisation de l'open data ou la promotion de plateformes digitales facilitant le partage des connaissances disponibles et la captation des signaux faibles par la mobilisation des parties prenantes. Le recours aux dernières technologies dans le cadre de l'exercice des missions fondamentales renforcera davantage la capacité des institutions (administrations, collectivités territoriales, entreprises publiques...) à traiter et à analyser une masse croissante de données en provenance de leurs écosystèmes. Les Big Data faciliteront l'exploitation de ces données dans différents secteurs sociaux, éducatifs, économiques et industriels et permettront aux équipes de centrer leur savoir-faire sur les activités cœur de métiers. Le travail collaboratif et le networking sont accélérés par les technologies Web en ligne, des outils « d'intelligence artificielle », « Blockchain, « Machine Learning », « Deep Learning », « Neural Networks », « Data Analytics »…etc. Vers des écosystèmes d'innovation au service de l'émergence Notre pays dispose d'un énorme potentiel d'innovation multiforme et de collaboration multi-échelles et multi-acteurs dont l'exploitation peut apporter une valeur ajoutée considérable au développement des territoires, à même d'assurer au Royaume une position compétitive honorable dans le monde de l'après Covid-19, grâce la détermination et l'engagement de toutes ses composantes vives. Une telle ambition a besoin de stimuler l'ensemble des acteurs politiques, scientifiques, économiques et sociaux, nationaux et territoriaux, afin de faire preuve de plus de créativité et d'audace pour la co-construction d'une vision partagée par le plus grand nombre, en portant une plus grande attention aux signaux faibles et tout en s'appuyant sur nos valeurs, nos institutions, notre économie nationale, notre capital humain, nos spécificités culturelles, nos entreprises, nos territoires, en somme sur nous-mêmes ! Une vision déclinée en un véritable programme d'émergence économique et de développement régional inclusif et résilient, qui apporte des solutions aux grands défis inhérents à la sécurité sanitaire, l'éducation de qualité, la sécurité alimentaire et nutritionnelle, la sécurité hydrique et énergétique, la transformation digitale, l'emploi des jeunes, le changement climatique, la sauvegarde du patrimoine culturel, l'industrie compétitive et sobre en carbone, la gestion durable des ressources biologiques et naturelles, terrestres et maritimes. « C'est au niveau local que réside l'énergie d'un peuple libre ; les institutions locales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science, elles la mettent à la portée de tous », disait Alexis De Tocqueville (1805-1859), considéré comme l'un des défenseurs historiques de la liberté et de la démocratie, et dont l'intuition visionnaire au 17e siècle garde aujourd'hui encore tout son sens. D'une démocratie plus représentative, d'un véritable partenariat entre les territoires, les hautes sphères de l'Etat et le secteur privé découle une meilleure redistribution ses rôles en s'assurant des meilleurs modes de gouvernance, les plus efficaces, les plus participatifs, les plus transparents et les plus socialement et écologiquement responsables. Par Mohammed Benahmed, Expert international en développement durable, Président de l'Alliance Maroc Innovation et Emergence